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Atouts des uns et faiblesses des autres...

Agriculture : Le poids du cacao et du coton

La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao (1,3 million de tonnes) et le Mali le premier producteur de coton d’Afrique (600 000 tonnes). Face à ces arguments de poids, les pays de la Cemac ont peu de résultats à faire valoir.

Seuls le Cameroun et le Tchad possèdent une véritable économie agricole. Si les Tchadiens s’adonnent surtout à la culture vivrière et cotonnière ainsi qu’à l’élevage, les Camerounais ont des activités plus diversifiées (café-cacao, arboriculture, maraîchage, etc.) et travaillent aussi dans de nombreuses agro-industries (hévéa, palmier à huile, bananes). Au Gabon, en Guinée équatoriale, en Centrafrique et au Congo, l’agriculture est peu développée et a longtemps été délaissée par les pouvoirs publics.

La zone Uemoa est beaucoup plus dépendante de son agriculture que celle de la Cemac. Tout simplement parce que les pays de cette région ne disposent pas des ressources minières et pétrolières de leurs voisins d’Afrique centrale. L’abondance des pluies, lors la campagne 2003-2004 a donc permis aux pays d’Afrique de l’Ouest de réaliser d’excellentes récoltes et d’encaisser plus facilement la crise ivoirienne. Les producteurs de l’Union tirent le maximum de ressources de leur environnement naturel, bien que, à l’exception de la Côte d’Ivoire, les conditions agroclimatiques en zones de savane offrent moins de possibilités de diversification agricole. En fait, la production en zone sahélienne repose essentiellement sur les cultures vivrières, le coton et l’élevage. Au pays de feu Houphouët-Boigny, l’activité agricole est beaucoup plus diversifiée (cultures pérennes et vivrières, arboriculture...). Actuellement, le maraîchage se développe fortement en zones Cemac et Uemoa, principalement à la périphérie des villes.

Infrastructures : Le réseau routier d’Afrique centrale en retard

Tous les ingénieurs des travaux publics le savent : il est toujours plus facile de tracer une piste à travers la savane qu’à travers la forêt tropicale. Humidité, pluviosité, nature des sols, végétation… Plus on se rapproche de l’Équateur, plus les conditions naturelles mettent le macadam à rude épreuve. Aussi le réseau routier d’Afrique centrale est-il beaucoup moins développé que celui d’Afrique de l’Ouest.

Plus de quarante ans après les indépendances, aucun axe bitumé ne relie encore les capitales de la Cemac entre elles. Alors qu’il est possible de rallier Abidjan depuis Bamako ou Ouagadougou sans prendre nécessairement l’avion. La Cemac essaie donc de refaire son retard. Dans le cadre de son Programme indicatif régional (financé par le IXe Fonds européen de développement), le secrétariat exécutif de la Communauté dispose d’une enveloppe de 55 millions d’euros (35 milliards de F CFA). Environ 70 % de ce montant est affecté aux infrastructures routières. Dix ans après l’adoption du schéma d’aménagement routier sous-régional (6 600 km de bitume), la moitié du réseau est opérationnelle. Déjà réalisés à plus de 75 %, les axes Douala-Bangui et Douala-Libreville seront prochainement achevés. Les prochaines livraisons sont prévues d’ici à 2005, avec la bifurcation reliant Ngaoundéré au nord du Cameroun à Moundou, dans le sud du Tchad. Longue de 393 km, cette voie est financée à hauteur de 132 millions d’euros par l’Union européenne. Au nord du Gabon, à proximité de la frontière camerounaise, la construction de deux ponts enjambant le fleuve Ntem permettra d’assurer une liaison terrestre continue entre Yaoundé, Bata et Libreville. Mais à l’heure où l’Afrique centrale cherche à fluidifier son trafic interne, l’Afrique de l’Ouest pense déjà à ses liaisons régionales (Bamako-Dakar et Bamako-Nouakchott) et transsahariennes. Et si l’axe Lagos-Alger est encore loin d’être praticable, la côtière Dakar-Tanger longue de 3 000 km est en cours de finition.

