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Racines

Les luttes menées par les musiciens africains américains

Les Noirs Américains et les luttes menées par les musiciens africains américains : du blues qui a de la gueule.

1. Histoire du jazz. Dans l’histoire du Jazz, musique née de la transplantation des Noirs d’Afrique sur le continent américain, à travers le commerce esclavagiste triangulaire, les Noirs américains adaptent sur les instruments occidentaux, la musique africaine. A chaque fois qu’ils tentent de jouer du piano, du saxophone, de la trompette, l’attracteur de la négritude les ramène vers les fondements de la musique africaine. Cependant cette nouvelle musique ne ressemble plus à la musique africaine d’origine, encore moins à la musique occidentale. Cette musique raconte l’histoire des Noirs d’Amérique. Mais quelle histoire ? Le Jazz, c’est l’expression de l’identité noire en Amérique. La première période, appelée le swing, est une période d’assimilation. Les musiciens essaient d’amuser le public bourgeois, blanc en particulier. Duke Ellington, Louis Amstrong, Fats Waller, Art Tatum, etc. Dans son roman Banjo, Claude Mac Kay consacre un chapitre entier, "Jelly-Roll", au black entertainer (noir amuseur) : "Jouez, s’il vous plaît. Vous Américains ? J’aime beaucoup les Nègres jouer le jazz américain. Je les entends à Paris. Epatant ! "(1).
2. Histoire du militantisme noir américain. Cependant la situation socio-économique de la communauté noire américaine va de mal en pis. L’Afrique noire reste encore sous domination coloniale. Pendant des années les Noirs aux Etats-Unis ont trop souffert. En 1863, Abraham Lincoln proclame leur émancipation. Partout où la ségrégation raciale a existé, l’exploitation a pris une autre tournure. Les Noirs ne sont pas intégrés en Amérique. Ils sont exclus de l’emploi, de l’habitat, de la santé, de l’éducation. Au Sud des Etats-Unis d’Amérique, les Noirs ont été terrorisés par une organisation secrète blanche appelée "Ku Klux Klan". Beaucoup de Noirs avaient immigré dans les villes du Nord où ils étaient devenus le sous-prolétariat de capitalisme américain. Les quartiers dans lesquels ils vivaient ont été appelés : "ghettos". Comme les townships en Afrique du Sud, comme les favelas au Brésil. En tout cas leur vie renvoyait presque à une image de mort : famine - chômage - criminalité - délinquance - drogue - prostitution, une désorganisation sociale tout court. Nous pouvons comparer les Noirs américains de ce temps comme une communauté de prisonniers, vivant en plein air ; et le ghetto à un cachot souterrain. Cependant ils n’attendront pas longtemps pour que la situation change toute seule. Ils ont dû lutter pour obtenir l’égalité juridique avec le peuple blanc. Seule une élite noire minoritaire jouissait du bien-être américain. Au lieu de se résigner et de résoudre individuellement chacun dans sa solitude son problème existentiel, une partie de l’élite noire américaine va poser le problème noir aux USA sur le plan global de la politique, pour revendiquer des solutions globales. Cette création des classes d’équivalence est la réponse apportée à la question de la Négro-Renaissance. Cela signifie-t-il la guerre ? Non ! "Qu’est-ce qu’un homme révolté ?" s’est demandé Albert Camus, dans son livre L’homme révolté. Il a répondu : "C’est quelqu’un qui refuse, mais il n’abandonne pas le combat. C’est aussi quelqu’un qui accepte. Ce "Non" signifie que" les choses ont trop duré " ;" jusqu’à là oui, au-delà non ". La révolte justifie le surpassement de soi-même. Il a pris conscience de sa situation. Donc l’esclave aussitôt qu’il rejette l’ordre répressif, les lois discriminatoires, supprime sur le plan de la conscience, de la représentation, sa condition d’esclave et proclame sa liberté. Dans le cas des Noirs américains, c’était la même chose. Comme ils ont pris conscience de leur condition de servitude ; cela signifie, ils ont analysé leur situation selon leur passé, il n’y avait pas de limites désormais qu’ils ne pouvaient surpasser. Le problème individuel de logement que se pose chaque Noir, les problèmes de santé, les problèmes familiaux, les problèmes d’éducation, les questions d’argent vécus par les jeunes garçons et jeunes filles confrontés aux idylles amoureuses ne sont plus appréhendés comme des problèmes personnels, mais des problèmes se posant à tous les Noirs américains. M’Boka Kiese écrivit en 1988 (2) : [...]Ces intellectuels auxquels le Parti Congolais du Travail refuse les moyens de production intellectuelle, doivent apprendre à ne plus considérer leurs problèmes dans la vie quotidienne, comme des problèmes individuels. lls doivent cesser d’étaler dans les lieux publics leurs états d’âme suicidaires. Ils doivent cesser d’imploser ; ils doivent corriger ces attitudes d’infériorisation de la conscience humaine : « Les masses les plus dangereuses sont celles dans les veines desquelles on a inculqué le venin de la peur, la peur du changement » (Octavio Paz). Autrement dit, les moyens matériels qui vous sont refusés pour réaliser vos choix politiques ,« les problèmes d’argent », pour abuser d’un langage populaire, ces problèmes sont mal compris, s’ils sont appréhendés comme des problèmes relevant de la vie d’un seul individu. Dès lors la sociologie de la connaissance est faussée et la souffrance de l’individu perdure, tant qu’il ne se libère pas de son ignorance. On ne naît pas avec des problèmes individuels à l’image des maladies congénitales.

