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Les origines du tempo congolais

Congo-Brazzaville - L’orchestre Rock-A-Mambo de Nino Malapet : Une légende vivante (1957 - 1961 )

Le Rock and Roll et le Mambo, rappellent à la mémoire de nombreux africains les rythmes afro-américains des années 50, qui ont fait voler en éclat les cloisons artistiques des peuples naguère fermés, et ont touché beaucoup d’individus jeunes qui les ont, en fin de compte, adoptés.

« Rock-A-Mambo », une trouvaille de Marie-Isidore Diaboua «  Lièvre  »

L’influence bouleversante suscitée par ces rythmes au Congo, a inspiré en Février 1957, les créateurs de l’orchestre le plus typique de la Firme « Esengo », a opté pour l’appellation, Rock-A-Mambo ; une trouvaille de Marie Isidore Diaboua « Lièvre  ». Ainsi pour marquer le début d’un genre de style qui s’appuierait sur les rythmes locaux et ceux venus de l’Amérique latine.

« Rock-A-Mambo » Succède au « Negro Jazz »

On peut dire que le Rock-A-Mambo a poursuivi l’œuvre de l’orchestre Negro Jazz de Brazzaville, (1954-1956) en apprenant aux jeunes de l’époque les danses d’origine cubaines, qui répandaient à elles seules, le soleil exotique, la nature généreuse, et exhalaient l’air parfumé des tropiques. Telles que le « Cha cha cha cha », la « Guajira, » le « Mambo » et surtout le « Son » de la Sexteto Habanero : dit « GV 21 », marqué par les titres mémorables : «  Helena la cumba chera  », « Tres lindas cubana » et «  El Manicero  »

Le Rock-A-Mambo évoque, à lui seul, ce que nous avions connu d’admirables tant dans les arrangements des chansons congolaises que dans les interprétations des rythmes afro-cubains, des années 1957 à 1961. (Aujourd’hui, « Salsa »). Une grande ouverture sur l’Amérique latine qui a donné à la langue espagnole une place importante dans les compositions congolaises.

L’Avènement du « Cha Cha Cha » au Congo

Si le « Cha cha cha » est né à Cuba en 1951, de son inventeur Enrique JORRIN, au Congo et en 1957, c’est à Jean Serge ESSOUS et l’orchestre Rock-A-Mambo que nous devons les toutes premières interprétations : « Baila » et « Sérénade sentimentale » dont le succès a rarement été égalé.

Avec une prodigieuse maîtrise, les acteurs du Rock-A-Mambo qui se faisaient régulièrement accompagnés par Joseph Kabaselle, Nico Kasanda et Paul Ebengo « Dewayon », dans le cadre de la collaboration au sein de l’écurie « Esengo », furent d’authentiques novateurs sur le plan mélodique, harmonique et rythmique, comme en témoignent des nombreuses et prestigieuses chansons réalisées chez « Esengo » de 1957 à 1959.Citons, par exemple : « Minzelele », «  Maria Valenta » (De Wayon) - « Jalousie », « Meta Maria (Nino Malapet) – « Bolingo na ngai Gigi », « Camarade ya mboka Mundelé » (Essous) – « Bolingo Alphonsine », « Télégramme d’amour » (Nico Kasanda) – « Mabe na yo moko », « Zozo moke » (Lucie Eyenga) « Tour de ville » (Rossignol) « Ya mwele », « Santa Lou » (Diaboua) – « Chauffeur Masibu », « Ebale mbanda » (Kallé), etc.

Henri Bowane : L’animation au cœur de la production

Pour la petite histoire, remontons à l’année 1956 pour situer cette année comme étant l’année de réveil de la musique congolaise, celle qui représente un grand moment de son évolution. Au centre de cette histoire, une éminente personnalité : Henri Bowane, guitariste, compositeur, impresario, pilier et animateur culturel de presque toutes les grandes firmes musicales gérées par les grecs à l’époque. Notamment, Les éditions « Ngoma » de Nico Jeronimidis (1948-1949) « Loningisa » des frères Athanase et Basile Papadimitriou (1950-1956) et « Esengo » de Dino Antonopoulos (1956-1959). Il est demeuré le véritable démarcheur pour la mise en valeur des musiciens talentueux des deux rives du Congo. Solidarité obligeait pour ce natif de père du Congo Brazzaville (Sibiti) et de mère du Congo Kinshasa (Bandaka).

