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De la misogynie dans la chanson congolaise : Luambo Makiadi "Franco", Youlou Mabiala et les autres.

Alors que la création musicale des deux Congo offre un répertoire foisonnant sur les mouvements de libération en Afrique – Jacques Loubelo, Franklin Boukaka, le Grand Kallé, Pamelo etc. -, il est étonnant de constater le misogynie de la chanson congolaise lorsqu’il s’agit de célébrer la femme africaine – une misogynie qui n’est pas loin du machisme...
D’abord il nous faudrait rappeler que le machisme est l’état d’un homme qui se croit supérieur aux femmes et qui le fait ressentir dans son comportement. Bien entendu, un homme macho trouvera toujours des moyens plus pernicieux pour exprimer, même dans son inconscient, son statut d’homme fort face à la femme, d’homme qui a tous les privilèges, d’homme qui domine, doit passer en premier. Il dira par exemple : je n’ai rien contre les femmes, mais quand même avouons que les hommes sont plus intelligents. Et d’ailleurs poursuivra-t-il, la femme est faite pour servir l’homme !
L’exemple-type peut-être tiré de la chanson de Georges Brassens, « Jolie Fleur » où le musicien français dit d’une femme :
« Elle n’avait pas de tête, Elle n’avait pas l’esprit plus grand qu’un dé à coudre, Mais pour l’amour on ne demande pas aux filles d’avoir inventé la poudre » !...

Ainsi, nous pouvons êtres des machos sans le savoir. C’est parfois la société qui nous transmet notre machisme, notamment par la hiérarchie des tâches que nous sommes censés occuper. On imagine les femmes en infirmières, en secrétaires, en sages-femmes, en ministre des affaires sociales, mais pas toujours en ministre de la défense, en chef d’Etat-major, en chef de chantier du bâtiment, voire en PDG d’une grande entreprise. Notre machisme est tellement verrouillé que lorsqu’une femme accède à des fonctions qui sont normalement dévouées aux hommes, nous doutons de leurs compétences, nous le prenons avec un sourire en coin. Et lorsqu’une femme est plus intelligente, plus qualifiée, plus compétente que nous, nous en faisons une maladie chronique, un objet de notre perpétuel tourment au point de nous dire « Oh, de toute façon, cette femme n’est pas une femme, c’est un homme. Et puis elle se prend d’ailleurs pour qui, hein ? » D’où les appellations du genre la « Dame de fer »...

Même notre langue, le lingala, est marquée par ce machisme. Les hommes sont considérés comme invincibles, forts. Les femmes, elles sont du côté de la faiblesse. Juste un petit exemple : pour désigner la main gauche, on dira «  loboko ya mwasi » (La main de lafemme). C’est la main qui est réputée être la plus faible, tandis que la main droite « loboko ya mobali » (la main de l’homme) incarne la force. Or dans la vie quotidienne nous voyons combien le pied gauche est essentiel pour certains grands footballeurs, ou même la main gauche qui est capitale pour certains champions du monde de boxe...

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L’émancipation de la femme noire demeure le point sombre de la musique des deux Congo. Une musique qui, à certains égards, nourrit le machisme, regarde la femme comme un pot de fleur posé sur un bureau et qu’on peut déplacer selon la direction du soleil. Tout se passe comme si nos musiciens savaient parler aux femmes tout en étant incapables de les aimer dans la réalité, ou du moins de leur accorder la dignité humaine qui sied à notre condition.
Parallèlement, même si plusieurs chansons du répertoire des deux Congo convoquent la femme soit en mère, en dulcinée, en amante ; nous ne nous étonnerons pas de croiser des maîtresses acariâtres, des méchantes chipies, des femmes poussées par l’intérêt immédiat, ou, le comble, des sorcières qui passent leur temps à fabriquer la potion qui servirait à empoisonner leur époux afin d’hériter de la Mercedes et de la Villa au bord du fleuve Congo !

Par conséquent, le portrait de la femme noire est d’ordinaire des plus choquants, comme si le courant du féminisme n’a jamais atteint le continent africain. La femme est une « chose » appartenant à l’homme, une « chose » sur laquelle celui-ci exercerait son « droit d’homme » parce qu’il l’aurait « acquise » par le biais du mariage et parce qu’il la retiendrait par le portefeuille...

Loin de faire un catalogue exhaustif des chansons exprimant ce machisme, j’ai choisi quelques exemples, en particulier ceux provenant du Grand Maître Franco et de quelques musiciens de la nouvelle génération. Il s’agit de montrer comment le chemin de l’émancipation reste à parcourir et le discours musical à corriger lorsqu’il faut célébrer celle que Senghor a désormais immortalisé : la femme noire. Tandis que le poète Aragon, pour sa part, soulignait que la Femme est l’avenir de l’homme...