Les problèmes moraux, sociaux non résolus par un individu durant la trame de sa vie , ces problèmes de la vie, dans la mesure où ils se posent à tout le monde, sont des problèmes politiques, et nécessitent donc des solutions politiques. [...] Toutes les humiliations subies dans la société civile, dérision, mépris, calomnie, médisance, perte de vie privée, ostracismes qui naissent du fait d’une précarité matérielle, elle-même due au chômage, cessent dès que l’individu s’engage dans la vie politique. [...](M’Boka Kiese, op., cit., p. 185-186). On parle ainsi en philosophie d’une prise de conscience radicale. Radicale veut dire, prendre les choses à la racine du mal où ces problèmes vitaux se posent chez chaque individu blanc ou noir, jaune ou rouge, démarrant dans la vie et voulant s’émanciper économiquement et socialement. L’être humain n’est plus guidé dans ses actions quotidiennes par des instincts grégaires mais par la raison. Il n’est plus conditionné, il est libre. Naissance des mouvements politiques noirs. Mouvement de non-violence de Martin Luther King inspiré de Gandhi, mouvement religieux des Black Muslim dont un des leaders fut Malcolm X. Les activistes Black Panthers sensibles au message de Malcolm X font irruption sur la scène politique. Soul To Soul : 1971, les Africains Américains retournent aux sources culturelles et spirituelles du continent africain, au Ghana de Nkwame Nkrumah, apotre du panafricanisme. Parmi les pélerins, figurent Wilson Pickett, le couple Ike et Tina Turner, The Staple singers, Voices of East Harlem. Dans son Nouveau vocabulaire philosophique, Armand Cuvilier (3) définit La catharsis comme une thérapeutique psychanalytique consistant à débarasser le sujet de ses troubles (A. Cuvillier, op. cit., p. 11). Deux méthodes peuvent être appliquées suivant que le patient constitue un individu ou un groupe d’individus. Dans le premier cas d’un seul sujet, le médecin rappelle au patient, l’idée dont le refoulement des troubles a causé à sa conscience ; S’agissant d’un groupe d’individus, l’abréaction est la méthode plus recommandée. A. Cuvillier définit cette dernière comme "Une décharge émotionnelle permettant au sujet de se libérer d’un choc ancien qui n’avait pu aboutir à une réaction satisfaisante" (A. Cuvillier, op. cit., p. 11). Black is beautiful, est le slogan primé et scandé lors des grandes messes musicales populaires comme le Wattstax, organisées le 20 août 1972 à Watts, pour commémorer les émeutes du ghetto noir de Los Angeles. Le musicien et comédien Isaac Hayes vêtu de chaînes de l’esclavage s’autoproclame Black Moses (le Moïse noir) ! Le maître de cérémonie de cette messe cathartique fut le pasteur Jesse Jackson ; Bien avant l’actuel président Barack Obama, bien après Shirley Chisholm (1924-2005), ce théologien et militant des droits civiques fut à trois reprises, en 1984, en 1988 et en 2004, candidat aux primaires du Parti démocrate pour les élections présidentielles américaines.