En effet, au cours de l’année 1956, Bowane perd un peu de cet enthousiasme qu’avaient suscité ses activités au début des années 50 chez Loningisa. Il cherche une nouvelle piste, et il se trouve que celle qu’il rencontre est tout à fait intéressante.
Un homme d’affaire grec Dino Antonopoulos, décide de créer à Léopoldville (Kinshasa) une nouvelle édition musicale avec du matériel racheté aux frères Benatar de la firme « Opika », dissoute en 1955. (Label sous lequel ont évolué entre 1950-1955, le groupe Opika, le groupe OTC « Orchestre de Tendance Congolaise » de Joseph Kabaselle, le duo Jhimmy na Mwanga, Gobi, Jacques Elenga « Eboma », Tanko & Basile, Fud Candrix, et L’African Jazz, de Joseph Kabaselle). L’éditeur grec, trouve à Henri Bowane la seule personne qui peut constituer la réussite de la nouvelle firme musicale et surtout un espoir pour la qualité de sa production. Il est nommé Directeur artistique de la firme à qui il attribue l’appellation « Esengo » (la joie).
Le départ d’Henri Bowane des éditions « Loningisa » est un grand coup, car il entraîne avec lui un nombre important des musiciens, parmi lesquels, Jean Serge Essous, Philippe Lando Rossignol, Saturnin Pandi, Honoré Liengo, Augustin Moniania « Roitelet », qui vont former dans un premier temps le Trio « BEROS » (Bowane-Rossignol-Essous) qu’accompagnent d’autres excellents musiciens, comme Eugène Ngoy « Gogène », Léon Nzambe « Sathan », Alphonse Epayo, Maproco, Marie Isidore Diaboua « Lièvre »…

Au beau milieu de la Rumba, le Trio « BEROS » pose les jalons avec des nombreux titres qui bénéficient des arrangements dont la conception démontre un ferme désir de sortir des sentiers battus.

Le règne de Nino Malapet

Cependant, il manque toujours un homme : Nino Malapet, alors sociétaire des Editions Loningisa et membre de l’OK Jazz. (Fin Décembre 1956 et Janvier 1957) Il a d’ailleurs été rejoint par Edo Ganga et Célestin Kouka, après la dissolution du Negro Jazz et le départ de l’OK Jazz, le 27 Décembre 1956 de Jean Serge Essous, Philippe Lando « Rossignol » et Saturnin Pandi de l’OK Jazz pour les éditions Esengo.
Le saxophoniste Nino Malapet, a toutes les qualités et d’abord un style. Par ailleurs, il est spécialiste de très beaux arrangements. En ce sens, il mérite réellement d’être un leader. Aussi, après quelques enregistrements avec l’OK Jazz en Janvier 1957, il cède à la tentation d’Henri Bowane et rejoint le Trio « BEROS » et d’autres vieilles connaissances. Ensemble, ils forment en Février 1957, l’Orchestre Rock-A-Mambo. Nino Malapet en devient facilement, le chef.

Au nombre des musiciens titulaires dès sa création, le Rock-A-Mambo compte :
Nino Malapet, (saxo, chef d’orchestre), Jean Serge Essous, (clarinette) - Philippe Lando « Rossignol » et Léon Nzambe, (chant) - Emmanuel Baloji « Tino Baroza » (guitare solo), Eugène NGOY« Gogène » (guitariste rythmique) - Honoré Liengo et Augustin Moniania « Roitelet », (guitare-basse) - Saturnin Pandi (percussions)
Puis, par la suite, se sont ajoutés Antoine Nedule « Papa Noël », (guitare solo) - en remplacement de "Tino Baroza", et Jacques Mambau « Jacky » ( guitare rythmique)
Nino Malapet, insuffle à cette formation un sang nouveau. On remarquera, au niveau des compositions, une prédilection particulière pour la « Rumba Rock », le « Son » et le « cha cha cha », aussi l’on ne pouvait que s’en réjouir, tant les résultats étaient probants.

« Les Trois Merveilles » des éditions « Esengo » : « Li duo Maravillas » (titre d’une chanson de Nico Kasanda dédiée aux 3 groupes ) : Rock-A-Mambo - African Jazz - Conga Jazz.

Cela dit, la firme « Esengo », qui entre-temps à enrôler les orchestres African Jazz de Joseph Kabaselle et le Congo Jazz de Paul Ebengo « De Wayon », va apporter dans le domaine artistique une contribution particulièrement remarquable ; en associant les musiciens des trois groupes de son écurie, à la perfection de ses enregistrements.
En effet, les musiciens du Rock-A-Mambo de Nino Malapet, de l’African Jazz de Joseph Kabaselle et du Conga Jazz de Paul Ebengo « De Wayon », vont avoir entre eux des affinités solides, aussi bien humainement qu’artistiquement. Ils vont surtout mettre en valeur, la forme éblouissante de la pensée mélodique, l’étendue de la maîtrise instrumentale qui a servi de plate forme pour les enregistrements à succès effectués dans le cadre de ce que l’on a appelé à l’époque « l’African-Rock » ou le « Rock-Africa ».

