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Don King lit en anglais, Rushdie parle en français et Gordimer explique tout avec des gestes...

Voyager à l’intérieur des Etats-Unis peut paraître une chose simple, moins fastidieuse que d’aller en Europe. Eh bien, non. Lorsqu’on quitte Los Angeles pour New York, on a l’impression que celui qui va à Paris arrivera très en avance, qu’il aura le temps de prendre son RER à Roissy, d’arriver chez lui, de se raser avant de consulter tranquillement son courrier électronique. Si par malchance vous quittiez Los Angeles pour New York - avec en plus un transit par Washington - vous en aurez pour au moins 7 heures de vol, sans compter qu’il vous faudra être à l’aéroport deux heures à l’avance...

Bref, j’ai fait le trajet. Du 24 au 29 avril s’est déroulée en effet, à New York, la grande rencontre des littératures du monde orchestrée par le Pen American et son président d’honneur l’écrivain Salman Rushdie. Il est réjouissant de voir combien le public américain était sensible à cette manifestation. Les auteurs lisaient leurs textes devant plus d’un millier et demi d’auditeurs attentifs, applaudissant à tout rompre. Dans ce concert des littératures, la langue anglaise l’a emporté évidemment.

Et lorsqu’on venait toutefois à lire un texte en français devant cette audience - elle en demandait, croyez-moi, surtout pour la poésie -, on avait l’impression que tout le monde saisissait cette langue et que la traduction ultérieure devenait presque superfétatoire. De ce fait, voir dans la grande salle de l’Université de Columbia (photo ci-dessus) un Don King Dany Laferrière se preparant pour une lecture de Pays sans chapeau en anglais ne pouvait pas être une expérience à rater. Je le voyais murmurer les mots avant "d’affronter" le public. Que pouvais-je faire pendant ce temps ? La photo le dévoile : je cherchais quels passages à lire en anglais, et je me mettais aussi à murmurer les mots les plus difficiles à prononcer ...

Ailleurs on aurait pu craindre la petite pluie qui tombait, signe qui, d’ordinaire, réduit la fréquentation d’une rencontre de ce genre. C’était sans compter avec la détermination des organisateurs et toute la publicité qui entoura cet événement. Tous logés au Roger Smith Hotel, - pour une meilleure proximité des auteurs - nous pouvions alors aisément prolonger les échanges le soir, notamment au 5 ème étage, dans une salle "open bar" où l’écrivain américain Russell Banks ( auteur d’ American Darling, Actes sud), avec ses bottes légendaires, barbe grise et sourire d’Hemingway, nous rapportait comment il avait eu l’impression que Genève était une ville un peu triste...

Salman Rushdie (photo) est un bonhomme très marrant, avec ses lunettes , nous rassurant que tout allait bien passé. Il n’a plus ses garde du corps depuis bien longtemps, et c’est tant mieux pour la liberté d’expression et le triomphe des Lettres.

Pantalon jean, veste bleue sans cravate, l’homme ne manquait pas de jeter quelques commentaires sur les images qui nous venaient de la grande salle par le biais d’une télévision. Voir Salman Rushdie s’exprimer en aparté en français fut aussi un des moments mémorables. Je l’imaginais en être austère, rompu par les différents tracas qu’il a connus dans sa vie d’écrivain, notamment cette fatwa qui fut lancée à son encontre lors de la publication de son livre emblématique, Les Versets sataniques. Eh bien, je me trompais. L’homme vous prenait par l’épaule, vous servait du vin rouge, lançait une blague qui faisait éclater tout le monde de rire. La mobilité se lit dans ses yeux, et surtout cette générosité qui fait qu’il est un des rares auteurs de l’espace anglophone qui tendent spontanément la main aux jeunes pousses, allant jusqu’à écrire quelques mots dithyrambiques en quatrième de couverture des bouquins de ces écrivains inconnus.

De l’autre côté, la sud-africaine prix Nobel, Nadine Gordimer (photo), affichait la même décontraction que Rushdie. Elle semblait heureuse de retrouver une famille « du monde », et elle voulait que tout le monde le sache. Très discrète pourtant, on la voyait à peine arriver et prendre la conversation en cours de route, les yeux pleins de curiosité. Alors, tout y passait : l’histoire, la littérature, la politique etc. Cela pouvait durer longtemps. Mais Rushdie nous faisait signe. Du genre : « Bon, il faut bien qu’on y aille à présent, les gens attendent... » Et c’est ainsi que le maître de cérémonie nous livra à un public proche de celui d’un concert de U2, sauf qu’ici ce monde avait payé 15 dollars pour venir entendre les écrivains lire leurs textes et signer leurs livres à la fin de la manifestation...

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