3. Emancipation économique et sociale des Noirs Américains. Le jazz est une musique élitiste. Seule une fraction minoritaire noire et blanche développe l’ouïe et la finesse du jazz. Par conséquent l’industrie et le commerce du jazz ne profitent pas à l’ensemble des musiciens noirs et posent un démenti à la devise du naturaliste Lamarck : "La fonction crée l’organe". Peu de musiciens de Jazz vivent de leur métier. Beaucoup de saxophonistes talentueux traînent dans les couloirs de métro de New-York ou échouent dans les villes européennes. Le jazz n’est pas un cas unique. Une musique populaire avait déjà échoué chez les Noirs, celle du Rock’n’Roll. Elvis Presley ou les Rolling Stones ont bien puisé dans le blues africain-américain ; ils ne s’en cachent pas. Mais les plus-values du Rock’n’Roll profitent en grande partie aux artistes et industriels leucodermes. Comment promouvoir une moyenne bourgeoisie noire de l’industrie musicale de la Soul, du Gospel, du Funk et du blues dont la firme Motow va constituer le barycentre ? Comment créer, ici et maintenant, des richesses, des emplois, dans une communauté juvénile noire paupérisée, exclue des marchés du travail, de la nomenklatura politique et intellectuelle ? C’est le défi ou l’histoire d’un ancien boxeur nommé Berry Gordy.

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Le système économique américain est d’essence capitaliste, au sens marxiste du terme. L’industrie berrygordyenne va fonctionner suivant le mode de production capitaliste. Il faut réunir à la fois un capital et de la main-d’oeuvre ou de la matière grise ; créer un produit, une marchandise ; le commercialiser dans un large marché ; accumuler de la plus-value ; épargner ; réinsvestir ; recommencer le cycle capitaliste (voir M’Boka Kiese, "L’accumulation récursive du capital", revue Paari, vol. 4, 2003-2004, p.89-110). Berry Gordy se sert du capital des ressources humaines et spirituelles des ghettos noirs. Au lieu que son produit musical tourne en autarcie dans la communauté noire, selon l’adage kongo "Zinianzi za zingi ka zinengomonanga mbizi ko" (Plusieurs mouches rassemblées ne peuvent pas soulever la viande de gibier) ; il refuse ce régime de monopsone, d’un seul acheteur et qui plus est, Berry Gordy n’a pas le monopole du marché musical ; Celui-ci étant un oligopole, Berry Gordy l’étend en oligopsone, en visant le marché national américain. Sur le fronton de ses bâtiments commerciaux, sis au marché populaire de Moungali, à Brazzaville (Congo), le commerçant congolais Ta Ngulu-Nkunku avait inscrit la devise suivante : "Zandu ka diena mu ntekila ko, mpasi nsolo (Ce n’est pas le commerçant arrivant le premier qui gagne un marché, c’est celui qui propose de la bonne marchandise qui satisfait à une large clientèle).  La firme de Berry Gordy créera ses richesses autour d’un produit d’essence africaine-américaine, le Rhythm and Soul. Celui-ci ira à la conquête du marché de l’émotion, de la sensibilité, de l’âme des jeunes garçons et jeunes filles du monde entier, toute race confondue. Ces concurrents n’avaient pas atteint cette dimension planétaire. Michael Jackson fut le mousquetaire de cette révolution berrygordyenne. Pour réussir son pari, son émancipation industrielle et commerciale, les synapses du cerveau de Berry Gordy fonctionnaient suivant un modèle mathématique caché (hidden mathematical model).  

Décennie 1970 : Naissance d’une esthétique cinématographique

Coffy nommée Blaxploitation (Black Exploitation) dans laquelle des Noirs comme Melvin van Peebles, Jim Brown (l’exécuteur noir), Fred Williamson (Hell up in Harlem), Richard Roundtree (Shaft), Yaphet Kotto (Friday Foster), Pam Grier (Coffy)  jouent des rôles de comédiens classiques opposés à ceux issus de l’esclavage et de la servitude.

