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Et si vous étiez des victimes du racisme de l’intelligence ???

Pierre Bourdieu ? Sociologue français. Considéré comme un des grands animateurs de la sociologie française de la seconde moitié du XXème siècle. Mais il était aussi connu pour son engagement public. Né en 1930, il est mort à Paris le 23 janvier 2002.
Ce sociologue avait publié en 1983 un court texte qui, aujourd’hui, est plus que d’actualité. Ainsi est-il convenu de repenser la notion de racisme, de ne pas seulement y voir une question de races. Et si nous n’ouvrons pas les yeux, il nous sera difficile de saisir les nuances et les subtilités de certains racismes qui se déroulent devant nous et prennent alors la nature d’une réalité, d’une situation presque fatale. Le sociologue nous proposait la notion de "racisme de l’intelligence". Laissons-le l’exprimer et la définir par ses propres mots :

Il faut avoir à l’esprit qu’il n’y a pas un racisme, mais des racismes : il y a autant de racismes qu’il y a de groupes qui ont besoin de se justifier d’exister comme ils existent,

ce qui constitue la fonction invariante des racismes. Il me semble très important de porter l’analyse sur les formes du racisme qui sont sans doute les plus subtiles, les plus méconnaissables, donc les plus rarement dénoncées, peut-être parce que les dénonciateurs ordinaires du racisme possèdent certaines des propriétés qui inclinent à cette forme de racisme. Je pense au racisme de l’intelligence.

Le racisme de l’intelligence est un racisme de classe dominante qui se distingue par une foule de propriétés de ce que l’on désigne habituellement comme racisme, c’est-à-dire le racisme petit-bourgeois qui est l’objectif central de la plupart des critiques classiques du racisme, à commencer par les plus vigoureuses, comme celle de Sartre.

Ce racisme est propre à une classe dominante dont la reproduction dépend, pour une part, de la transmission du capital culturel, capital hérité qui a pour propriété d’être un capital incorporé, donc apparemment naturel, inné. Le racisme de l’intelligence est ce par quoi les dominants visent à produire une « théodicée de leur propre privilège », comme dit Weber, c’est-à-dire une justification de l’ordre social qu’ils dominent. Il est ce qui fait que les dominants se sentent d’une essence supérieure.

Tout racisme est un essentialisme et le racisme de l’intelligence est la forme de sociodicée caractéristique d’une classe dominante dont le pouvoir repose en partie sur la possession de titres qui, comme les titres scolaires, sont censés être des garanties d’intelligence et qui ont pris la place, dans beaucoup de sociétés, et pour l’accès même aux positions de pouvoir économique, des titres anciens comme les titres de propriété et les titres de noblesse.

Ce texte de Pierre Bourdieu est paru en 1983 dans Le Monde Diplomatique sous le titre « Classe contre classe » et repris dans ce mensuel en avril 2004 sous le titre "Le racisme de l’intelligence".
Il nous invite ainsi à approfondir cette notion de racisme de l’intelligence - et donc de déplacer notre grille de lecture de la question. Le chemin est long puisque nous avons d’ordinaire une conception étriquée du racisme : nous voyons le monde en noir, blanc, jaune ou rouge dans leur choc - en y ajoutant les métissages issus du croisement de ces couleurs ! Ce qui n’est toujours pas une manière "intelligente" de traiter le racisme...
Et si jusque-là nous mettions la charrue avant les boeufs ? Qu’y-a-t-il de pire que la "misère du monde", la domination et l’exclusion par l’intelligence ?

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