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Khadi Hane : "Il y en a trop dans les rues de Paris".

Lorsque la vie nous semble désagréable, remplie de préjugés, il nous restera encore l’évasion par les livres. Le génie humain s’y exprime, et le livre finit toujours par avoir raison un jour ou l’autre !...

C’est dans cet esprit que j’ai repris la lecture d’une pièce de théâtre de Khadi Hane parue il y a quelques mois, Il y en a trop dans les rues de Paris...
Le titre original - et je l’aurais d’ailleurs préféré - était Il y a trop de Nègres dans les rues de Paris ! Ce dernier titre avait l’efficacité de dire les choses directement alors que le titre retenu par l’éditeur me semble vague,même s’il peut tout englober : Nègres, Blancs, Beurs, Jaunes etc. Etait-ce le dessein de l’auteur de créer un "Tout-Monde" ?

J’ai donc eu le privilège d’écrire la quatrième de couverture de ce livre. Deux raisons m’avaient alors animé pour cela :

1. L’auteur poursuit un itinéraire littéraire qui la place aujourd’hui comme une des « filles légitimes » d’ Aminata Sow Fall ( Voir nos archives la concernant ). Ce constat est évident lorsqu’on a lu les précédents romans de Khadi Hane, Sous le regard des étoiles (NEAS, 1998) et Le collier de paille (Ndzé, 2002, mention spéciale du prestigieux Noma Award Publishing de Londres).

2. Il n’y a presque pas de femmes dramaturges dans les lettres francophones. En publiant Il y en a trop dans les rues de Paris, Khadi Hane nous offre une pièce de théâtre singulière. Le ton est surprenant, libre. Prenons comme exemple les échanges entre les personnages Ami (une Malienne qui aime l’argent, ne supporte surtout pas la victimisation des Africains par eux-mêmes) et Mouna (Beure qui a en horreur ses origines algériennes et aime à la folie la France).

Khadi Hane, interviewée par Hamidou Dia

Extraits de ces joutes oratoires, de ces dialogues cinglants :

MOUNA : ...Les Africains sont fainéants. Ils attendent que tout leur soit servi sur un plateau d’argent.

AMI : C’est tout ce que nous savons faire : rouler des R comme si nous descendions de Molière. Et plus tu les roules, plus tu t’enfonces dans ta merde d’Africain. Je vais vous dire moi : la francophonie, je n’y comprends rien. C’est quoi au juste ?

MOUNA : Une fraternité qui lie la France à ses colonies. C’est, comme qui dirait, une grande famille avec un patriarche qui veille sur les petits.

AMI : Qui refuse à ses frères la liberté de circuler et de travailler en paix ?

MOUNA : La France.

AMI : Qui exige que les Africains renient leurs propres langues au profit du français ?

MOUNA : La France.

AMI : Qui refuse ensuite de les accueillir dans son berceau ?

MOUNA : La France.

AMI : Et moi j’emmerde tous les francophones et les francoconnes... L’Europe, oui, c’est une fraternité. Plus de frontières. Liberté de circuler et de travailler. Mais comment peuvent-ils être une famille alors qu’ils ne parlent même pas la même langue ? Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie. ?

MOUNA : Et la police ne dit rien.

AMI : La préfecture non plus. Elle ferme sa gueule.

La pièce est traversée par ces paroles en éclats. On est surpris par le sens de l’auto-flagellation de l’auteur. Tout le monde passe à la moulinette "Khanienne".
Au fond, lorsqu’on dit "Il y en a trop dans les rues de Paris", il faudrait sans doute inclure tout le monde, y compris vous aussi !
Alors, dans les rues parisiennes, Mesdames et Messieurs, regardez bien autour de vous, il y en aura toujours trop (ou de trop !) Paroles de Khadi Hane...


Il y en a trop dans les rues Paris, Théâtre, Ed. Ndzé(www.ndze.com) , 78 pages, Paris, 2005.

Khadi Hane est Sénégalaise et réside à Paris. Elle préside l’Association Black Arts et Culture.

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