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Pour la première fois, la musique noire américaine irrigue le cinéma noir américain naissant. James Baldwin, que nous avons rencontré à Paris (France) dans les années 1980 vers Odéon dans la librairie La Pensée Sauvage, avait découvert la réalité qui se trouve derrière les mots "Acceptation" et "Intégration". Selon sa pensée, les Noirs ne doivent pas essayer de devenir comme le peuple blanc. La chose vraiment biblique, il a prophétisé, les Noirs doivent accepter avec amour les Blancs. L’élite intellectuelle et politique américaine de souche blanche, au risque d’imploser et, pour maintenir le leadership des Etats Unis d’Amérique dans le monde, sera condamée à opérer des réformes éthiques et politiques. Cette solution pacifique proposée par James Baldwin a fait des Etats-Unis ce que les Etats-Unis sont devenus. Une nation cosmopolite où l’élite intellectuelle nationale et d’origine étrangère est la mieux intégrée. C’est le seul pays au monde ayant dépassé la lutte des classes entre Intellectuels vivant aux Etats-Unis dans l’esprit d’Antoine de Saint-Exupéry (in Citadelle) : "Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, plutôt tu m’enrichis".

Les valeurs de l’humanisme intégral (Bumuntu en kikongo) proclamées dans les déclarations universelles des droits de l’homme vont inspirer le pouvoir américain. Les deux grands partis politiques américains, le parti démocrate et le parti libéral vont intégrer respectivement l’élite politique noire. Le droit de vivre pour chaque citoyen américain sera décrété inaliénable sur l’ensemble du territoire américain. Les théologiens américains vont plancher sur une relecture de la Bible, notamment de l’ancien testament. Sportin’Life : "[...]Mathus’lem vécut neuf cent ans. Mathus’lem vécut neuf cent ans. Mais vous parlez d’une vie, ça, quand pas une fille se donn’ra à un bonhomme de neuf cent ans. Je veux montrer, en prêchant c’sermon, qu’y s’peut que ça soit, que ça soit, que ça soit, y’ s’peut que ça soit autrement"(4). La lutte de classes entre intelllectuels noirs et blancs en Amérique va s’atténuer pour se substituer en une sorte d’émulation intellectuelle. Les prestigieuses universités américaines Harvard, Princeton, Ucla, etc, vont s’ouvrir aux Intellectuels noirs, enseignants et étudiants, sans préjugés de couleur. Parallèment des institutions supérieures de formations et de recherches, Howard university (fondé en 1867), Spelman College (fondé en 1881), Hampton university (fondé en 1868), Morehouse (fondé en 1867), Tuskegee university, etc., assureront la promotion de la compétence communautaire. Mais dejà en 1928, Claude Mac Kay dans roman réaliste Banjo relatait la fulgurante avancée des Noirs Américains. Il y expose une conversation entre deux personnages, Ray, un écrivain noir américain échoué à Marseille et un étudiant ivoirien, curieux de connaître la condition des Noirs chez les Ricains : "Voyez-vous là-bas, le préjugé racial pousse les Noirs à s’unir pour développer leur vie communautaire. Les Noirs américains ont leurs propres écoles, leurs églises, leurs restaurants, leurs hôtels, leurs journaux, leurs théâtres, leurs cabarets. Ils travaillent pour les Blancs mais ils ont une vie sociale au sein de leur groupe, une activité intense et pleine de vie au milieu de l’armée de Blancs qui les entoure. (C. Mc Kay, op. cit. p. 198-199).
Logiquement les demandes des trois mousquetaires de la Négritude, Damas, Senghor et Césaire, auraient porté leurs fruits dans le monde francophone et plus étrangement en Guyane, au Sénégal et en Martinique ; curieusement les Etats-Unis et la communauté noire américaine étaient les premiers pour profiter du positivisme de la pensée de la négritude, la pensée de la liberté : "Dans ces conditions on comprend que nous ne puissions donner à personne délégation pour penser pour nous ; délégation pour chercher pour nous ; que nous ne puissions désormais accepter que qui que ce soit, fût-ce le meilleur de nos amis, se porte fort pour nous." (5). Le pouvoir est au bout de la science et de la technologie. C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis dominent le monde. Ils ont intégré l’élite noire américaine dans la production de l’économie américaine, alors qu’ailleurs dans le monde entier les Noirs sont réduits à la sous-consommation. Et aucun d’eux ne voudra que l’Amérique soit prise au piège dans sa propre histoire. Alors les Noirs savent dorénavant comme le grand poète dans une prison souterraine : The very time I thought I was lost, my dungeon shook and my chains fell off ( Alors que je pensais que j’étais perdu, mon cachot souterrain a tremblé et mes chaînes tombèrent (James Baldwin, in The Fire next time ). Il enchante l’espoir et l’optimisme.
