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L’effervescence des études postcoloniales aux Etats-Unis : Lydie Moudileno, Françoise Lionnet et Shu-mei Shih

Professeur de littérature à l’Université de Pennsylvanie, Lydie Moudileno (photo) est connue comme une grande spécialiste des littératures caribéennes auxquelles elle a consacré un essai en 1997, L’Ecrivain antillais au miroir de sa littérature, paru aux Editions Khartala. Son nouveau livre Parades coloniales, la fabrication des identités dans le roman congolais, toujours paru chez Karthala, nous montre sa polyvalence dans les champs de la recherche. Ce livre est, à bien des égards, un bel écho à Black France de Dominic Thomas que nous avons déjà présenté ici. Le lecteur remarquera la connivence intellectuelle de ces deux chercheurs qui, aujourd’hui, sont parmi les voix les plus imposantes et les plus prolifiques des études francophones postcoloniales aux Etats-Unis.
Si Black France de Dominic Thomas couvrait à la fois le colonialisme, la question de l’immigration et le nouveau visage du « transnationalisme » dans la littérature de l’Afrique noire francophone contemporaine, avec pour toile de fond la France, Parades postcoloniales de Lydie Moudileno dissèque pour sa part la fabrication des identités dans le roman congolais. On retrouve également les questions de colonialisme, des migrations et du jeu des corps, voire de ce miroir qu’est l’Occident, ce qui donne à l’ouvrage une grande dimension d’ouverture, l’éloignant du coup de ce qui aurait pu n’être qu’une étude "congolo-congolaise". Comment d’ailleurs traiterait-on de l’identité dans le roman postcolonial d’Afrique noire sans remonter à ces questions ? L’auteur d’entrée de jeu, montre son souci d’élargissement : « ...je souhaiterais que ce travail propose, autour du paradigme de la parade, un encouragement à continuer à interroger d’autres littératures africaines nationales ou transnationales, coloniales ou postcoloniales. » (p.9).
Ayant ainsi choisi cinq romanciers (Sylvain Bemba, Sony Labou Tansi, Henri Lopes, Daniel Biyaoula et votre serviteur), Moudileno, dans ses analyses, élargit la question de l’identité dans le roman africain et nous illustre comment celle-ci se manifeste en particulier dans les cinq romans qui lui servent « d’instruments » de travail... Et c’est ainsi que nous autres romanciers apprenons beaucoup sur ce que nous avons créé sans nous imaginer alors la tournure que prendraient les choses quelques années plus tard sous la plume des critiques et universitaires !...

Entre autres réjouissances de lecteur et d’amoureux des Lettres, on sort de Parades postcoloniales avec le bonheur de voir comment Moudileno rend hommage - j’allais dire justice - à un écrivain que j’apprécie beaucoup : Sylvain Bemba, qui, s’il est porté au pinacle au Congo - et dans la moindre mesure, en Afrique -, est injustement méconnu de la critique occidentale. Lydie Moudileno : « Ses pièces de théâtre et ses quatre romans n’ont jamais vraiment trouvé leur place dans le canon de la littérature francophone africaine au même titre que Sembène Ousmane ou Cheikh Hamidou Khane, ou que ses compatriotes Henri Lopes et Sony Labou Tansi. Ceci n’est pas étranger, bien sûr au lieu de publication de ses écrits [...]. Comme Labou Tansi, il publie son premier roman en 1979. Peut-être a-t-il été éclipsé par le succès de "La vie et demie" [Seuil, 1979] de Labou Tansi. Portée par une écriture plus ludique, moins évidemment « réaliste » ou engagée que celle de ses contemporains, l’œuvre de Sylvain Bemba contient pourtant une réflexion extrêmement complexe sur l’imaginaire dans le contexte postcolonial. A ma connaissance « Rêves portatifs » est le seul roman qui, presque vingt ans avant le roman « Cinéma » de Tierno Monénembo (publié au Seuil en 1997), prend le cinéma colonial et postcolonial pour thème central et s’attache à problématiser l’imaginaire cinématographique en Afrique, tout en le mettant en rapport avec la forme écrite. »

Lisons ou relisons donc Sylvain Bemba !!!


Dans le même esprit, Françoise Lionnet et Shu-mei Shih viennent de coordonner l’édition d’un livre collectif, Minor Transnationalism, paru chez Duke University Press. Ce livre ouvre une perspective dans la lecture de ce qu’on appelle désormais les « cultures des minorités » (Il faudrait trouver une belle formulation dans la langue de Voltaire !).

Les contributeurs, venant de disciplines différentes (histoire, littératures, études asiatiques ou francophones...) révèlent une multitude de cas dans lesquels ces cultures minoritaires influent sur la culture dite « majoritaire ». On peut le voir comme une opposition ou une assimilation, mais il est désormais nécessaire de tenir compte de ce brassage de cultures, de comprendre que la mobilité, les échanges entre les hommes fondent notre futur. C’est ainsi qu’on lira par exemple avec attention le texte de Françoise Lionnet - article qui devrait normalement enchanter notre ami Le Clézio - sur la question de de la traduction : "Transnational Translation : Shakespeare in Mauritius" ou l’étude de Tyler Stovall : Murder in Montmartre : Race, Sex, and Crime in Jazz Age Paris ou encore National space as Minor space : Afro-Brazilain Culture and the Pelourinho d’Elizabeth A. Marchant.
Bref, un ensemble de textes diversifiés et convergeant tous vers l’idée que les cultures minoritaires fondent désormais un angle de recherche dont nous ne pourrons plus faire l’économie tant leurs richesses et leurs diversités deviennent en quelque sorte ce qui nous caractérise tous.

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