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Nous sommes tous conscients de la place qu’occupe Franco Luambo Makiadi, un des animateurs de la rumba congolaise contemporaine. Ce musicien talentueux savait scruter la société congolaise, et nous pouvons dire, sans risque de nous tromper, qu’avec sa mort, nous avons perdu un des chroniqueurs sociaux de notre continent.

La femme est bien entendu au cœur de sa création – et même les quelques exemples de machisme que nous soulignerons plus loin montrent la conception que nous avons consciemment ou inconsciemment du rôle de la femme. Il faut dire, à sa décharge, que ce musicien talentueux n’a pas non plus épargné les hommes – mais cela ne s’appelle plus du machisme, je dirais plus de l’autoflagellation. Les hommes, dans ses textes, pouvaient être par exemple des Mario (sorte de gigolo entêté)...

Une des premières chansons de Franco qui me vient à l’esprit est tiré d’un album consacré au 20ème anniversaire d’OK JAZZ. Le titre de la chanson en lui-même est tout un programme : Matata ya mwasi na mobali ekoki kosila te (Les ennuis entre l’homme et la femme ne datent pas d’hier). C’est une sorte de questionnement sur les rapports que nous entretenons avec l’autre sexe. Ici la femme est présentée comme la source des tracas de l’homme. C’est elle qui est à l’origine de tout. C’est la diablesse désignée sans voies de recours. Et Franco se pose la question originelle : Dieu a-t-il crée l’Homme afin qu’il travaille toute sa vie durant pour la femme, qu’il la nourrisse alors que lui-même passe l’année entière avec une seule chemise et un seul pantalon ?
Plus loin, le musicien fait le constat suivant : C’est la femme qui nous a mis au monde, et c’est encore elle qui nous cause des misères ! Dans ces conditions, Franco regrette que sa descendance ne soit constituée que de filles et non de garçon. Alors, il dit : Dieu m’a presque maudit en me donnant comme enfants des filles qui, plus tard seront, qu’on le veuille ou non, la cause des malheurs de hommes.
Dans la même chanson, Franco réduit considérablement le rôle de la femme. Elle est reléguée au second plan. A la cuisine, au service exclusif de l’homme. Et l’homme ne se prive pas de marquer son territoire dans une espèce de dictature conjugale. La femme, elle, n’a pas le droit à la parole. Franco lance en effet : « Lorsque je reviens à la maison pour me reposer, après quelques affaires dans la ville, la femme me demande d’où je viens, ce que j’ai fait, mais qui donc lui a donné l’autorisation de me poser de telles question alors que c’est moi qui l’ai épousée avec mon argent ! »
Plus loin encore, la femme est désignée comme source de mensonges, d’hypocrisies. Elle peut te dire qu’elle est malade, souligne Franco, et tu finis tout ton argent dans les médicaments alors qu’elle est en train de te rouler dans la farine !

Le summum de l’humiliation de la femme a sans doute été atteint avec un titre intitulé « Non », réédité à l’occasion du 3ème anniversaire de la mort de Franco. Dans ce titre donc, Franco et Madilu System se livrent à une véritable critique caustique dont la femme fait les frais. Franco affirme :
« Bino basi nzambe a sala bino lolenge nini ? bokoki ko tonga mboka te ». En clair, la femme est ainsi incapable de résoudre les problèmes quotidiens, elle est plutôt dans la logique de la destruction à cause de ses manigances, de l’hypocrisie qui est liée à sa nature et qui remonterait à la création du monde lorsqu’elle avait croqué la pomme et décidé d’entraîner Adam dans sa félonie destructrice.
Dans cette chanson « Non », les belles femmes sont opposées aux femmes dites vilaines qui passent leur temps à utiliser la beauté des autres pour parvenir à leurs fins. Les vilaines femmes ont en effet une stratégie machiavélique : elles se promènent souvent avec les belles. Les vilaines profitent de la situation, s’ennervent lorsqu’un homme aborde leurs amies plus dotées par la nature. Et Franco de conseiller à ces laides de demander qui leur a « donné » une telle laideur :

Mwasi ya Elongi mabe mosala kokaba basi ya bato
Abongisa vie na ye na kombo ya basi ya bota

Basi ya bilongi mabe bandeko, mosala kolia interet ya baninga
Okokutuna na mwasi ya kitoko na oyo ya elongi mabe,
Olingi osolola na oyo ya kitoko, oyo ya elongi mabe asali garde-fou
Yango bino basi bilongi mabe, bandeko,
botuna nani asala bino bilongi oyo, bilongi y a kukukuku

