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Choses vécues (7) : Nègres et bougnoules, même accompagnés de Blancs, ne sont pas persona grata dans une discothèque de Nancy

Mon collègue et ami Gérard Oberlé (photo) - qui vient de faire paraître Itinéraire spiritueux aux Editions Grasset - a évoqué longuement la scène que je vous rapporte pendant certaines interviews qu’il a accordées lorsque nous étions il y a dix jours au Salon du livre de Nancy, Le Livre sur la place. En effet, à la fin d’une journée plus qu’épuisante, nous avions décidé ( Gérard Oberlé, Serge Joncour - qui vient de publier un magnifique roman, Que la paix soit avec vous, aux éditions Flammarion - et un collègue calligraphe ) d’aller dans une discothèque non loin du lieu où se tenait le Salon. Devant l’établissement, quelques gens attendaient d’y pénétrer. Nous patientions, alimentant nos conversations de quelques anecdotes du Salon - car les écrivains sont aussi des gens qui parlent des autres ! Notre tour arriva enfin. Un homme baraqué comme quatre manutentionnaires du port maritime de Pointe-Noire me toisa des pieds à la tête.

Le romancier Serge Joncour

J’étais bien habillé - mais très vite j’allais comprendre que j’avais la mauvaise peau, et je n’y pouvais rien. Il détourna ses yeux, posa ensuite son regard sur notre collègue tunisien qui arborait des longs dreadlocks à la Tonton David :

"- Désolé, ce ne sera pas possible ce soir, beugla le chien de garde.

"- Ah oui ? avança notre Tunisien qui se vantait plus tôt de bien connaître la ville de Nancy et ses "petits plans".

"- Oui, c’est pas possible ce soir, c’est une soirée pour étudiants, circulez !

Manque de peau - que dire d’autre ? -, au même moment surgirent de la boîte des gens dont l’âge rivaliserait celui de Mathusalem. Etudiants aussi ? Pas sûr. Mais on ne sait jamais les balais que se coltinent les étudiants par les temps qui courent. L’âge ne fait rien à l’affaire, disait l’autre. Gérard Oberlé haussa le ton, voulut en découdre avec le cerbère. Je le calmai en lui disant :

"- Laisse tomber, ça fait quatre cents ans que cette histoire dure...

"- Ah non, lâcha Oberlé, je ne peux pas laisser passer ça, je vais lui casser la gueule, je dois parler au maire de cette ville, je me sens honteux d’être un Français ce soir !

Et il a fallu batailler pour convaincre notre ami Oberlé, pour lui dire que nous pouvions aller déguster ses cigares légendaires ailleurs, très loin. Après tout, il y a bien à Nancy au moins un endroit où les nègres et les bougnoules peuvent prendre un pot, non ? Et nous nous sommes retrouvés dans un petit bistrot, mais l’atmosphère n’y était plus...

Le lendemain Oberlé rattrapa la femme du Maire, lui afficha son exaspération. Le maire vint me voir au Salon du livre, accompagné d’un grand Africain d’origine camerounaise... un membre de son cabinet municipal. Devinez donc le symbole et le sens de cette apparition "Benetton United Colors", une apparition furtive, loin des réalités nocturnes d’une ville pourtant belle mais qui couve aussi des surprises "dermiques"...

De ce fait, je me console en lisant le merveilleux livre de mon confrère Serge Joncour, un livre que je vous recommande vivement. Etait-ce prémonitoire de lire dans ce roman cette phrase lumineuse : « L’Histoire c’est ce grand album de famille où chacun cherche à se reconnaître ». Hélas, certains veulent que cet album de famille ne soit pas gâché par des photos en noir, blanc et bougnoule. Ainsi va cette France... Et que la paix soit avec vous, merci Serge !

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