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Histoire

28 novembre 1958 : Proclamation de la République du Congo

Une date historique tombée dans les oubliettes

Contribution citoyenne à la restitution de l’histoire du Congo des monarchies à la république. Beau travail de documentation de Willy Sathoud.

l’Abbé Fulbert YOULOU et l’enseigne de vaisseau Pierre Savorgnan De Brazza autour de la carte du Congo

Il y a un demi-siècle que notre pays le Congo-Brazzaville, était porté sur les fonds baptismaux en tant que République autonome sous tutelle coloniale française, dans la tourmente d’une guerre civile, dont les séquelles subsistent à ce jour. Ce fut un certain 28 Novembre 1958 à Pointe-Noire alors capitale administrative et politique territoriale du Moyen-Congo.

Jadis fête nationale, cette date historique battue en brèche par les révolutionnaires exaltés sous les coups boutoir des nationalistes frileux, fait figure d’oubliée. Elle n’est inscrite dans aucun calendrier officiel et ne donne lieu à aucune commémoration. On peut lui opposer la date anniversaire de l’indépendance célébrée en grande pompe le 15 Août de chaque année.

Nous reviendrons dans notre article sur l’évolution institutionnelle spatio-temporelle du Congo, depuis les monarchies de la période précoloniale, jusqu’aux péripéties de la première République, en passant par la création de la fédération de l’AEF et l’instauration du régime de l’autonomie interne.

De la période coloniale

Découvert par les Européens au XIVe Siècle à travers les expéditions de l’explorateur portugais Diego Cao, l’espace géographique de l’actuelle République du Congo qui faisait alors partie intégrante du Royaume Kongo, à l’époque grande monarchie africaine fondée au XIIe Siècle par Nimi na Lukeni alias Ntinu Wené aux confins des deux Congo et de l’Angola, sera officiellement concédé à la France suite à la conférence de Berlin relative au partage colonial de l’Afrique entre les puissances impérialistes Européennes, tenue en Allemagne du 15 Novembre 1884 au 26 Février 1885 sous les auspices du chancelier Bismarck.

La délimitation frontalière du Congo-Français fera l’objet de plusieurs traités respectivement conclus :
 Avec l’Allemagne, en 1885, pour la frontière du Cameroun ;
 Avec le Portugal, en 1886, pour la frontière du Cabinda et de l’Angola ;
 Avec l’Etat indépendant du Congo du Roi des Belges, Léopold II, en 1887, pour la frontière des deux Congo ;
 Avec l’Espagne, en 1890, pour la frontière de la Guinée Equatoriale du coté du Gabon.

Affaibli au fil du temps par la traite négrière, puis plongé dans une longue période d’instabilité consécutive aux guerres de succession déclenchées entre les deux principales dynasties aristocratiques prétendant au trône royal. Le Royaume Kongo finira par perdre sa splendeur et son lustre légendaire. Après sa dislocation plusieurs monarchies affranchies, s’érigeront entre les XVe et XVIIIe siècles dans l’espace géographique de l’actuelle République du Congo. On se souvient surtout des deux principales aujourd’hui toujours représentées :
 Au nord le royaume Teke et les chefferies traditionnelles dites « Okani ». Exploré pour le compte de la France par l’enseigne de vaisseau Pierre Savorgnan de Brazza, signataire avec Sa majesté le Makoko Iloo 1er roi des Batékés du traité plaçant son territoire sous protectorat français, paraphé d’après la légende le 10 septembre 1880 à Mbé ;


 Au sud le royaume Loango, dont la façade maritime servira de port d’embarquement pour des centaines de millier d’esclaves et, ou le Commandant Robert Cordier aurait signé en date du 12 mars 1883 avec le Ma Loango roi des Vili, un traité plaçant également son territoire sous protectorat français.

De l’administration coloniale :

C’est sur la base de ces traités que la loi du 17

Décembre 1882 instituera autour des royaumes précités, la colonie du Congo français située à cheval entre les bassins des fleuves Congo et de l’Ogooué. Elle sera placée sous l’autorité administrative unique de Pierre Savorgnan de Brazza nommé commissaire général avec pouvoirs étendus en 1886. Le lobby des sociétés concessionnaires obtiendra son limogeage en 1898, en raison de son action contrariant leurs méthodes brutales envers les "indigènes" et le pays (réquisitions, pillage systématique des ressources naturelles, travail forcé, viols et autres brutalités…). Ces exactions seront à l’origine de soulèvements, révoltes et autres actions généralement noyés dans le sang.
Lui succèderont Henri de Lamothe (1898-1901), Albert Grodet (1901-1903), Emile Gentil (1903-1908).

