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Ama Mazama, une femme qui dérange

Le monde de l’édition française obéit à des logiques commerciales qui sont tout à fait normales. On n’édite pas pour faire du bénévolat, pour reprendre un mot utilisé par Djess récemment. Mais on peut se demander (naïvement) comment et pourquoi les essais qui portent l’Afrique (ou les Africains) au pinacle, en même temps qu’ils mettent à jour les méfaits de la France_à_fric, des afroncentristes qui persistent contre vents et marées à dire que les Egyptiens anciens étaient blancs (il n’est qu’à lire les succès réguliers de Christian Jacq chez XO Editions à ce sujet pour en avoir une autre idée) ont du mal à trouver des éditeurs chez les éditeurs qui ont pignon sur rue ?
Les réponses sont connues de tous et de toutes. Sauf des spécialistes des chiens écrasés.

Dieu merci, Denis Pryen le fondateur et actuel patron de l’Harmattan fait un travail considérable en publiant tous les essais quasiment qui lui tombent sous la main. Certes, il n’y a pas de comité de lecture, mais au moins, on n’a pas besoin de présenter patte blanche (dans tous les sens du terme) pour voir son essai édité.
Il y a aussi Menaibuc, jeune maison d’édition qui participe conjointement avec le site Africamaat à une forme d’éveil et de conscientisation de la jeunesse afro-caribéenne. Il est impressionnant de voir le nombre d’ouvrages sortis de chez eux qui traitent des rapports entre l’Afrique et l’Occident. Grâce aux liens mis sur ce site, certains ont pu découvrir le Pr. Ama Mazama qui a un discours très intéressant, quelques fois radical, mais souvent plein de bon sens. Le seul ouvrage d’elle que j’ai pu trouver de cette enseignante-chercheuse guadeloupéenne a été édité par les éditions Menaibuc, L’impératif afrocentrique, 25€, 296 pages.
Cette femme est très courageuse : elle s’en prend non seulement à tous les ennemis traditionnels de l’Afrique (des Africains eux-mêmes et les élites occidentales et leurs représentants) mais aussi à des icônes comme Léopold Sédar Senghor (il avait l’habitude, de la part même d’Africains) et surtout Cheikh Anta Diop qui est pourtant un de ses maîtres à penser. C’est aussi à cela que l’on peut reconnaître le courage d’un intellectuel : ne pas tout accepter comme dans le clergé catholique. Il n’est qu’à voir récemment comment Benoît XVI a été vigoureusement défendu dans la récente affaire l’opposant aux musulmans. Même le très grand Molefi Kete Asante qui a été son prof, un de ses mentors a des vues différentes par rapport à elles. Ce qui ne peut que nourrir le débat et l’évolution des réflexions, tant que cela se passe dans le respect des convictions de l’autre.
Ama Mazama ne prend pas de gants pour dire à qui elle s’adresse : aux Nègres. Nègres qui constituent 97% de ses étudiants en études africaines à Temple.

On ne peut que la trouver brutale, cette femme. Ce qui n’elève rien à son brio.

Le Brésil qui est un cas d’études très intéressant sur la question noire est traitée avec une précision et un luxe de rigueur intéressants dans cet ouvrage. Les divinités africaines originaires du Nigeria, du Bénin, qui ne sont pas mortes sur la route des Amériques, et qui sont encore bien présentes actuellement aux Amériques. Pendant mes dernières vacances, j’ai fait la connaissance d’un historien béninois qui a sorti récemment un livre et qui me parlait des divinités yorouba. J’avais l’impression de lire Mazama et de l’écouter. J’avais son livre entre les mains ! Le christianisme et la chrétienté prennent de sacrés coups avec cette dame aux convictions bien assises. Elle ne passe pas par 4 chemins pour faire comprendre que Nègre et chrétien ne vont pas ensemble. A coup sûr, un tel livre ne peut que déranger. Au lycée, en cours de philo on avait droit aux philosophes occidentaux en entrées, plats de résistance et desserts. Ici, l’auteure ne prend pas de gants pour évoquer la philosophie africaine en nous expliquant que le principe fondamental de cette dernière est l’unité de l’être. La suprématie blanche, Gobineau y passent également. Mazama nous dit que tant qu’on ne s’attaquera pas à la suprématie blanche, qui est une fausse idée, de façon systématique et déterminée, il ne saurait être question de vraie libération des esprits. Elle s’en prend vigoureusement à la Créolité, mettant systématiquement en avant l’Africanité de tous les Nègres, du Cap de Bonne Espérance au plus haut du Canada, en passant par tous ces territoires peu ou prou habités par des Nègres. Sur la Créolité, Chamoiseau et Confiant en prennent pour leur grade. L’Eloge de la Créolité à son avis devrait être rebaptisé l’Eloge de la soumission ! Rien de moins ! Refusant catégoriquement le terme de libérateur à ce texte concluant par une interrogation qui torture certains esprits : « Comment pouvons nous penser notre situation et notre libération en termes dictés par ceux-là mêmes qui nous colonisent ? »
La pointe de déception (difficile de ne pas en avoir) est le développement même du concept de l’Afrocentricité. Bien entendu, je ne m’attendais pas au même travail que celui effectué par Molefi Kete Asante (si c’est ce qu’on recherche, autant accéder directement au Maître), mais l’auteure a pris beaucoup de temps pour développer ses idées qui ont naturellement introduit la Question. Et dans ce chapitre, elle évoque la question des noms qui fait parfois défiler les doigts sur les claviers congopagiens à une vitesse impressionnante.

Extraits :
« La plupart d’entre nous continuent à être affublés de noms occidentaux. Que nous en soyons conscients ou non, ces noms d’esclaves ou de colonisés ont pour fonction première de nous inscrire dans l’orbite culturelle occidentale. Ces noms nous marquent en fait comme « propriété de l’Occident », tout comme le fer du colon jadis. Que l’on ne se méprenne pas : je ne parle pas simplement des noms américains dont certains raffolent ces temps-ci qui nomment leurs enfants Jimmy, Morgan, Kevin et compagnie. Je parle bien de ces noms français ou francisés que nous continuons à porter avec fierté. Cette question du nom vaut que l’on s’y arrête quelque peu. (...) Et le plus tragique, c’est que nous aurions souvent le plus grand mal à citer des noms appartenant à la tradition qui est la nôtre. Dans notre inconscience et insouciance savamment entretenues, nous maintenons et vivifions une tradition culturelle qui non seulement n’est pas la nôtre, mais qui s’évertue à nier notre humanité. L’Afrocentricité suggère comme remède un processus, conscient et systématique, de relocation. Dans le cas des noms, la logique afrocentrique dicte que nous abandonnions ces noms européens dont nous sommes affligés, et que nous adoptions des noms africains, afin que notre nom coïncide avec qui nous sommes, et ce faisant, nous entretenions nos propres traditions. Si l’on est africain, s’appeler Soundiata plutôt qu’Alexandre, va de soi. L’inverse n’est pas vrai, et ne peut se comprendre que dans un univers où les choses sont littéralement sens dessus dessous. C’est que nous sommes dans un état de totale dislocation, le concept avancé par l’Afrocentricité pour rendre compte des effets du processus de conversion mentionné plus haut. »

Mayombe82


Par : Mayombe82
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