4. Métamorphose du jazz : De born to swing à born free. Une certaine élite intellectuelle de musiciens de Jazz va sublimer l’état d’âme des Noirs américains dans leur trajectoire de musiciens. Ils vont opérer une révolution à l’intérieur de la musique. Pour que le bourreau arrête de persécuter ma conscience il faut que je sois capable d’exprimer sous forme imaginaire la terreur dont je suis victime ; puis la dépasser en formulant ma plainte sous forme esthétique. Cette démarche est hégélienne. C’est son point de rupture avec son cadet Karl Marx. Hegel ne prend pas les armes de guerre. Non ! Son militantisme s’investit au niveau de la création des concepts, au niveau de l’entendement. L’option hégélienne est la solution la plus difficile. Cette réserve d’énergie est déjà création de la matière. Les Negro’spiritual sont un genre musical découvert par les Noirs américains pour accompagner la relation spirituelle de l’homme à Dieu. Le negro’spiritual est un genre musical libre indemne de toute pénétration étrangère à l’âme noire. Sans aucune influence du Christiannisme, de l’Islam, du judaïsme, ni du boudhisme, c’est une relation directe, mystique de Dieu à la communauté noire américaine. GospelLe negro’spirituals fonde l’unité spirituelle des Noirs américains. Par contre dans le Gospels nous constatons la subordination de l’âme noire américaine aux églises occidentales. On parle ici d’acculturation, pont inéluctable entre l’amérique blanche et l’amérique noire ; il a accouché du Rock and Roll. Dans le Blues, l’homme noir se libère des contraintes communautaires. Il n’est plus américain, ni noir non plus ; il n’appartient plus à une famille. Il est seul au monde, né libre (born free), et interroge sa propre existence. Puisque l’homme a été créé à l’image de Dieu ; comme enfant de Dieu, il est son semblable. Dans le blues il peut le titiller en l’interpellant : "Pourquoi, y a t-il tant de détenus Noirs dans les prisons américaines alors que la population noire aux Etats-unis est la moins élevée ?". Le bluesman trouve vain de relever la médiocrité du monde. Il est déjà responsable de sa propre vie. Egocentrisme, crieront certains ! Oui, le blues est une forme d’existentialisme. Mais Negro’spirituals, Gospels et Blues trouvent leur rayon de convergence vers le Jazz, la partie exacte de la pensée musicale noire américaine.
5. Du Bebop au Free-Jazz. De la période d’assimilation, le Jazz va connaître une période de rupture, nommée période de la séparation. C’est le Bebop. Charlie Parker (saxo alto), Dizzy Dillespie (trompette), Thelonious Monk (piano), le batteur cubain Mongo Santamaria, Sarah Vaughan (chanson). Le Bebop est un style de jazz élaboré dans les années 1940 aux USA par des musiciens noirs comme Charlie Parker(saxophone) et Dizzy Gillepsie (trompette) ou Sarah Vaughan (voix scat), Thelonious Monk (piano) et bien d’autres. Les jazzmen réinterprètent sur un plan musical le rythme des coups de matraque assénés par un policier blanc sur la tête d’un Noir : " Bop, Bop !...Be bop !... "(6). Inéluctablement, le bebop est structuré autour de la discontinuité mélodique et rythmique. La section rythmique marque le tempo, la vitesse d’exécution de la musique. Batterie, contrebasse, piano, guitare. La section mélodique comporte des cuivres : trompette, clarinette, saxophone, etc. Entre le batteur de tambour et le saxophone, il y a comme une mésentente chaotique. Ipso facto, le bebop opère une rupture avec le swing, le jazz des vétérans devenus des amuseurs publics (7). Le bebop s’insurge contre le show-business et consolide des jam sessions pour militants expérimentés. Puis rupture à l’intérieur du Bebop et naissance du Free-Jazz. Le bebop annonce le free-jazz. Coleman Hawkins au saxophone, Sun Ra au piano avec son Sun Ra Arkestra, John Coltrane, Cecil Taylor, Max Roach, Ornette Coleman, Art Ensemble of Chicago, Albert Ayler, Don Cherry, Charles Mingus, Archie Sheep, Abbey Lincoln, le Sud Africain Dollar Brand (Abdullad Ibrahim) reconnu par ses pairs Noirs américains, etc. Les Jazzmen vont inscrire l’histoire contemporaine de l’Amérique des années 1960 dans l’histoire du Jazz. La rupture ne sera pas politique, mais esthétique. Plusieurs explications concourent à la définition du free-jazz. Je peux situer l’essence du free-jazz, dans la relation dissymétrique entre le rythme et la mélodie. La section rythmique est incarnée par le batteur et la section mélodique est mieux rendue par le saxophoniste. En se déplaçant vers certaines origines africaines du jazz notamment chez les Kongo, Kngon retrouve un ensemble instrumental particulier composé de ngoma (tambour) et de mpungi (trompe). S’Il a fallu des siècles à la musique classique européenne pour s’étendre à toutes les nations du monde, le jazz américain, en moins d’un siècle, s’est imposé comme une musique d’avant-garde à tous les peuples de la terre. Le jazz est le manifeste de l’identité noire américaine.
6. Un monument du free-jazz : Pharoah Sanders.Nous l’avons rencontré pour la première fois à Bobigny (France) en 1994 où il accompagnait le pianiste sudafricain Mbeki Mseleku. Pharoah Sanders de son vrai nom Ferrel Sanders, naît à Little Rock, dans l’Arkansas, le 13 Octobre 1940. Il s’installe à New York en 1962 où il joue avec des musiciens comme Rashied Ali, John Gilmore dans l’orchestre de Sun Ra. Celui-ci fut marqué par la cosmologie paléoégyptienne et influença John Coltrane et Pharoah Sanders.