Industrie : Frémissement des activités

Le tissu industriel est globalement faible en Afrique. L’Uemoa et la Cemac n’échappent pas à la règle. La dynamique d’industrialisation est toutefois supérieure en Afrique de l’Ouest, particulièrement dans les filières du textile et de l’agroalimentaire. Le taux de croissance annuel de l’industrie pour la période 1991-2001 est de 3,4 % au Togo, de 7,7 % au Burkina, de 5,3 % au Bénin, de 4,8 % au Sénégal ou encore de 3,4 % en Côte d’Ivoire. Il n’est que de 2,8 % au Cameroun et de 0,7 % au Gabon, les deux pays qui possèdent le secteur secondaire le plus fourni en Afrique centrale.

En zone Uemoa, l’agroalimentaire et le textile représentent les deux tiers de la valeur ajoutée manufacturière. Les industries de soutien comme les emballages et le machinisme agricole sont encore peu développées. On compte environ 2 600 entreprises industrielles dans cette sous-région, pour un effectif salarié estimé à 147 000 personnes. L’inadéquation du système de financement, la faiblesse des infrastructures routières, énergétiques et logistiques constituent les principaux freins au développement des activités secondaires.

En zone Cemac, en dehors des mines, l’activité industrielle est très limitée et concerne essentiellement la transformation des produits agricoles : raffinage du sucre, huileries, minoteries, brasseries, etc. Le Cameroun transforme une partie de son coton (huileries), de son cacao (chocolaterie) et de son thé. Mais, pour tous les pays de la zone, on est loin d’une exploitation optimale du potentiel de ce secteur. Les possibilités de diversification restent étendues dans l’agroalimentaire, le textile, les produits chimiques, les cuirs et peaux, le bois et les matériaux de construction.

Mines : Un potentiel sous-exploité

En matière d’exploitation du sous-sol, il est bien difficile de départager les pays de l’Uemoa de ceux de la Cemac. Car, dans les « deux zones franc », les potentialités
minières dépassent de loin l’exploitation proprement dite de ces ressources. Concernant les filières opérationnelles, le Mali occupe une place de choix dans l’extraction aurifère
(66 tonnes en 2002), tout comme le Niger dans celle de l’uranium (3 000 tonnes par an) ou le Sénégal dans celle des phosphates (1 700 tonnes par an). Idem en Afrique centrale où plusieurs pays disposent d’un secteur minier - hors hydrocarbures - relativement dynamique. C’est notamment le cas en République centrafricaine où la production de diamants atteint, bon an mal an, 450 000 carats, ou au Gabon où la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog) exporte environ 2 000 tonnes de manganèse par an. En fait, la plupart des pays de la zone disposent d’un réel potentiel minier, mais la répartition de ces réserves est trop hétérogène pour donner un avantage à l’une des deux zones. En fait, pour
qu’un projet soit susceptible d’être concrétisé, il faut que les cours mondiaux du minerai concerné soient suffisamment incitatifs et que la situation géopolitique du pays hôte soit suffisamment rassurante. Une fois ces deux préalables remplis, tous les rêves sont permis.

Transport aérien : Dynamisme des privés

En matière de transport aérien, l’Uemoa et la Cemac en sont à des stades très différents. Depuis la disparition du transporteur Air Afrique, les pays actionnaires ont abandonné leurs cieux à des compagnies privées et favorisé la privatisation de leurs pavillons nationaux. C’est notamment le cas de Dakar avec la compagnie Air Sénégal International, présentée aujourd’hui comme un modèle du genre pour sa gestion et son dynamisme. Un exemple pour Air Mali et Air Ivoire, actuellement en phase de relance.

En Afrique centrale, en revanche, le trafic aérien reste dominé par Cameroon Airlines et Air Gabon, les deux principaux pays de la zone ayant quitté le consortium Air Afrique pour disposer de leur propre compagnie. Conséquence : ces deux transporteurs, criblés de dettes et en restructuration perpétuelle, attendent avec méfiance leur privatisation. Dans le même temps, les États membres de la Communauté envisagent de créer une compagnie sous-régionale, Air Cemac, dont la vocation est de désenclaver la zone, au risque d’accélérer la disparition des deux pavillons nationaux. Car si l’Afrique de l’Ouest a comptabilisé 8,2 millions de passagers durant l’année 2002, l’Afrique centrale n’en a enregistré que 3,6 millions. Moins peuplée, la zone communautaire dispose-t-elle d’une demande suffisante pour permettre la coexistence de trois transporteurs concurrents ?

