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Bon anniversaire au plus grand de l’histoire de la boxe : (Mohamed Ali, 65 ans)

Cassius Marcellus Clay Jr., le 17 janvier 1942, Mohamed Ali est considéré à juste titre comme le meilleur poids lourd de l’histoire de la boxe. Connu pour sa « grande gueule », son refus d’aller combattre aux Vietnam - parce que le Vietnamiens ne l’ont jamais traité de sale nègre comme dans son pays -, Ali fut nommé Sportif du 20ème siècle par une Assemblée de journalistes internationaux, devant le roi du ballon rond, Pelé. C’est en 1974 qu’il combat pour la première fois en Afrique, au Zaïre, face à un boxeur jusque-là qualifié d’invincible et qui terrassait ses adversaires dès les premiers round : George Foreman, personnage alors détesté par le public africain qui le vit débarquer avec un berger allemand, rappelant immédiatement les exactions coloniales de Belges et leurs chiens. Ali étonna alors le monde entier avec sa stratégie du "combat aux cordes" alors qu’on l’attendait sur sa fameuse danse du ring et son jeu de jambes inégalable. Cette nouvelle stratégie finit par payer, et Ali mettra KO George Foreman au 7è round devant un public en ébullition qui scandait « Ali boma yé ! » (Ali, tue-le !). La télé américaine lui rend actuellement un hommage digne de ce nom, en particulier la prestigieuse chaîne de sport ESPN qui consacre depuis des jours ses émissions sur le personnage d’Ali, avec des interventions pointues des historiens de la boxe (comme Bert Sugar, l’homme au cigare et au chapeau), des journalistes (comme le sympathique Al Bernstein), d’anciens boxeurs (comme George Foreman) et de l’ancien coatch d’Ali, Angelo Dundee.

Il y a quelques années j’ai commencé l’écriture d’un récit sur ce personnage. Pour lui souhaiter bon anniversaire, je mets en ligne les extraits suivants.


J’aime me mettre sur la terrasse pour écrire, regarder l’horizon pendant des heures et des heures. C’est de là que j’observe l’envol des oiseaux ou la variation soudaine du temps à Berrien Springs, une petite contrée du Michigan où je possède une ferme, bien loin de l’Etat de Kentucky, et surtout de la cité de Louisville qui m’a vu partir de rien pour arriver un jour jusqu’au sommet de la gloire.
Lorsque je vois un papillon s’agiter, battre des ailes, flotter dans le vent avec souplesse, je me dis au fond de moi que j’étais aussi un papillon, un papillon agile. Je flottais dans le vent et pouvais piquer comme une abeille lorsque montaient en moi la rage de vaincre, l’agacement de voir quelques prétentieux se la jouer, la détermination de reprendre ce qui était à moi et que je trouvais que le monde entier avait injustement attribué à un bouffon, à un va-nu-pieds, à quelqu’un qui n’était pas digne de porter le lourd et prestigieux titre de "Champion du monde"...

C’est donc mon épouse qui m’apporte souvent du thé, que je

bois à peine. Vers la fin de l’après-midi, je me lève de ce fauteuil - je ne supporte pas qu’on m’aide -, et me rends dans mon bureau du sous-sol où je me mets à répondre au courrier de tous ceux qui m’écrivent à travers le monde. C’est un bureau très éclairé, et je laisse traîner quelques objets sur la table comme ce vieux gant Everlast rouge que je touche de temps à autre. Deux de mes photos sont accrochées au mur. Ce n’est pas moi qui les ai choisies. Un jour je suis descendu dans ce bureau, et je les ai trouvées là. C’est encore une idée de Laila, ma fille. Après tout, j’aime bien cette image sur laquelle je me tiens le front avec les deux mains. C’est comme si je réfléchissais à quelque chose de grave ou me couvrais de rayons de soleil...