A l’issue de la réorganisation administrative de 1908, les territoires du Moyen Congo du Gabon, de l’Oubangui-Chari et, du Tchad seront intégrés dans la fédération de l’Afrique Equatoriale Française (AEF), alors dirigé par un gouverneur général en poste à Brazzaville, la capitale fédérale de l’AEF [1]. S’y succéderont : Marcel Merlin (1908-1910), Gabriel Angoulevant (1918-1920), Victor Augagneur (1920-1924), Raphaël Antonneti (1924-1935), Edouard Renard (1935-1936), François-Joseph Reste (1936-1940), Félix Eboué (1940-1944), André Bayardelle (1944-1947), Charles Luizet (1947-1948), Bernard Cornut Gentil (1948-1950), Paul Chauvet (1950-1958) et, Pierre Messmer (1958-1959).

Au cours de la première guerre mondiale 14-18, les Français recrutèrent un grand nombre de soldats dans le territoire du Moyen-Congo. Ceux-ci participeront aux combats en Afrique et en Europe, ou ils se distingueront par leur bravoure et leur vaillance. Toutefois le régime colonial demeura inchangé après le conflit.

De 1921 à 1934, la construction du chemin de fer Congo-Océan sera un enfer : sur les 120 000 africains soumis au travail forcés durant les treize années que dureront les travaux, on dénombrera plus de 20 000 morts d’épuisement, de maladie ou de mauvais traitements.

L’amorce du processus de décolonisation :

Lors du deuxième conflit mondial, 1939-1945, les populations d’Afrique relevant des territoires coloniaux français de l’AEF (Afrique Equatoriale Française) et de l’AOF (Afrique Occidentale Française) seront mobilisées de gré ou de force pour combattre sur les champs de bataille où blancs et noirs tombèrent également sous les balles ennemies.

Brazzaville, capitale fédérale de l’AEF, point de convergence des soldats relevants de celle-ci, deviendra la capitale de la France Libre, suite à l’appel à la résistance contre l’occupation allemande de la France lancé par le Général Charles de Gaulle le 18 Juin 1940, depuis son exil à Londres (Angleterre). C’est ce même homme d’Etat qui déclenchera au cours de l’historique Conférence de Brazzaville du 30 Janvier au 08 février 1944, le processus de décolonisation de différents territoires d’Afrique noire placés sous domination coloniale française. A noter que les débats ne réunirent que les gouverneurs de l’AEF et de l’AOF et les chefs de territoires affiliés, sans aucune participation d’africains.

Charles de Gaulle à la conférence de Brazzaville

En application des recommandations de la Conférence de Brazzaville visant la participation progressive des populations africaines au choix de leurs représentants dans les organes institutionnelles de prise de décision et à la direction de leur propres affaires au sein des instances délibératives locales (Assemblées représentatives territoriales), fédérales (Grands conseils fédéraux de l’AEF et de l’AOF), et métropolitaines (Assemblée nationale et Senat), l’activité politique s’intensifiera dans différents territoires coloniaux français.

Au Moyen Congo, deux principales formations politiques feront leur apparition au lendemain de la 2e guerre mondiale, elles entreront pour la première fois en compétition électorale pour le scrutin législatif d’octobre 1945 :

 Le PPC (Parti Progressiste Congolais) fondé par Jean Félix Tchicaya [2], instituteur frais émoulu de la prestigieuse école normale William Ponty à Gorée au Sénégal, ancien soldat des troupes françaises libres, rattaché au Rassemblement Démocratique Africain (RDA) de Félix Houphouët Boigny et apparenté au Parti Communiste Français de Maurice Thorez.
 Le MSA (Mouvement Socialiste Africain) affilié à la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), dirigé au niveau local par Jacques Opangault, commis greffier au tribunal de grande instance de Brazzaville.