Il adopte le surnom Pharoah. Avec Don Cherry il enregistre Symphony For Improvisers en 1966. Remarqué par John Coltrane, il intègre son groupe et enregistre plusieurs albums importants avec lui : 7. Collègue de John Coltrane. En 1965, dans le John Coltrane Quartet composé de McCoy Tyner, Jimmy Garrison, Elvin Jones, D. Garrett, F. Butler, J. Lewis, Pharoah Sanders participe à la réalisation du monument Kulu Sé Mama chez Impulse.
En 1965-1966, dans le John Coltrane Quartet/Group composé de McCoy Tyner, Jimmy Garrison, Alice Coltrane, Elvin Jones, Rashied Ali, C. Haden, R. Appleton, Pharoah Sanders participe à la production du disque Infinity chez Impulse.

Free.En 1965, dans le John Coltrane Orchestra composé de F. Hubbard, D. Johnson, J. Tchicai, M. Brown, Archie Sheep, McCoy Tyner, Jimmy Garrison, A. Davis, Elvin Jones, Pharoah Sanders participe à la production du disque Ascension chez Impulse.
En 1965, dans le John Coltrane Group composé de J. Brazil, D. Garrett, McCoy Tyner, Jimmy Garrison, Elvin Jones, Pharoah Sanders participe de la mythologie du Free-jazz OM chez Impulse. Au dernier moment de sa vie, Alice Coltrane, après la mort de son frère (au sens égyptien du terme) John Coltrane, quand on écoute sa musique, elle tendait vers une symbiose spirituelle avec la musique de Sun Ra. Celle-ci tourne autour de OM. Autrement relaté Sun Ra, la dernière Alice Coltrane ou Art Ensemble of Chicago peuvent être entendus comme un développement de OM. En tout cas, Sun Ra est une serie infinie de la musique OM de Coltrane.
En 1965, dans le John Coltrane Sextet composé de McCoy Tyner, Jimmy Garrison, Elvin Jones, Rashied Ali, Pharoah Sanders participe à la production du disque Meditations chez Impulse.
En 1966, dans le John Coltrane Group composé de Jimmy Garrison, Alice Coltrane, Rashied Ali, B. Riley, Pharoah Sanders participe à la production du disque Cosmic Music chez Coltrane Recording Corporation.
En 1966 - 1967, dans le John Coltrane Group composé de Jimmy Garrison, Alice Coltrane, Rashied Ali, R. Appleton, C. Haden, Pharoah Sanders participe à la production du disque The Mastery of John Coltrane/Vol. 3, Jupiter Variation chez Impulse.
En 1966, dans le John Coltrane Sextet composé de Jimmy Garrison, Alice Coltrane, Rashied Ali, E. Rahim, Pharoah Sanders participe à la production du disque Coltrane, Live At The Village Vanguard Again ! chez Impulse.
En 1966, dans le John Coltrane Quintet composé de Jimmy Garrison, Alice Coltrane, Rashied Ali, Pharoah Sanders participe à la production du disque Second Night In Tokyo chez Impulse Jap.
En 1966, dans le John Coltrane Quintet composé de Jimmy Garrison, Alice Coltrane, Rashied Ali, Pharoah Sanders participe à la production du disque Coltrane In Japan chez Impulse Jap.
En 1967, dans le John Coltrane Quintet composé de Jimmy Garrison, Alice Coltrane, Rashied Ali, Pharoah Sanders participe à la production du disque Expression chez Impulse.
En 1993, Pharoah Sanders, Abbey Lincoln, Elvin Jones and al, participent de la création de Timelessness du Sudafricain MBeki Mseleku.
8. Sa propre production. 1964, Pharoah’s First 1966, Pharoah Sanders Quintet, Tauhid chez Impulse. 1969, Karma, Jewells Of Thought, chez Impulse. 1970, Summum Bukmun Umyun, chez Impulse. 1970/1971, Thembi, chez Impulse. 1971, Black Unity, chez Impulse. 1972, Live At Least, Wisdow Through Music, chez Impulse. 1971/1972/1973, Village of The Pharoahs, chez Impulse. 1973, Elevation, chez Impulse. 1976, Pharoah,Chez India Navigation. 1987, Africa chez Timeless.

