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Comment déménager d’Ann Arbor (Michigan) à Los Angeles (Californie) sans oublier un seul livre ?

Il y a quelques jours encore je finissais de ranger mes derniers cartons pour le déménagement d’Ann Arbor (Michigan) à Los Angeles (Californie). Il est clair que ce ne sont pas les appareils électroménagers qui m’ont le plus poussé à résoudre la quadrature du cercle, mais les livres, ceux qui ne me quittent jamais, ceux qui sont mes fidèles amis - pour le meilleur, et surtout pour le pire... Certes j’ai pu tout ranger sans en sacrifier un seul. Je ne déménage que si tous les livres répondent à mon appel. Autrement je fais le tour des amis, les questionnant au sujet du bouquin qui se serait volatilisé.
Justement un livre manquait à l’appel. J’ai passé au peigne fin la maison. J’ai appelé les amis. J’ai même passé des coups de fil à Paris, à Washington chez le turbulent Boris, j’ai fait quatre tours successifs dans mon bureau. J’ai demandé à la concierge qui m’a répondu : I don’t read french, you know that, I couldn’t even figure that it was a novel !" ( Ne parlant pas français, et tu le sais, je ne pouvais même pas me rendre compte que c’était un roman !).

Il ne me restait plus qu’à racheter ce livre disparu. Dieu ne dort pas, dit-on. Les déménageurs sont arrivés un matin pour prendre les meubles. Ils sont chargés aussi de les démonter. Un d’eux est venu vers moi avec le livre qui m’empêchait désormais de fermer l’œil. Il l’a trouvé sous mon lit, dit-il. Il m’a rassuré qu’il n’y en avait pas d’autres au même endroit.
Soulagé, j’ai retourné la couverture du bouquin, et j’ai aussitôt souri : La Musique de Yukio Mishima... J’ai ouvert la première page, j’ai commencé une lecture en diagonale. Cette atmosphère qui m’était particulière est là, encore avec plus de densité. Les personnages avaient l’air de m’en vouloir de les avoir relégués dans l’opacité du dessous du lit. Alors, pour me faire pardonner, j’ai dit que j’allais relire le roman. Ce que j’ai fait - après le départ des déménageurs, bien sûr. Je vous propose donc ce livre comme une des lectures d’été...

Le Japonais Yukio Mishima est né en 1925. Il s’est donné la mort en 1970, laissant derrière lui une oeuvre magistrale et provocatrice. Cette oeuvre qui compte plus de 50 livres n’est pas encore toute traduite du japonais en français, et Gallimard s’y investit depuis longtemps pour la mettre à la disposition du public francophone - au sens large !

La Musique est un de ces romans qu’on n’oublie jamais. On éprouve une angoisse, l’angoisse de voir soudain le livre se terminer et de perdre cette longue complicité entretenue avec les personnages tout au long de la lecture. Mishima présente le livre comme étant le rapport du psychanalyste Shiomi Kazanori, un étrange médecin qui tient un cabinet dans un quartier chic de Hibiya à Tokyo. Le jour où le docteur Shiomi voit arriver dans son cabinet une très belle jeune fille nommée Reiko, il est loin de se douter qu’il va traiter l’un des cas les plus complexes et les plus extraordinaires de sa carrière. En effet Reiko a un problème, un très grand problème : elle n’entend plus la musique ! Elle peut tout entendre, sauf la musique !
Situation encore plus étrange lorsque le docteur découvre qu’en réalité la jeune fille est une mythomane et qu’il lui faut la confronter afin de comprendre la gravité de sa maladie. Si elle n’entend pas la musique, elle voulait simplement dire, par voie détournée, qu’elle n’a jamais éprouvé d’orgasme ! Dès lors, le rôle du docteur sera de redonner à cette fille la joie de vivre, de la guérir afin qu’elle puisse « entendre la musique »...
Construit de manière habile, avec peu de personnages, ce livre est une plongée dans la sexualité, brassant aussi bien les questions de la frigidité féminine, de l’impuissance masculine, de la part des tabous.

Le lecteur est bouleversé lorsqu’il lit les pages où Reiko « entend » pour la première fois la musique. Pourra-t-elle toujours mettre la vie des autres en danger afin d’éprouver un orgasme ? Jusqu’où le plaisir peut-il côtoyer la tragédie ?
« La Musique » est un roman qui couve les ingrédients de tout chef-d’œuvre : une écriture en apparence simple, une lisibilité aisée, des personnages bien incarnés, une maîtrise de la narration. Yukio Mushima, assurément peut être classé parmi les grands auteurs de la littérature mondiale...

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