Les premières élections législatives d’après guerre et toutes celles qui s’en suivront jusque en 1956, seront constamment remportées par le PPC. Son leader Jean Félix Tchicaya sera élu premier parlementaire autochtone du 2e collège de la circonscription du Moyen-Congo et du Gabon à l’Assemblé Nationale française. Il siégera au Palais Bourbon à Paris, ou il retrouvera Lamine Gueye et Léopold Sedar Senghor élus députés des première et deuxième circonscriptions du Sénégal, Félix Houphouët Boigny, Mamadou Konaté, Mamba Sano et Ahmed Sékou Touré respectivement élus députés des territoires de Cote d’Ivoire/Haute-Volta, du Soudan Français (actuel Mali) et de Guinée-Conakry. Ils œuvreront de concert pour l’aboutissement du processus de décolonisation pacifique de l’Afrique.

En 1955, de violents remous politiques secouent la métropole française et conduisent le gouvernement de Pierre Mendès France à la dissolution de la chambre des députés. Dans la perspective des législatives anticipés du 2 janvier 1956, la configuration politique locale du Moyen-Congo à l’origine dominée au sud par la panthère PPC de Jean Félix Tchicaya, et le coq socialiste MSA de Jacques Opangault, qui régnait en maitre au nord, connaitra une profonde recomposition avec l’entrée en lice du caïman de l’UDDIA (Union Démocratique pour la Défense des intérêts Africain) créée par l’Abbé Fulbert Youlou, après un premier coup d’essai politique parrainé par le Conseil Coutumier des chef traditionnelles Kongo.

Par une sorte de transmutation, malgré le refus de la hiérarchie ecclésiastique, le prêtre deviendra le messager d’une collectivité laïque : le peuple lari. Ses ouailles ne chercheront pas seulement le salut de leurs âmes, mais aussi et surtout un devenir meilleur que seul semblait pouvoir leur apporter cet abbé dépositaire du « mythe Matsoua ». Ils placèrent en lui tous leurs espoirs.

Les résultats des élections de 1956 tourneront une fois de plus en faveur du député Jean Félix Tchicaya, qui remportera ce scrutin d’extrême justesse avec 31% de voix contre 29,1% à Jacques Opangault et 27,1% à l’Abbé Fulbert Youlou. Les électeurs de ce dernier estimant le scrutin entaché de nombreuses et flagrantes irrégularités, se livreront à de violentes manifestations. Des collectes de fonds destinés à financer le voyage de leur leader à Paris, pour tenter d’obtenir l’invalidation des élections contestées, seront organisées principalement à Bacongo et dans le Pool.

Bien que n’ayant pas obtenu gain de cause, le Curé sera porté en triomphe à son retour de France. Il étendra par la suite son audience à d’autres régions du pays et même au-delà du Moyen-Congo. Un pacte signé entre Jean Félix Tchicaya et Jacques Opangault, lui vaudront le soutien de nombreux transfuges du PPC.

La redistribution des cartes politiques ainsi opérée, laissera présager un clivage politique ethnocentrique nord/sud, résultant de la politique coloniale consistant à diviser pour mieux régner. La nouvelle rivalité politique Youlou/Opangault est focalisée autour de la constitution de deux blocs antagonistes :
 La coalition MSA-PPC et apparentés, ayant à sa tête le leader nordiste Jacques Opangault.
 L’alliance UDDIA-RDA/UMC conduite par le sudiste Abbé Fulbert Youlou, qui remportera les premières élections municipales du 23 Novembre 1956 successivement à Brazzaville (l’Abbé Fulbert Youlou), Pointe-Noire (Stéphane Tchitchelle) et, Dolisie (Pierre Goura) grâce au ralliement de plusieurs transfuges du PPC.

L’assemblée territoriale issue des élections du 31 Mars 1957, avait pour enjeu politique majeur la constitution du premier conseil de gouvernement habilité à gérer les affaires intérieures territoriales du Moyen-Congo, conformément aux dispositions de la loi cadre Gaston Defferre N°56-619 du 23 Juin 1956. Les deux forces politiques en présence disposaient d’une quasi parité de sièges, dans la proportion de 23/45, en faveur de la coalition MSA/PPC et apparentés. Elle devançait donc l’alliance UDDIA-RDA/UMC d’un siège :

MSA/PPC UDDIA-RDA/UMC
MSA 17 UDDIA 17
SFIO 2 UMC(métro) 5
PPC 2
UDSR (métro) 1
RPF (métro) 1
TOTAL 23 TOTAL 22

Fort de sa majorité très relative à l’assemblée territoriale, Jacques Opangault sera porté à la tête du premier conseil du gouvernement du Moyen-Congo, en qualité de vice président, la présidence étant dévolue de droit et à titre honorifique au représentant du pouvoir de tutelle, en l’occurrence le gouverneur-chef de territoire.