Télécoms : Le grand boom de la téléphonie mobile

Difficile de donner un avantage à l’Uemoa ou à la Cemac en matière de télécoms. La fluidité des transmissions, l’accès aux nouvelles technologies et les tarifs pratiqués
par les opérateurs sont loin d’être homogènes. Et les possibilités de chacun dépendent plutôt de l’enclavement, du niveau de développement technique et économique, et de l’attitude adoptée par les autorités en matière de libéralisation des activités. En ce domaine, le Sénégal a toujours fait figure de pionnier. Privatisée en 1997, la Société nationale des télécommunications du Sénégal est l’une des rares sociétés à être cotée à la Bourse régionale de l’Uemoa. Avec un réseau filaire numérisé, le Sénégal compte environ 220 000 lignes téléphoniques fixes pour 9,5 millions d’habitants, ce qui le place au deuxième rang subsaharien après l’Afrique du Sud.

En matière de téléphonie mobile aussi, le Sénégal est bien placé, tout comme le Cameroun, la Côte d’Ivoire ou le Gabon. Rien à voir avec les pays « numériquement » enclavés, où les réseaux cellulaires ne couvrent pas encore tout le territoire, et où l’accès à Internet reste un luxe absolu. C’est le cas en Centrafrique, au Tchad ou au Niger, où l’on compte encore moins de un internaute pour mille habitants.

Toutefois, si l’accès à la Toile reste très inégalitaire, les prestations offertes de Dakar à Brazzaville sont de plus en plus standardisées. Sur ce créneau, les opérateurs privés - comme Télécel, Celtel, Orange ou MTN - évoluent dans un contexte très concurrentiel. Ce qui permet de pallier les insuffisances des réseaux fixes, dont l’offre demeure insuffisante.

Forêt : Privilégier la transformation locale et sauvegarder les ressources

A l’instar du pétrole, l’exploitation des bois tropicaux est essentiellement le fait des pays d’Afrique centrale, la répartition de cette ressource étant liée aux caractéristiques climatiques de la zone. La superficie du massif forestier de la Cemac dépasse les 100 millions d’hectares. Iroko, okoumé et autres moabi ont tendance à s’épanouir plus volontiers sous des latitudes équatoriales, ce qui explique le rôle prépondérant que jouent le Cameroun, le Congo ou la Centrafrique dans la valorisation des grumes. La production de chacun des États membres de la Cemac s’échelonne chaque année entre 600 000 m3 pour la Guinée équatoriale et plus de 2 millions de m3 pour le Gabon. En Afrique de l’Ouest, seule la Côte d’Ivoire pouvait jusqu’ici rivaliser avec les producteurs de la Cemac, mais la crise politique que connaît le pays depuis septembre 2002, ajoutée à la surexploitation des ressources, a fortement altéré les performances de la filière. Ainsi, seuls des États comme le Liberia ou le Ghana - qui n’appartiennent pas à l’Uemoa - peuvent rivaliser avec les pays exportateurs d’Afrique centrale.

Détenteur de la deuxième forêt tropicale au monde pour sa superficie, le bassin du Congo constitue un réservoir inestimable en biodiversité. Mais la déforestation progresse au rythme de 0,4 % par an, soit près de 1 million d’hectares détruits chaque année. Aussi la communauté internationale se mobilise-t-elle pour la protection de ce précieux massif. Au Sommet de la terre de Johannesburg, en septembre 2002, les États-Unis ont annoncé le lancement du Partenariat pour la forêt du bassin du Congo. Washington s’est engagé à consacrer 53 millions de dollars d’ici à 2005 à la sauvegarde de cette région. L’initiative concerne - outre la RD Congo - cinq pays de la Cemac (Gabon, Congo, Cameroun, Guinée équatoriale et Centrafrique). L’objectif de ce projet est de protéger 10 millions d’hectares d’espaces et d’aménager près de 20 millions de concessions forestières. À l’heure où l’effet de serre fait des ravages, l’Afrique centrale se positionne en poumon de la planète.

