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"Détonations et Folie", le nouveau recueil de nouvelles de Liss Kihindou

Les mots explosent grâce à la fougue du verbe sous la plume de Liss Kihindou dans DETONATION ET FOLIE. Le substantif, acerbe, se livre sans pitié à l’autopsie de la barbarie humaine lorsque sautent les verroux de la morale, cela, grâce au bistouri de l’écriture...féminine.

« Détonations et folie » (1) , le nouveau recueil de nouvelles de Liss

Des récits sur l’Afrique des guerres « démocratiques » ont constitué une large page de l’histoire du continent de ces dernières années. Une fois de plus, « Détonations et folie » de Liss met en relief, à travers dix nouvelles pleines de douleur et de déplacement vers l’inconnu, l’Afrique des guerres interethniques telle que nous l’avions vu en Sierra Leone, au Congo, en Côte d’Ivoire…et que nous retrouvons actuellement au Soudan, en République démocratique du Congo et en Somalie. Et ces nouvelles se reliant thématiquement les unes les autres, contrairement à la plupart des recueils, peuvent se résumer par un segment narratif du dernier texte : « La guerre, ce n’est pas bon, ce n’est bon » a chanté ZAO, musicien congolais. On l’a amèrement expérimenté. Plus d’activités. Plus d’argent. Plus de nourriture. On a faim. On est malade. On n’est plus libre. » (p.123).

Du début à la fin, les héros et héroïnes de toutes les nouvelles se confrontent à la peur des armes et des hommes en treillis ainsi qu’à l’incertitude du lendemain. Aussi l’incipit du premier texte « Exilé chez soi » pose déjà le domaine de définition de la thématique du livre : « Une lointaine détonation… Des regards qui s’affolent, des angoisses qui se croisent. Hésitations… Incompréhension » (p.11). Aussi les héros et héroïnes de tous les textes se remarquent dans leur attitude en quête de la liberté pour fuir les méfaits des hommes en armes. L’ensemble des récits apparaît alors comme un recueil de nouvelles prenant la forme d’un roman au fur et à mesure que se réalise la lecture. Ainsi Détonations et folie peut se définir comme une écriture de guerres civiles en Afrique avec ses corollaires tels la mort, le viol, le pillage qui se produisent dans l’errance des hommes, femmes et enfants que leur imposent les belligérants. Tous ces éléments reviennent sans cesse dans tous les textes et créent une sorte d’intertextualité qui diminue la puissance de la nouvelle car les textes se confondant à des chapitres de roman avec le personnage-je qui fonctionne presque dans tous les textes. Détonations et folie, une autre façon de concevoir un recueil de nouvelles qui rappelle la technique scripturale des écrivains Tchichelle Tchivéla (Longue est la nuit, L’Exil ou la tombe) et de Auguy Makey (Brazzaville, Capitale de la Force libre).