9. Bibliographie consultée des chapitres 6-7-8. - Les références musicales de Pharaoh sanders ont été tirés de J.C. Thomas, Chasin’the Trane, John Coltrane, Paris, Denoël, 1975. - Yves Sportis, Free Jazz, L’instant, 1990. - Philippe Carles et Jean-Louis Comoli, Free jazz, Black Power, Galilée, 1979. - Melvin van Peebles, Sweet Sweetback’s Baadasssss song, Rouge profond, Arte, 2004. - Frank Kofsky, Black Nationalism and the revolution in music, USA, Pathfinder Press, 1970. - Leroi Jones (Amiri Imamu Baraka), Black Music, New york, Da Capo press, 1998. - Leroi Jones, Musique noire, Paris, Buchet/Chastel, 1969. - Michel Fabre, La rive noire, Marseille, André Dimanche, 1999. - Les Cahiers du Jazz, "Etude du free", revue n°8, Puf, juillet 1996. - Revue d’esthétique, n° 19, Paris, Jean Michel place, 1991 - Werewere Liking, Un Touareg s’est marié à une Pygmée, Lansman, 1992. - John F. Szwed, Space is the place, the lives and times of Sun Ra, New York, Da Capo Press, 1998. - Gershwin, Porgy and Bess, L’avant scène opéra, nov. 1987, n°103. - Jeff Louna, Bruno Houla, Biks Bikouta, Jazz Meeting at Brazzaville - Jungle Trio, 33 tours, éditions Fétiches, 1984, Présentation de Alphonse Marie Toukas (Mfumu Katumuko). - André Hodeir, Hommes et problèmes du Jazz, Parenthèses, 1981. - Ronald L. Morris, Le Jazz et les gangsters, 1880-1940, Paris, Abbeville, 1997. - Claude Mckay, Banjo, 2000, The X Press. Cependant nous avons travaillé sur sa version française, publiée par les éditions Rive Noire de Marseille en 1999.
10. Notes bibliographiques générales.

1. Claude MacKay, Banjo, Marseille, André Dimanche éditeur, 1999, p. 58. 2. M’Boka Kiese, "La faillite du monopartisme au Congo-Brazzaville. Le devoir des Intellectuels et celui de l’opposition", Revue Peuples Noirs - Peuples Africains , Rouen, n° 63-66, mai-déc. 1988. 3. Armand Cuvelier,Nouveau vocabulaire philosophique, Paris, Armand Colin, 1961. 4. George Gershwin, Porgy and Bess, Scène 2 - L’île de Kittiwah, L’avant-scène Opéra, 1987, p.65-66. 5. Aimé Césaire, Lettre à Maurice Thorez, Paris, Présence Africaine, 1956. 6. Christian Béthune, "Glossaire", Revue d’esthétique, Paris, 1991, p. 206. 7. Ronald L. Morris, Le jazz et les gangsters, Paris, Abbeville, 1997.

Article de Mboka Kiese.

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