Rendant publique la première équipe gouvernementale habilitée à gérer les affaires de l’Etat autonome du Congo, dont la composition reflètera la configuration de l’assemblé territoriale. Son vice-président, Me Jacques Opangault affirmera que :
« La répartition des portefeuilles ministériels s’est effectuée sans aucune difficulté, dans une atmosphère de fête et de grande bonne volonté de la manière suivante… »

FONCTIONNOMPROFESSIONTITREPARTI
Vice-président du conseil du gouvernement chargé de l’administration générale Jacques Opangault Commis greffier Président MSA – Conseiller territorial MSA
Ministre de l’agriculture, des eaux et forêts et de la météorologie Fulbert Youlou Ecclesiastique Président UDDIA – Conseiller territorial – Maire de Brazzaville UDDIA-RDA
Ministre des affaires économiques, des paysannats et du Plan Simon Pierre Kikounga-Ngot Employé Syndicaliste CGT-Conseiller Territorial MSA
Ministre des affaires sociales, du travail, santé, habitat et services sociaux Stéphane Tchitchelle Agent CFCO Conseiller Territorial - Maire de Pointe-Noire UDDIA-RDA
Ministre de l’enseignement, de la jeunesse et des sports Bernard Mambeke-Boucher Agent OMS Hors Assemblée MSA
Ministre des affaires financières François-Xavier Zakete Moniteur enseignement privé Hors Assemblée UDDIA-RDA
Ministre du Budget Joseph Vial Ingénieur Métropolitain UDDIA-RDA
Ministre de la fonction publique Jean Nardon Agent CFCO Metropolitain-Conseiller Territorial UDSR
Ministre des travaux publiques et de l’infrastructure aérienne Charles Vandelli Industriel Metropolitain - Conseiller Territorial UDDIA-RDA
Ministre de la production industrielle, des mines, des transports et du tourisme André Kerherve Imprimeur Metropolitain - Conseiller Territorial MSA

Très vite, cette cohabitation gouvermentale focalisée sur l’antagonisme MSA/UDDIA, et la rivalité politique légendaire Opangault/Youlou, identifiés à tort ou à raison au Nord et au Sud, par rapport à la position géographique de leur contrée d’origine respective, connaitra plusieurs crises intenses et récurrentes susceptibles de mettre en péril la stabilité institutionnelle et la cohésion sociale de l’Etat autonome du Moyen-Congo, dont voici quelques épisodes :
1- Défection du député MSA de Makoua, Henri Itoua, qui accordera son suffrage déterminant lors de l’élection du président de l’Assemblée Territoriale à Philipe Jayle de l’UDDIA-RDA, au détriment du candidat de son parti (MSA) et coreligionnaire de Fort Rousset (actuel Owando dans la cuvette), Maurice Leyhet-Gaboka ;
2- Mort subite, par accident de circulation du député métropolitain René Dumond, qui ramènera les deux forces politiques en présence à une parité de sièges après l’élection partielle remporté dans le Kouilou par Makaya (UDDIA) face à Jean Aimé Makosso (MSA/PPC) ;
3- Rocambolesque ralliement au groupe parlementaire UDDIA-RDA/UMC du député Georges Yambot, élu à Mossendjo dans le Niari, sur une liste GPES parrainée par Simon-Pierre Kikounga-Ngot, dissident du PPC passé au MSA. Ce raliement favorisera le basculement de majorité à l’Assemblée territoriale [3]. La nouvelle majorité UDDIA-RDA/UMC adoptera à l’unanimité [4] la délibération N°112-58 érigeant le territoire du Moyen-Congo en Etat membre de la communauté et portant création de la République du Congo, avant d’entériner l’investiture de l’Abbé Fulbert Youlou, en qualité de premier ministre, chef du gouvernement provisoire de la République du Congo.