Dans ce bureau, je donne le dos à la fenêtre. Ainsi, la lumière du jour éblouit les pages que j’écris ou le dernier livre que je lis.
Il y a un peu de désordre ici ou là sur la table. C’est le courrier, et surtout les milliers de photos que les gens m’envoient de par le monde afin que j’y appose mon autographe. Je le fais spontanément. Je n’aime pas les autographes impersonnels. Je m’arrange à trouver un message personnel pour chacun de mes correspondants...

Dans mon bureau toujours, la télévision reste allumée et il m’arrive de suivre les commentaires de quelques journalistes sportifs sur la nouvelle génération des boxeurs. Ainsi, le 23 août 2003 par exemple, même si j’avais été présent au cours de ce combat qui a opposé ma fille à la championne du monde Christy Martin, j’ai voulu quand même entendre les commentaires des journalistes le lendemain.
Bien sûr, et c’était inévitable, ils ont fait le rapprochement entre elle et moi. Laila a dominé le combat de bout en bout. Christy Martin a été battue par KO technique au quatrième round. J’étais aux anges. Je suis même monté sur le ring pour embrasser ma fille. Les applaudissements fusaient dans cette magnifique salle du Mississipi Coast Coliseum. Qui applaudissait-on ? Ma fille ou moi-même ? Je crois qu’on nous applaudissait tous les deux. On applaudissait ce nom d’Ali.
A ce jour, le palmarès de ma fille est impressionnant : 16 combats, 16 victoires dont 13 par KO. Un des journalistes a dit que la légende continuait. Un autre a ajouté que l’héritage a été bien transmis et que c’était mon sang qui coulait dans les veines de Laila. Comme s’il y avait des doutes à ce sujet...

A vrai dire, une des analyses qui m’a le plus touché était faite par un jeune journaliste - j’ai oublié son nom- et qui a démontré que Laila a la carrure et le charisme qu’il faut pour sortir la boxe féminine de l’ombre et que la célèbre chaîne de sports, HBO, devait briser son mur, abandonner son machisme et assurer également la retransmission de combats des boxeuses. Un autre a répondu que si le charisme et la carrure y étaient pour quelque chose, il était certain que c’est le nom d’Ali que portait Laila qui pourrait un jour ouvrir de nouveaux horizons.
Ce soir-là j’ai été fier de ma fille même si je l’avais bien longtemps dissuader de se lancer sur cette voie. J’ai respecté son choix. Elle avait eu raison car elle est aujourd’hui l’une des plus grandes figures de la boxe féminine avec Christy Martin...

C’est encore depruis mon bureau que, le 4 octobre dernier, j’ai suivi à la télévision le combat qui opposait Evander Holyfield à James Toney à Mandala Bay, à Las Vegas. Les organisateurs ont qualifié ce combat de « guerre du 4 octobre ». J’avais un peu souri car, il y a toujours des noms qu’on donne aux combats attendus par le public. On avait par exemple parlé de « Bataille dans la jungle » pour mon affrontement contre George Foreman au Zaïre en 1974. Au fond, je me demandais ce que recherchait encore ce pauvre Holifield, champion du monde à quatre reprises. En cela, il a battu mon palmarès historique d’un titre. Et le voila à quarante ans, en face du fougueux James Toney. Celui-ci exultait alors de « pousser à la retraite » un nom prestigieux de la boxe. Holyfield ? Un dur à cuire qui avait mis KO Mike Tyson. Cependant, était-ce le même Holyfield ce 4 octobre ? L’âge est un mauvais compagnon. Entre vingt et trente ans au maximum, on peut tout se permettre. Au-delà on joue avec le feu...

Je comprends Holyfield. J’aurais sans doute agi de la sorte. J’ai moi-même annoncé ma retraite à plusieurs reprises avant de revêtir mes gants et me livrer aux combats de trop, ceux-là qui ont peut-être contribué à me mettre dans mon état actuel...

Texte tiré de "Danse comme si personne ne te regardait", projet de roman dédié à Mohamed Ali, Copyright A. Mabanckou

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