Mais le grand maître Franco est encore allé plus loin, notamment dans la chanson « Très faché », disponible dans un de ses best-of. Il regrette que Dieu ait donné une bouche à la femme – ce qui fait qu’elle n’arrête pas de parler. « Alata pantalon na ndako. Na loba ndenge na lingi andima ngai te ». Cette femme est devenue ce qu’il appelle un « caterpillar », elle sillonne les rues, ramasse les ordures, dilapide l’argent du foyer conjugal. Et Franco de se plaindre que cette femme distribue son argent aux « petits poussins », les beaux gosses. « Mbongo na ngai bana mike basilisi ». Ce que l’homme lui donne comme argent chaque mois, la femme le divise en plusieurs parts :

’-Elle en donne dans son église

’-Elle en donne à sa mère

’-Elle en garde un peu pour ses sorties

’-Elle en garde pour l’achat de ses chaussures

’-Elle en garde pour ses tontines avec ses copines

Et, du coup, il ne reste qu’une petite portion congrue pour le foyer conjugal.
Conclusion de Franco : le monde est foutu, les femmes nous soutirent notre argent pour nourrir et habiller leurs amants. Et même lorsqu’on leur donne de l’argent pour faire du commerce, elles dilapident le capital et les intérêts. Et lorsque le musicien se plaint auprès de la mère de son épouse, cette mère ne l’écoute pas. Elle a eu plusieurs filles avec de pères différents. Ce qui fait alors dire à Franco : telle mère, telle fille...

Au Congo-Brazzaville, j’ai noté une chanson célèbre du Youlou Mabiala, Mon avocat a voyagé. La chanson raconte les déboires d’une femme désespérée. Elle a tout perdu de son mari pour s’être laissée attirée par une vie très mouvementée avec son amant qui lui « donnait des enveloppes », l’emmenait manger vers les chutes de la Loufoulakari, ou encore la faisait voyager en Europe.
Na zali mwasi, nzambé a sala nga ndenge nini, (je suis une femme, mais comment Dieu en est arrivé à ce résultat ?) se plaint-elle. L’homme est alors présenté comme un être droit, fidèle, amoureux de sa femme alors que la femme cède à la puissance de l’argent, du matériel et finit par perdre les avantages que l’homme lui avait accordés.

La nouvelle génération des musiciens congolais reste parfois dans le sillage de cette conception, même s’il faut reconnaître que beaucoup de chansons font plutôt l’éloge de la femme. Toutefois, songeons à un musicien qui eut jadis un vif succès. Il s’agit de Djo Nolo qui chanta pendant longtemps avec Papa Wemba et Bozi Boziana. Nous savons combien Djo Nolo a chanté la Femme, notamment dans Mantsanga. Mais il est surprenant d’écouter une chanson comme celle intitulée « Je me suis trompé » : la femme est capable de tuer, elle vous fera honte en public, elle vous crucifiera, elle a un cœur de sorcière, manger avec une femme c’est d’ ailleurs manger avec une sorcière comme dirait nos ancêtres, rappelle Djo Nolo :

« Azali capable ya kobama ngai. Namikosaki. Asali ngai soni na miso ya bato. Akokisi ngai na ba banda oyo to kokani te. Alingi kutu na kufa. Amemi kuruzu na marteau po baboma nga. Motema ndoki. Koliya na mwasi kolya na ndoki, baloba banda kala »

Un autre groupe qui eut du succès en son temps, c’est Choc Stars. Dans leur premier album intitulé Riana, on peut écouter une chanson de Debaba intitulée Zikondo :

« Mwasi azali lokola cameleon, a changeaka mibali ndenge cameleon a changeaka ma langi » ( La femme change d’hommes comme le caméléon change de couleurs)

Quant à Bozi Boziana, avec son ensemble Anti-choc, on l’entend dans "Sala Mosala" réduire la femme à son rôle de femme au foyer, ce qui est, à ses yeux, le « travail » que Dieu lui aurait donné :

« Sala mosala ya mwasi na ndako) : Sala mosala mosala nzambe aponela yo, mosala ya mwasi ya libala po nayeba bolingo na yo. (Remplis la tâche que Dieu t’a confiée en tant que femme au foyer afin que je mesure ton amour).

Ces quelques pistes sont à poursuivre dans une étude plus vaste. Nous comprendrons alors qu’en changeant nos mentalités, nous ferons avancer le devoir de courtoisie que nous devons à la Femme. Peut-être aussi que nous sommes en face d’une éducation sentimentale que nous avons héritée depuis la nuit des temps. Mais nul n’est tenu de pérenniser un tel héritage...

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