Voici à ce sujet, le récit des événements du 28 Novembre 1958, tels que relatés par Jean Michel Wagret, [5] :

28 novembre 1958, Proclamation de la République du Congo et investiture de l’Abbé Fulbert Youlou en qualité de Premier Ministre, Chef du gouvernement provisoire de la République du Congo, entouré du Ministre de l’Intérieur et des affaires étrangères Stéphane Tchitchelle et du Président de l’Assemblée législative Joseph Vial.
Vue de l’assistance, sur la table du gouvernement provisoire on reconnaît de gauche à droite : Emmanuel Dadet, Victor Sathoud, Valentin Thombet, Innocent Odicky, Germain Samba, Prosper Gandzion, Jean Biyoudi, Hilaire Mavioka, Zéphirin Moe-Poaty, Dominique Sombo-Dibele, Valentin Moubouh, Albert Fourvelle, André Kerherve.

« …La réunion de l’Assemblée du Congo, qui doit décider des nouvelles institutions du pays, s’ouvre le 25 novembre 1958 ; YAMBOT, qui depuis son ralliement à l’U.D.D.I.A (Parti de l’Abbé Fulbert YOULOU), vit sous la terreur d’un mauvais coup, vengeance d’un fanatique du M.S.A (Parti de M. Jacques OPANGAULT), est amené pour la circonstance à Pointe-Noire, où siège l’assemblée, sous bonne escorte de ses nouveaux amis politiques.
Mais les 23 U.D.D.I.A et les 22 M.S.A n’arrivent à s’entendre le 28 novembre que sur le principe de la création d’une République du Congo.
Cependant, le28, dans l’après-midi, les événements se précipitent ; des manifestants se réunissent autour de l’immeuble où siège l’assemblée ; l’origine de la manifestation n’est pas très nette ; il semble qu’il y ait là un peu de tout. Après un échange d’invectives, les députés M.S.A quittent la salle, laissant la place libre à la majorité U.D.D.I.A.
Immédiatement, et tandis que l’émeute gronde à la porte, le Président JAYLE met aux voix la loi constitutionnelle No 1 :
« portant organisation des pouvoirs de la République du Congo et déterminant les conditions de préparation et d’approbation des lois constitutionnelles de la République ».
Cette première loi constitutionnelle comprend 12 articles rédigés rapidement et sans grand souci de correction juridique. Il s’agit essentiellement de faire vite et d’organiser un cadre politique à peu près viable, dans lequel l’équipe U.D.D.I.A, pourra immédiatement prendre les places, mettant à profit le retrait des députés M.S.A...
L’ensemble de cette première loi constitutionnelle est adoptée à l’unanimité des 23 députés U.D.D.I.A. présents. Puis sans désemparer, les 23 confient les fonctions de Premier ministre à l’Abbé Fulbert YOULOU et adoptent la loi constitutionnelle No 2 transférant la capitale de la République (sur proposition de l’Européen SEVELY) à Brazzaville.
Après quoi, les 23 quittent la salle sous les huées et les pierres des manifestants ponténègrins que la « dégradation » de leur ville, perdant son rang de capitale du Congo, rendait furieux ; et immédiatement les députés U.D.D.I.A. frètent une micheline pour rejoindre Brazzaville.
Le lendemain, 29 novembre, la minorité M.S.A. se réunit seule et se contente de déclarer illégale la séance de la veille sans rien décider de concret. Dans les jours qui suivent, les troubles et les désordres dans la rue se multiplient à Pointe-Noire ; les militants P.P.C. (Parti de M. Félix TCHICAYA) et M.S.A. d’une part, et les troupes U.D.D.I.A. d’autre part, se heurtent ; des cases brûlent ; on compte trois morts et plusieurs dizaines de blessés ; la troupe et l’aviation doivent intervenir… Les débuts de la jeune république sont difficiles

Le 8 décembre, à Brazzaville, l’Abbé YOULOU constitue son gouvernement, dans lequel il aura réussi à faire entrer deux élus du M.S.A. (le député de l’Alima/Léfini, FOURVELLE et l’européen KERHERVE), ce qui consolide sa majorité parlementaire qui peut compter désormais 25 voix contre 20 au M. S. A.