Pétrole : Anciens et nouveaux producteurs

S’il est un domaine dans lequel la Cemac a une incontestable longueur d’avance sur l’Uemoa, c’est bien celui des hydrocarbures. Certes, les deux principaux pays producteurs d’Afrique subsaharienne - le Nigeria et l’Angola - n’appartiennent à aucun de ces deux sous-ensembles. Mais ce sont les eaux du golfe de Guinée, situées entre le delta du Niger et l’estuaire du Congo, qui sont les plus riches en or noir. Au sein de la Cemac, pas moins de cinq États membres sur six font aujourd’hui partie de ce club très sélect des exportateurs de brut. Même si, pour certains d’entre eux, les réserves prouvées ont tendance à baisser. C’est notamment le cas pour le Cameroun, mais aussi pour le Congo et le Gabon, dont le rythme de production oscille entre 230 000 et 300 000 barils par jour (b/j).

Simultanément, de nouveaux pays émergent à leur tour, bouleversant l’équilibre des forces en Afrique centrale. Voici déjà dix ans que la Guinée équatoriale a entamé l’exploitation offshore, et Malabo se positionne aujourd’hui comme le troisième producteur au sud du Sahara. Avec un rythme d’extraction estimé à plus de 300 000 b/j, le pays - peuplé seulement de 1 million d’habitants - devrait franchir le cap des 400 000 b/j d’ici à deux ans.

Autre nouveau venu, le Tchad a débuté l’extraction dans le bassin de Doba en juillet 2003. Quelque 225 000 b/j doivent être extraits des gisements tchadiens. Difficile pour l’Uemoa de rivaliser. Car du Bénin au Sénégal, les potentialités de production offshore restent pour l’instant marginales. De nouvelles prospections sont programmées au large de la Côte d’Ivoire et au nord du Mali.

Finance : Montée en puissance des intérêts privés

Prenez les filiales de la Société générale, de BNP Paribas, du Crédit Lyonnais, de la Belgolaise et, plus marginalement, celles de la Standard Chartered et de la Citibank, et vous aurez un panorama presque complet du secteur bancaire en zone franc. Conséquence de la période coloniale et surtout des privatisations qui ont affecté le monde financier dans les années 1990, la prédominance des opérateurs étrangers a largement aidé le processus de mise à niveau des banques. Mission accomplie : en excès de liquidités, les établissements de la zone franc sont en règle générale sains et très performants. En 2003, la Société générale de banques au Cameroun (SGBC) a ainsi réalisé un bénéfice net record de 7 milliards de F CFA (10 millions d’euros). Son homologue ivoirienne, la Société générale de banques (SGBCI), affichant 4 milliards de bénéfices malgré la crise qui affecte le pays.

Fidèle reflet des réalités économiques, la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Gabon ont les banques les plus importantes de la zone. Le Togo, quant à lui, peut faire valoir qu’il
accueille à Lomé le siège du holding d’Ecobank, la banque régionale créée en 1985 sous l’impulsion des États de la sous-région. Le développement de cette institution en Afrique de l’Ouest s’accompagne de la montée en puissance d’intérêts privés en Afrique centrale.

Ainsi, la gabonaise BGFI Bank se développe dans la sous-région tandis qu’Afriland First Bank, dans une moindre mesure, rayonne également en dehors de son Cameroun natal. Enfin, le réseau Bank of Africa, institution basée au Luxembourg, se rapproche actuellement de la Belgolaise, pour étendre son activité.

Mais, si les tendances sont communes, la partie n’est pas encore tout à fait égale entre Cemac et Uemoa. En raison du poids des institutions ivoiriennes et sénégalaises, les
banques ouest-africaines affichent un total de bilan deux fois supérieur à celui de leurs consœurs d’Afrique centrale (5 milliards de dollars, contre 2,5 milliards). Il faut dire que, sorti du Cameroun et du Gabon, le paysage bancaire est encore relativement peu développé dans cette dernière zone. En matière de marché de capitaux, la zone franc d’Afrique de l’Ouest a également plusieurs longueurs d’avance, puisque la Banque régionale des valeurs mobilières (BRVM) est opérationnelle depuis 1998. Un retard que le Cameroun, avec Douala Stock Exchange, et le Gabon, avec la Bourse régionale des valeurs mobilières d’Afrique centrale, aspirent à combler dans les prochains mois. Encore faut-il que les pays d’Afrique centrale mettent réellement en œuvre une intégration sous-régionale déjà effective à l’ouest de la zone franc.

www.jeuneafrique.com/

Pascal Airault, Jean-Dominique Geslin et Frédéric Maury

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