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Comment acheter un livre sans "rougir" devant la caisse ?

Avouons qu’il n’est pas évident d’entrer dans une librairie, de demander un livre dont le titre en lui-même évoque le sexe, livre qui est pourtant souvent loin de cette question, tout au moins dans sa dimension la plus crue...

Il y a en effet des titres de livres qui nous mettent d’emblée mal à l’aise. En realité, par nature, nous feignons le choc, le dépit, alors que notre penchant va toujours vers "cette chose"... Disons que le lecteur est par essence un voyeur, un "hypocrite", un malicieux avide de tout débordement de l’écrivain. Il ne le dira pas au grand jour, comme tout hypocrite d’ailleurs. Il jouera la carte de la blancheur, de la pureté, de la pudibonderie, de l’Immaculée Conception...

Il faut donc louer le courage des auteurs que je cite ci-dessous et qui prennent le risque de nous "choquer" en exhibant des titres à faire classer leurs livres dans la categorie X.
Les éditeurs ajoutent parfois leur petite patte dans l’affaire. Ils choisissent des couvertures "choc", des images de circonstance. Je me pose cette question capitale : Quel est le comportement du lecteur dans une librairie devant ces bouquins ?

D’ordinaire le lecteur hésite un peu, il attend qu’il n’y ait personne d’autre à ses côtés. Et hop, il se saisit du livre, s’oriente vers la caisse comme s’il venait de commettre un péché passible de la peine de mort. Du moins c’est ce que je crois, la question est discutable, je n’en doute pas. Et c’est ce que je fais malheureusement, pourquoi le cacher ? Tenez donc, c’est ce qui m’était arrivé la dernière fois lorsque j’avais fait un tour à la Fnac des Halles à Paris.

Bolya, La Profanation des vagins

Je voulais en fait acheter le dernier essai du Congolais (ex-Zaïre) Bolya, l’ouvrage est intitulé La profanation des vagins... Mon souhait était que le titre soit visible quelque part sur les étagères et que je n’aie pas à solliciter l’aide de quiconque. Eh bien, non, il m’a fallu demander ce livre ! Les clients qui entouraient la libraire - une dizaine à peu près - prenaient leur temps. J’ai dit : "Excusez-moi Madame, avez-vous "La Profanation des vagins" ??? Silence absolu de quelques secondes, les oreilles indiscrètes se sont dressées tandis que la libraire me désignait du doigt, le sourire aux lèvres, un rayon perdu dans une encoignure du magasin...

Etait-ce la même gêne que je ressentis lorsque j’achetai jadis - toujours dans cette Fnac - un billet pour un spectacle Les Monologues du vagin ?...

Une autre fois j’ai voulu acheté le livre d’un auteur que j’aime bien, David Foenkinos. Je le tiens pour l’un des plus inventifs de la nouvelle littérature française. Du vrai délire dans ses textes, de l’humour, tout ce qui fait qu’on ne s’ennuie pas à la dixième page...

Donc, voila que j’étais dans l’embarras avec ce titre de Foenkinos qui n’avait rien de choquant, Le Potentiel érotique de ma femme ! Un titre pourtant très "catholique" si je le compare à celui d’un des chefs-d’oeuvre de Witold Gombrowitz intitulé en toute modestie, Pornographie...

Toujours est-il qu’une de mes amies m’avoua un jour qu’après avoir acheté le livre de Virginie Despentes, Baise-moi, elle était obligée de le recouvrir d’un papier banal afin de le lire tranquillement dans le métro, lieu de prédilection des lecteurs-voyeurs. Dans le métro parisien on lit le plus souvent ce que l’autre est en train de lire, puisque son propre livre on peut le lire à la maison, voyons !

Cette amie eut une attitude identique lors de la parution du livre de Catherine Cusset, Jouir, qu’elle enveloppa sagement afin de ne pas subir les jugements sans voies de recours des indiscrets. Le pire c’est que, même dans le desseın de bien cacher la couverture du livre en y apposant sa main, l’indiscret - ou l’indiscrète - jettera un oeil et finira par tomber sur un des passages les plus "compromettants" du roman !

Catherine Cusset, Jouir

Ah non, n’allez pas penser que ceux qui prennent le métro se préoccupent de lire les noms des stations ! Je comprends donc cette amie puisque moi-même j’avais dû procéder ainsi lorsque je lisais ce qui pouvait alors paraître comme un essai sérieux, mais là encore c’est le titre qui promettait tellement de choses que j’étais épuisé de compter le nombre de gens qui regardaient d’abord longuement le livre entre mes mains, avant de me jeter un sourire en coin... Ma réaction fut de retourner le bouquin, mais la quatrième de couverture pouvait encore aguicher les curieux.
Donc j’ai dû lire avec une grande nervosité ce livre de Michel Onfray, L’art de jouir.

(Il fallait peut-être que je lise en public L’Art de la guerre !) Pour l’œil du voisin, c’est tout bon, on pense que vous vous plongez dans le Kama Sutra, version réduite pour les imbéciles de notre trempe.
Je n’osais pas m’imaginer encore trimbaler les bouquins de Bonnand, Il faut jouir, Edith ; de Nelly Arcan, Putain (dire que Jean-Paul Sartre avait évité ce dernier mot pour nous donner comme titre de sa pièce La P... respectueuseet laisser au lecteur le soin de traduire qu’il s’agissait de "La Putain respectueuse")

53 cm, de Bessora

Et il m’arrive de regarder un peu les titres les plus "choquants" des lettres d’Afrique noire contemporaine. Disons que c’est le calme plat de ce côté-là. Même lorsqu’on nous promet quelques passages torrides, le titre n’en dit pas plus comme dans le dernier livre de Ken Bugul, Rue Félix Faure (aux éditions Hoebeke), et Dieu sait que Ken Bugul n’avale pas les mots quand il s’agit de secouer les tabous.
Je verrai sans doute la hardiesse du côté de la Suisso-Gabonaise avec son roman 53 cm... qui laisse imaginer tout ce qu’on veut... Peut-être aussi le décapant roman Femme nue, femme noire de Calixthe Beyala qui distillait l’érotisme dans nos lettres d’ordinaire coincées et timorées ?

Pourtant je n’eus pas la sensation de gêne en lisant le dernier livre de Gabriel Marquez dans le métro, Mémoires de mes putains tristes. Tout au plus on est heureux d’exhiber le livre. Sans doute parce qu’on se dit qu’un auteur de cette trempe, talent et Nobel en plus ne peut qu’écrire des choses sublimes. Parce que, en fait, parler du sexe est sans doute une des choses les plus délicates dans l’écriture.

Ou on le fait de manière maladroite et sans génie - comme c’est souvent le cas -, ou on en fait trop au point même de croire qu’on est dans le champ littéraire alors qu’il suffit tout simplement pour ces auteurs d’aller voir leur médecin qui les guérirait d’une telle « anémie cérébrale ». De ce point de vue, je partage l’avis de celui qui disait que certains manuscrits ne devraient pas atterrir chez les éditeurs mais chez les psychanalystes...

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