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Comment faire lâcher prise à Gbagbo

La chute de Laurent Gbagbo a quelque chose de goffmanien. Il y a une série de rites d’interaction (offres, menaces, yeux doux, séduction, chantage) qui s’établit entre celui qui refuse de tomber et ceux qui veulent le faire tomber. Les négociations "à n’en plus finir" d’Abidjan sont instructives sur l’institution de la palabre ivoirienne. Or les Ivoiriens, plus que les autres Africains, sont des obsédés de la palabre, ce duel verbal où personne ne perd, où tout le monde triomphe.

Les tombeurs (en attendant de lui faire mordre la poussière) sont obligés de gérer les humeurs de celui qui persiste à rester debout. Peut-être que Laurent Gbagbo, avant de céder, veut encore s’accorder le plaisir de la palabre, ce crucial moment de joute oratoire où toutes les chances de l’affrontement physique sont mises en échec grâce au verbe.

Youlou traîna les pas

Nous avons, nous aussi, un cas goffmanien de bluff, de palabre fertile succédant à une éprouvante palabre stérile : la démission de Youlou en 1963. Syndicalistes et militaires usèrent de toutes les stratégies pour lui faire apposer son paraphe sur sa lettre de démission soigneusement préparée par ses tombeurs. En vain. Les témoins racontent que l’Abbé Fulbert Youlou tergiversa jusqu’à user les nerfs de ses interlocuteurs. Un syndicaliste avisé, Tollé Nganga, fut, dit-on « maudit » par Youlou pour avoir réussi l’exploit de prêter le stylo qui servit au Président déchu de coucher son hiéroglyphe sur la fameuse lettre de démission. Cherchant à gagner du temps, le démissionnaire simula qu’il...n’avait pas de stylo pour imprimer son autographe sur la lettre ; ultime stratégie qui en dit long sur ce que l’être humain est capable de faire lorsqu’il n’y a plus rien à faire. Il en voulut cruellement au zélé Tollé Nganga au point de le vouer aux milles diables, lui un homme d’Eglise. Une autre légende dit que ce fut Mouzabakani qui prêta « gentiment » le Bic à Youlou. Puis Monsieur l’Abbé céda, au grand soulagement de tous.

Au pied du mur, le pouvoir en perte de vitesse dispose de plusieurs ressources. Il y a le cas de figure berlinois (Hitler) : suicide au cyanure. Le cas de figure chilien (Allende) : sacrifice idéologique. Le cas congolais (Lissouba) : fuite à l’anglaise. Le cas zaïrois (Mobutu) : poudre d’escampette.

Pour l’instant Laurent Gbagbo n’a pas dévoilé sa méthode de sortie de scène.

Maladie imaginaire

Les tombeurs des rois ne manquent pas d’astuces, par exemple la maladie imaginaire. En quoi consiste le stratagème ? On fait croire au monarque qu’il est malade. Le médecin personnel, de mèche avec le groupe de pression qui veut avoir la peau de l’indésirable, le persuade d’aller se faire soigner à l’étranger.

Léon Mba le Gabonais et Haïdjo le Camerounais tombèrent dans le piège de la maladie imaginaire inventée de toute pièce par leur toubib respectif. Convaincus d’être malades, ils se mirent en congé du pouvoir et furent aussitôt remplacés par Bongo (pour Mba Léon) et par Paul Biya (pour Hamadou Haïdjo).

C’est la mise en scène thérapeutique.

Laurent Gbagbo a un toubib personnel. Comme Sassou, comme Mobutu, comme Léon Mba, comme Haidjo. Un médecin européen, comme tout roi nègre qui tient à sa vie, surtout quand il est à la tête d’un pays où la vie, faute d’hôpitaux, ne tient qu’à un fil.

On ne saurait imaginer l’étendue du pouvoir des médecins. Il est plus grand que le pouvoir des chefs d’Etat.

Le médecin juif d’un chef nazi sauva de nombreuses vies humaines grâce à l’ascendance scientifique qu’il avait sur lui.

Comment se passe la palabre dans le Bunker ?

Personne n’est dans le secret des dieux lorsque, dans la nuit du 4 au 5 avril 2011, l’ONU, l’UA, La France, essaient de convaincre, dans son Blockhaus, Laurent Gbagbo de reconnaître le pouvoir de l’ami Ouattara et de signer. Quels arguments ont-ils produits pour convaincre l’ami Laurent ?

Cela dit, on n’a rien dit qui puisse influencer les facilitateurs qui discutent avec Laurent Gbagbo dans son bunker afin de le convaincre de lâcher enfin prise en lui diagnostiquant une pathologie qu’on ne peut soigner qu’à l’étranger.

Gbagbo a dit au micro de Vincent Hervouët (LCI) qu’il tenait à la vie. Or il a beau aimer le pouvoir et la richesse qu’il procure, si celui qui peut le maintenir en vie se trouve à l’étranger, il sera le premier à exiger de vite passer le témoin à Ouattara.

Après tout : la santé est aussi un trésor.

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