« Détonations et folie » : une écriture de guerre

Presque dans tous les textes, les principaux personnages de Liss se confrontent à la guerre et ses méfaits. Ils n’y participent pas mais la subissent. Ils sont victimes des représailles des hommes en armes qui violent, tuent et pillent. Et ceci se révèle « matériellement » par leurs « instruments » de travail : « Des véhicules de marque Hilux étaient stationnés devant nous. Sur ces véhicules, on pouvait lire : TUER.VIOLER.BRULER » (pp.125-126). Et au fur et à mesure que se dévoilent les histoires rapportées, les hommes en treillis se livrent, à l’exception des soldats angolais qui se remarquent dans la diégèse, au meurtre, au viol et la destruction matérielle. La mort à laquelle échappe le héros de « Muchikimbila » que les miliciens ne tuent pas par pitié car n’ayant pas le « physique » d’un homme, se réalise dans « On m’a assassinée » quand l’héroïne voit son père menacé de mort par les miliciens : « Enervé, le milicien-chef avait étendu mon père par terre d’un coup de crosse sur la tempe, le menaçant de le « faire voyager » [le tuer] s’il continuait à les agacer » (pp.45-46). Mais le côté ouvertement sadique des hommes en armes atteint son point culminant dans la dernière nouvelle où le héros, un jeune garçon de onze ans, assiste impuissant à l’assassinat de ses père et grand-père par les militaires : « S’adressant à mon père, un soldat dit ! « Lâche ton fils, sinon je vous abats tous les deux » Papa eut juste le temps de poser mon cadet par terre. Alors qu’il se redressait, une balle troua son front. Elle ressortit par la nuque. (…). Il baignait dans un flot de sang » (p. 128).
Souvent ces scènes de tuerie s’accompagnent de viol quand l’élémént-femme se présente devant les militaires et miliciens. Dans « On m’a assassinée », l’héroïne vit déjà dans l’angoisse d’être violée par les militaires qui ont menacé son père de mort : « Malgré tout je hurlai, appelant papa au secours. Je fus arrachée du sol, jetée sur l’épaule. Tu vas voir ça ! » dit celui qui me transportait en ouvrant la porte » (p.46).
Et cette idée de viol réapparaît dans « L’ombre de la mort » quand les militaires veulent se satisfaire sur les tantes du héros : « On ordonna à mes tantes de rentrer dans la maison. Des hommes en uniforme les suivirent » (p.126). Les guerres civiles, dans la distribution de la mort et du viol, donnent naissance à un autre genre d’acteurs : les pilleurs. Les guerres de Détonations et folie ne font pas exception. Les pilleurs se dévoilent dans « L’ombre de la mort » comme il est écrit ci-après ; « Avant de rejoindre [mes tantes], ils s’intéressèrent d’abord à piller la maison » (p.126). Le pillage est bien mis en exergue dans « Bien mal acquis » où apparaît aussi le côté burlesque et comique sur fond d’un surnaturel que définit l’un des personnages pilleurs du texte. Shaolin se fait interpeller par une voix étrange et anonyme quand il est en train de vendre les objets pillés au marché. Ainsi cette voix étrange l’emmène à la démence : « Ramène-moi chez mon propriétaire » entendit-il dès qu’il posa sa main sur l’appareil [pillé] (…) Shaolin criait tout en se tenant la tête. Les gens commençaient à s’attrouper autour de lui, il ne s’en occupait pas » (p.57).

Les errances et déplacements dans « Détonations et folie »

« Encore partir ? Quand est ce que cela s’arrêtera ? (…) A quand la fin de l’errance ? » (p. 73) se demande l’héroïne de « Choix de femme ». Des questions que pourraient se poser bon nombre de personnages du livre. Les textes de Liss peuvent se définir comme des récits d’errance où hommes, femmes et enfants traumatisés par la guerre, sont à la quête de la liberté en se déplaçant vers l’inconnu. L’errance est plus explicite dans « L’ombre de la mort » où les personnages en fuyant la mort sont paradoxalement poursuivis par celle-ci. Les villes de Brazzaville, Dolisie, les villages de Manfoumbou et Mvoungouti signifient l’errance du narrateur avec sa famille avant d’atteindre Pointe Noire. Mais dans cette fuite vers l’inconnu, se révèle une catégorie de femmes qui se découvrent courageuses à l’instar des hommes. Dans la sixième nouvelle, on remarque l’attitude on ne peut plus désagréable de l’homme vis-à-vis de la femme qui veut vivre son indépendance, sa liberté.
Aussi l’ascension de l’héroïne devenue femme d’affaire à partir d’un petit commerce et sans être attachée à la puissance financière et matérielle de l’homme, pousse à la réflexion. L’homme devrait comprendre que la femme est son égal malgré la différence de sexe. Et cette mauvaise suprématie de l’homme pousse la femme à la révolte comme le déclare l’héroïne : « A cette vie [de femme sous l’autorité de l’homme], j’ai dit : stop ! Je ne veux pas passer ma vie à rester à la maison au service d’un maître à qui je devrai obéissance » (p.74).