Citons , parmi les grands titres à succès de cette collaboration : « Lemoti », (De Wayon), « Bolingo etumbu », (Essous) , « Lily Germaine » (Tino Baroza), « Li duo Maravillas », (Nico Kasanda), « Panchita », (Nino), « Brigitte », (Lucie Eyenga), « Kumbele kukimbele », (Kalle), « Tika ngai seli », « Rock-A-Mambo » (Rossignol), « Nzungu ya loso » (Roitelet), « Bakule bidama » (Liengo), « Damoni Charlotte » (Papa Noël), « Oye Jacky » ( Jacky Mambau) et tant d’autres.

Le Rock-A-Mambo après la création de l’orchestre Bantous.

Le 15 Août 1959, les musiciens congolais de Brazzaville qui évoluaient dans les orchestres kinois, Rock-A-Mambo et OK Jazz donnent naissance à Brazzaville à l’orchestre Bantous. L’ensemble Rock-A-Mambo est amputé de deux musiciens, Essous et Pandi. Tandis que Nino Malapet répond absent. Il tire de cette idée qui l’a motivé de ne pas être à Brazzaville à la sortie des Bantous, la stratégie d’honorer au préalable avec son Rock-A-Mambo, à l’invitation d’effectuer une tournée au Gabon, avec les musiciens :

Lando « Rossignol » et Paupaul (chant) - Antoine Nedule « Papa Noël », Eugène Ngoy « Gogène » et Jacques Mambau « Jacky », (guitares solo et rythmique) - Honoré Liengo « Liegon », (guitare basse) - Bruno Houla, (percussions) et Antoine Depadou ( maracas).

Au palmarès de cette formation des chefs d’œuvres comme : « Iyele », « Yamare », « Bidama ya Rock ’A », et « Tocame » de Nino Malapet, sortis en 1960 aux éditions « Esengo ».

Rien ne modifie la ligne harmonique traditionnelle du Rock-A-Mambo, elle s’offre cependant comme une application nouvelle des interventions solo au saxo. En effet, Nino Malapet a su vite combler le vide laissé par Essous à la clarinette, en adoptant le style de jouer au saxo soprano en « solo », tandis que le jeune Bruno Houla qui a remplacé Pandi, n’a pas démérité. Il s’est confirmé comme étant le bon élève du doyen. (Avant de devenir par la suite un très grand saxophoniste. Le regretté Bruno Houla on le sait, a tiré sa révérence le 8 Décembre 2009 à Brazzaville).

1961 : La fin à Pointe-Noire (Congo) de l’orchestre Rock-A-Mambo.

1961, Le Rock-A-Mambo - qui en 1960 a perdu, son guitariste solo, Antoine Nedule « Papa Noël » (qui a intégré l’orchestre Maquina Loca de Guy Léon Fylla évoluant au Gabon), est de nouveau invité à Libreville. Sa côte de popularité est au beau fixe depuis la dernière tournée en 1960. Cependant, il faut passer par Pointe-Noire, l’itinéraire obligé pour atteindre Libreville. Pendant l’escale de Pointe-Noire, le Rock-A-Mambo donne quelques concerts chez « Samba bar » et au « Palladium ». Puis s’ensuit le moment où l’on s’y attendait le moins. : La dislocation de l’orchestre, à la suite à des graves divergences d’intérêt. Une dislocation pénible, car elle entraîne la vente aux enchères des instruments, pour permettre aux musiciens de regagner Brazzaville pour les uns, et Kinshasa pour les autres.

1961 – Réintégration de Nino Malapet dans Les Bantous. L’entrée de Nedule "Papa Noël "et de Mambau "Jacky"

Dieudonné Nino Malapet, qui a toujours sa place privilégiée dans Les Bantous, pour avoir été l’inspirateur et le chef des Bantous à Kinshasa, avant la sortie solennelle, refuse l’immobilisme et c’est ce qui compte ; il rejoint au cours de l’année 1961 ses collègues de l’orchestre Les Bantous, après un passage éclair au Centre d’Enseignement Supérieur de Brazzaville (CESB) pour suivre les cours de Droit. Il sera rejoint par les guitaristes Antoine Nedule "Papa Noël" (de retour de Libreville après avoir quitté Maquina Loca) puis par Jacques Mambau "Jacky" venu directement de Kinshasa.

1961 - Ainsi prit fin cet orchestre fabuleux et mythique du Rock-A-Mambo après une expérience très louable dans la conception rythmique et harmonique. Elle aura été une grande école de musique pour avoir donné aux deux Congo ses plus grands représentants : Nino Malapet, Jean Serge Essous, Saturnin Pandi, Bruno Houla, pour le Congo Brazzaville - Philippe Lando « Rossignol », Honoré Liengo, Antoine Nedule « Papa Noël », Tshilumba wa Baloji « Tino Baroza », Augustin Moniania « Roitelet » pour le Congo-Kinshasa)

Clément Ossinondé

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