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Complicités littéraires (5) : Le romancier A. Waberi a lu le recueil de nouvelles de la Guyanaise Pauline Melville

Les éditions Zoé, à Genève, se font, depuis une quinzaine d’années, un honneur de nous permettre de découvrir des écrivains de la périphérie anglophone, à l’instar du somalien Nuruddin Farah, des sud-africains Bessie Head et Ivan Vladislavic. Pauline Melville (photo) est née en 1948 en Guyana des noces métisses d’un père créole d’ascendance écossaise et amérindienne et d’une mère anglaise. Actrice et écrivaine, elle vit à Londres après une enfance caribéenne entre Guyana et Jamaïque. Excellente nouvelliste (La Transmigration des âmes, Le Jeu des transformations) et romancière (Parole de ventriloque), tous [parus] chez Zoé, Melville a eu les faveurs de la critique ainsi qu’une moisson de prix. Salman Rushdie ne tarit pas d’éloges sur son unique roman : « C’est une voix nouvelle et envoûtante... une luxuriance inhabituellement distante, intellectuelle et sensuelle. Je crois que c’est un des rares auteurs vraiment originaux à s’imposer ces dernières années. »

Le Jeu des transformations, son premier recueil paru en anglais, en 1990, dévoile en douze nouvelles une humanité somnambulique qui traverse et retraverse le temps et l’espace en quête de foyer, d’amour ou d’un avenir qui pourrait se faire présent. Mythologie amérindienne, réminiscences littéraires (Evelyn Waugh, Dante, Gabriel García Márquez et son compatriote Wilson Harris) ou chronique politique, tout se mêle et s’entremêle ici avec une facilité déconcertante.

Perpétuels exilés, prolétaires londoniens à la peau noire ou fantômes surgis de la forêt amazonienne, les personnages de Melville sont en mouvement permanent comme s’ils empruntaient, tel le protagoniste de la nouvelle Manger du cobaye et boire l’eau de la rivière, « un fil d’araignée précairement tendu soixante pieds au-dessus de l’Atlantique, une extrémité attachée à Big Ben et l’autre à la cathédrale St George [Georgetown] ».

Si les rêves d’évasion s’écrasent sur le mur de la réalité, la fantaisie et l’ironie sont au rendez-vous. Le lecteur trouvera des étincelles de sympathie à toutes les pages ou presque. Et l’œil parfois froid de l’auteur est souvent empreint d’empathie à l’endroit de ses personnages plus tourmentés les uns que les autres.

La ruse, aussi, est le meilleur allié des humbles. Ainsi dans la nouvelle Je ne prends pas de messages de personnes décédées, Shakespeare McNab, vedette de la radio locale, trouve malin de se déguiser en fantôme pour se sortir des démêlés que ses chroniques lui ont valus avec la présidence. Il y a du carnavalesque dans ces contes cruels et tendres.
A coup sûr, Melville n’est pas de ces écrivains des tropiques bruissant de réalisme magique et de couleur locale. Sa dimension politique, qu’il s’agisse de Londres ou de Georgetown, n’est plus à démontrer. Elle séduira surtout par la grâce de son écriture lucide et cruelle, ludique et fine.

Abdourahman A. Waberi.

Le Jeu des transformations, de Pauline Melville, traduit de l’anglais (Guyana) par Christian Surber, Zoé, coll. « Ecrits d’ailleurs », Genève, 2006, 284 pages, 19,50 euros.

(Texte paru dans le Monde Diplomatique de décembre 2006)

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