La barbarie en uniforme



La barbarie congolaise en uniforme

Riche en thèmes qui souvent sont en rapport avec la condition humaine quand le destin de l’homme se trouve confronté aux difficultés, les récits de Liss révèlent l’omniprésence de Dieu devant la violence des hommes. Tandis que certaines personnes qui sont en difficultés « demandent » l’aide de Dieu à travers la prière, il y a celles qui se croient puissantes grâce aux armes qu’elles ont dans leurs mains et se moquent des miracles de Dieu. On le constate dans la septième nouvelle intitulée « Pastonnade » à travers la « confrontation » entre un homme d’église et des miliciens : « Regardez, je suis pasteur. Pasteur ? de mon cul oui ! (…) Demande-lui de te sauver. S’il le fait nous abandonnons tout de suite les armes (…) Allez que Dieu fasse un miracle, parce que dans trente secondes, tu vas voir ce que tu vas voir. » (pp. 94-95).
Un côté didactique se dégage aussi de l’analyse de ce livre car il pousse le lecteur à réfléchir sur certains problèmes sociaux tels les conflits interethniques souvent à l’origine des affrontements, la condition féminine que l’homme devrait reconsidérer. Aussi la punition de Shaolin, à lui imposée mystiquement et mystérieusement par les objets pillés, devrait réveiller la conscience des jeunes habitués à la vie facile.

Du style dans « Détonations et folie »

Se fondant sur une intertextualité qui s’étend presque dans toutes les nouvelles, le livre s’impose une lecture transversale et peut se lire comme un roman. En dehors de « Bien mal acquis » et « Chroniques » qui se racontent par le pronom impersonnel « on », les récits de Liss semblent subjectifs à cause de la position du narrateur/narratrice « je ». Les héros et héroïnes se présentent toujours de l’intérieur et ne racontent qu’en véritables témoins de ce qu’ils subissent et de ce qui se passe devant eux, en dehors de quelques souvenirs qui explicitent quelques analepses des récits. L’héroïne de « Choix de femme » se souvient du pillage dont elle a été victime lors d’un précédent trouble. Se rencontrent aussi certains mots du terroir de l’écrivaine qui donnent une dimension « tropicale » à l’ouvrage sans pour autant empêcher le lecteur de comprendre les aventures rapportées. Détonations et folie, des messages autobiographiques fondés aussi sur l’ « existence » de l’Eternel.

Conclusion

La littérature narrative congolaise du côté des femmes s’est déjà affirmée en dix huit ans d’existence avec des noms telles Jeannette Balou Tchichelle, Francine Laurens, Aimée Gnali Mambou, Aleth Félix Tchicaya, Nelly Huguette Sathoud pour ne citer que ces figures (2) . Et cette année se sont remarquées Doris Kélanou et Liss avec, respectivement, le roman L’Hôte indésirable (3) et le recueil de nouvelles Détonations et folie, un livre qu’il faut lire et faire relire car posant des problèmes qui font « souffrir » le continent. Ce continent que doivent revaloriser les Africains devant l’arrogance de l’Europe.

Noël KODIA

Notes
(1) Liss, « Détonations et folie », Editions L’Harmattan, Collection Encres noires, Paris, octobre 2007, 138 pages, 13 euros.
(2) cf. l’article « Les romancières du Congo » in www.afrology.com
(3) roman publié à Paris et présenté dans « Afrique Education » n°233 du 1er au 15 août 2007.

L’auteure
Ancienne étudiante de l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville et vivant actuellement dans la région parisienne, Liss est titulaire d’une maîtrise et d’un DEA de Lettres modernes de l’Université Paris X Nanterre. Après la publication de plusieurs textes poétiques dans la revue Ngouvou de Brazzaville, elle publie en 2005 son premier recueil de nouvelles intitulé J’espère aux éditions Amalthée. Détonations et folie est son deuxième recueil qui lui a ouvert les portes des éditions L’Harmattan. En dehors de l’écriture de fiction, elle s’intéresse aussi à la critique littéraire.

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