email

Il décime, il divise, il appauvrit : "L’Hôte Indésirable", de Doris KELANOU.

A partir du sida, l’auteur reconstruit les moeurs qui sont à l’origine du fléau ainsi que les représentations de celui-ci dans la vie quotidienne.

Quel est donc cet hôte, qu’on accueille sans le connaître, ou plutôt sans le reconnaître, qui s’installe en maître dans notre maison, dans notre famille, sans que nul ne le démasque ni ne le déloge ? Il s’agit bien sûr de ce fléau qu’on préfère désigner par des périphrases du genre « la peste moderne » ou la « maladie du siècle », car rien que de la nommer vous entraîne d’emblée dans un tourbillon de souffrances, de désespérance, d’abandon vécus au quotidien par des millions et des millions de malades.

La grande majorité de ces malades, on le sait, réside en Afrique, au point qu’un habitant sur quatre, sur trois, voire sur deux selon les pays, est contaminé. Cette situation nous interpelle tous, elle inspire notamment les écrivains, pour qui la fiction devient une arme de combat contre ce virus encore ‘‘invaincu’’, mais – pour parodier Rodrigue dans Le Cid de Corneille – certainement pas ‘‘invincible’’. La fiction permet la dénonciation des comportements qui confortent le sida. On le voit avec le roman Ne brûlez pas les sorciers, du Congolais Donatien BAKA, publié cette année même, qui déplore le fait que l’Africain, entre explication rationnelle et explication mystique, privilégie cette dernière, et ce quel que soit son degré d’instruction, ce que confirme L’Hôte Indésirable de Doris KELANOU, également congolaise de Brazzaville. Mais dans son roman, c’est particulièrement l’ignorance qui est mise au banc des accusés.

Tous périront par la faute d’un seul

L’ignorance cause la ruine de toute une famille. Avec le sida, ce n’est pas seulement «  celui qui met le pied dans la rivière que le crocodile mange » [1], mais tout le monde est entraîné dans une spirale infernale. Simon, avait tout pour être heureux : une femme dévouée, une belle promotion au travail qui rehausse considérablement son niveau de vie, mais il pense que ce changement de catégorie sociale, d’une classe moyenne à une classe plus élevée, il doit en quelque sorte le ‘‘prouver’’. En effet, à Mboka-Bissengo [2] , ville bien nommée, il faut extérioriser sa richesse, par exemple en étant capable d’entretenir des maîtresses. Simon, tout comme Lopo dans Ne brûlez pas les sorciers, agissent par suivisme, sans réfléchir aux conséquences de leurs actes. Mais, plus grave, ils négligent des précautions simples comme les préservatifs.
Précieux bouclier, ceux-ci auraient pu protéger de nombreuses vies, mais à Mboka-Bissengo, l’apparence est reine : un homme ou une femme physiquement vigoureuse ne peut être porteuse de la maladie. Ainsi, Simon reçoit le virus de sa maîtresse – qui auparavant monnayait son « fruit maternel » pour pouvoir subsister –, le transmet à sa femme, qui le transmettra à son tour à leurs jumeaux. Ils meurent tous l’un après l’autre. Dès les premières pages, le narrateur omniscient qui rapporte l’histoire ne ménage pas le lecteur quant à l’issue funeste du récit et ce qui la génère : le sida. Mais les protagonistes, eux, l’ignorent ; ils mettront en cause la sorcellerie.

La pantomime du mariage

Le sida constitue-t-il le seul facteur de destruction massive des familles ? Il n’est en réalité, nous fait comprendre Doris KELANOU dans son roman, que la conséquence visible d’un fléau bien plus insidieux : l’infidélité. L’Hôte Indésirable est aussi bien un cri de révolte contre le sida qu’une invitation à réfléchir sur le sens du mariage. En vérité, on devrait parler de pantomime du mariage, car les voeux échangés par les époux, les serments de fidélité jurés, sont souvent pour ne pas dire toujours trahis. Doris KELANOU dénonce la perte de valeur de la parole donnée. Pourquoi vouloir à tout prix s’unir par les ’’liens sacrés du mariage’’ sachant que ce mot « sacré » ne veut absolument plus rien dire. Peut-être vaudrait-il mieux faire comme Ségolène et François, qui n’ont pas convoqué de Maire ni de Pasteur pour s’engager l’un envers l’autre, mais qui ont pourtant longtemps cheminé ensemble. Aujourd’hui ils se quittent sans qu’aucun ’’serment’’ n’ait été trahi.

La désacralisation de la parole donnée s’observe à tous les niveaux, pas seulement au sein du couple. Dans toute la société en général, le déshonneur, la trahion de ses propres engagements, gâtent le bien-être commun : mères ou pères de familles vis à vis de leur progéniture, médecins, avocats, policiers, enseignants, hommes d’état... tous sont ou ont été de mauvaise foi.

Doris KELANOU fait le procès de la modernité, avec le déferlement des vices qui le caractérise. Elle dénonce également les pratiques qui font que l’Afrique, à travers ce pays imaginaire, le Viodo, a du mal à décoller : dégradation de l’appareil médical (l’hôpital ne soigne pas), superstition (un simple bec-de-lièvre, malformation congénitale, suffit à diaboliser un enfant), manque d’initiatives personnelles pour s’en sortir, prolifération des sectes… en sont quelques exemples. Bref, voici un roman – le premier de l’auteur – qui se veut pédagogique. L.K.

282 pages,
16,00 €
Editions Anibwe/Paris
Date de parution : 05/2007
ISBN/EAN : 97829161210-31

Doris Kelanou, écrivaine

L’auteur :

Née en 1972 au Congo Brazzaville, Doris KELANOU est installée en France.
Niveau DEUG II en Droit privé à l’université Marien Ngouabi.
Diplômée en Anglais et Bureautique en Afrique du Sud.
Doris travaille comme Agent d’escale dans un aéroport parisien après avoir travaillé comme Assistante de direction dans une multinationale à Pointe-Noire/ Congo.
Mariée, elle est mère d’une petite fille.
Avec son premier roman "l’hôte indésirable", cette congolaise, passionnée de lecture fait son entrée dans la grande famille des écrivains

Vous pouvez suivre l’actualité de Doris Kelanou sur son blog.

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.