-Vers l’épreuve de force-

La réaction du M.S.A. est lente ; en réalité ce parti décimé par les défections successives subit une grave crise interne où son unité est en jeu ; OPANGAULT est en butte aux critiques les plus violents des jeunes militants et des « jeunes turcs » du parti (KIKHOUNGA N’GOT, AMBILY, BOUENDE) qui lui reprochent son manque d’astuce politique et de diplomatie. OPANGAULT, rendu responsable de la déconfiture du M.S.A. ferait certainement les frais de cette opération et se trouverait relégué à un vague poste honorifique si la fidélité massive des populations du Nord ne lui assurait une position personnelle inexpugnable.
La séance du comité directeur du M.S.A. du 9 janvier 1959 se termine par l’expulsion des rénégats ITOUA, FOURVELLE et KERHERVE (l’expulsion d’ITOUA, coupable de sympathies inavouées envers l’U.D.D.I.A., fait tomber à 19 le nombre de députés M.S.A. « sûrs »).

Désormais, le M.S.A. n’a d’autre recours que de réclamer de nouvelles élections, avant que ses adversaires, qui ont le vent en poupe, n’aient eu le temps de s’organiser au pouvoir et de consolider leur situation dans le pays….
La colère monte au sein du M.S.A. ; le conflit sans solution politique possible ne pourra trouver son aboutissement que dans une épreuve de force. KIKHOUNGA N’GOT, de retour de Paris où il s’est rendu, en compagnie de LANGEVIN, en janvier 1959, déclare à Dolisie, dans une réunion publique :
« Je vous invite à vous unir et, s’il le faut, à faire la guerre civile pour obtenir l’écrasement de ce gouvernement, qui ne représente rien et se refuse à de nouvelles élections ainsi qu’il avait été précédemment convenu… » « …le peuple Niari ne se laissera pas faire, nous allons provoquer de nouvelles élections et, s’il le faut, nous les imposerons par la force…ce n’est pas YOULOU qui commande, mais VIAL, qui a beaucoup d’argent et fait faire ses quatre volontés ; MAHE, qui a trahi et torturé ses frères de race pendant l’occupation allemande, et Christian JAYLE ; si ceux-là viennent à Dolisie, nous les pendrons par les pieds ; s’il le faut j’irai jusqu’à la guerre civile… »
Les réactions des populations du Nord à ce qui leur apparaît comme une hégémonie Bas-Congo, et plus particulièrement Balali, sera également très vive ; lorsque par exemple, le Premier Ministre nomme au poste de chef de district de Fort-Rousset, dès décembre 1958, un commis des S.A.F. de race Balali, des villageois iront jusqu’à couper les ponts en pays Mbochi, sur la route de Fort-Rousset, à la seule nouvelle de sa prochaine arrivée ; en fait, il ne tentera même pas de rejoindre son poste.
Mais c’est à Brazzaville, ce lieu géométrique où se rencontrent les ethnies congolaises et où, notamment, Balali et la forte colonie Mbochi de Poto-Poto se trouvent en contact, que l’épreuve de force ira revêtir son aspect le plus sanglant et le plus cruel.

-Les incidents de Brazzaville, février 1959-

L’horreur des journées de février 1959 est restée dans toutes les mémoires ; pendant plusieurs jours, du 16 au 20 février, Balalis et Mbochis vont s’entre égorger ; on comptera 99 morts, 160 blessés graves et plus de 350 cases détruites….
La cause lointaine de ces troubles est évidemment l’hostilité traditionnelle des Balalis et des Mbochis, hostilité exaspérée par la rivalité des deux partis, U.D.D.I.A. et M.S.A., depuis que le premier a ravi le pouvoir au second.
Le M.S.A., depuis décembre, s’est enfermé dans une attitude de refus ; les députés de ce parti ne participent plus aux travaux de l’Assemblée, qui a voté en leur absence le budget de 1959 ; les leaders refusent tout contact avec le Premier Ministre et les autorités de la Communauté et se livrent à de véritables campagnes d’excitation. Le 16 février, le député du P.P.C., POUY, fait au bar BOUYA à Poto-Poto, des déclarations incendiaires qui seront à l’origine des troubles.
OPANGAULT sera arrêté dès le début des émeutes (ainsi que POUY), on a trouvé chez lui un fusil ; mais ce sont ses appels à la violence qui lui seront reprochés ; cette arrestation, dont on pouvait craindre qu’elle ne décuple la colère des Mbochis, sera en fait un facteur de retour au calme en manifestant la volonté des autorités de ne pas laisser la rue arbitrer la rivalité M.S.A. – U.D.D.I.A.
OPANGAULT sera d’ailleurs libéré le 3 juillet et ne passera pas en jugement, bénéficiant des dispositions de la loi d’amnistie votée au lendemain des élections de juin 1959.

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