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La guerre du 5 juin : La démocratie congolaise éventrée

Un lecteur anonyme a attiré l’attention des lecteurs de Congopage sur le 5 juin 1997 en se demandant pourquoi on en parlait pas. Essayons d’en parler

Je me permets de proposer ces quelques lignes à l’attention des lecteurs de Congopage pour essayer de restituer les choses et les placer dans leur contexte et faire une petite analyse.

La guerre du 5 juin 1997 est intervenue à un moment très sensible de la vie de notre pays. Le président Lissouba arrivait en fin de mandat après 5 ans de désordre et d’impotence politique. Ce mandat a été marqué par plusieurs tumultes socio-politiques.

Déjà le 3 novembre 1992, soit quelques mois seulement après son élection contestée, le pouvoir de M. Lissouba réprimait violemment une marche pacifique organisée par l’opposition. Cette marche devait être encadrée par les soldats de notre armée pour éviter tout débordement. Le débordement n’a pu être évitée et la force, non pas publique, mais celle de M. Lissouba a tiré sur la foule et il y avait eu trois morts.

Malheureusement, les soldats n’ont pu rien faire parce que ce jour-là, des mains bien malveillantes avaient donné des armes sans munitions aux militaires qui devaient assurer la sécurité de cette marche. "Puisque la force publique ne peut plus nous assurer la sécurité, nous l’assurerons nous-mêmes". Voilà, en substance, ce que se sont dits ceux qui étaient à la marche.

C’est la naissance de ceux que M. Lissouba va appeler les "Ninjas" plus tard au mois de juin ou juillet 1993, pendant une incursion punitive de l’armée chez M. Kolelas. C’était le début des crises ouvertes au Congo : barricades, grèves, journées mortes etc.

Le 30 novembre, la guerre de Bacongo éclate et on bombarde sans pitié pendant environ 3 mois. A la fin de cette crise, une réconciliation est amorcée entre Lissouba et Kolelas et M. Sassou se sent comme isolé dans ce paysage politique, lui qui avait signé un accord de gouvernement avec M. Kolelas en septembre 1992. Il est en séjour en France pendant 18 mois soit un peu moins de 2 ans. Quand il revient au Congo, il trouve que beaucoup de choses ont changé. Kolelas a mis des gens dans le gouvernement de Lissouba et il a la mairie de Brazzaville. Tout cela n’est pas pour lui plaire, lui qui voulait que l’opposition à Lissouba soit des plus rudes.

Il faut dire que pendant les 18 mois d’absence de M. Sassou, le Congo a connu un moment de paix assez rassurante. Le retour de M. Sassou à Brazza se fait avec fracas. Une grande délégation de membres de son parti et de militants est venue l’accueillir. Le MCDDI aussi a envoyé une délégation mais Bernard Kolelas n’est pas présent. Sassou trouve en cet accueil, une invitation à reprendre le pouvoir et les élections sont proches. Une chose est sure : il ne les gagnera pas si on fait les élections parce que la force MCDDI-UPADS est trop insurmontable. Mais il sait aussi que Kolelas n’a pas dénoncé son accord de gouvernement signé avant. C’est l’alliance URD-PCT et apparentés. Du coté du gouvernement, on sent que les élections approchent à grande vitesse mais on est pas prêt : les listes électorales ne sont pas encore préparées. Le recensement n’a pas été assuré. On veut retarder l’échéance mais on ne sait comment s’y prendre. Le bilan de la mandature est catastrophique. Plusieurs personnes qui avaient soutenu Lissouba sont déçues car l’homme qui a promis monts et merveilles n’a pas agi. Lui aussi sent que le pouvoir lui échappe. Pour retarder les élections, il invente une raison : pour pouvoir être électeur, il faut obtenir une carte d’identité infalsifiable.

A Brazzaville, c’est au Palais du Parlement qu’il faut se rendre pour l’obtenir. Tout Brazzaville déferle vers ce lieu pour tenter d’avoir la carte d’identité infalsifiable. Déjà les plaintes commencent parce qu’on regarde un peu trop le nom et la région d’origine pour l’attribuer. Beaucoup de frustrations donc !

Pendant ce temps, certains candidats sont déjà en campagne. C’est le cas de M. Sassou qui va dans le département de la Cuvette. Mais à Owando, des incidents éclatent pour une affaire de tipoye. Il y a des morts et on dit que c’est M. Aboya qui en est l’auteur. Bientôt on va dire que c’est un conflit entre Yhombi et Sassou. Le gouvernement et Sassou se renvoient mutuellement la responsabilité de ces incidents. Finalement, M. Sassou rentre à Brazzaville et le pouvoir veut faire arrêter M. Aboya, responsable présumé de l’assassinat de personnes à Owando et à Oyo. Celui-ci est réfugié chez M. Sassou. Le 5 juin, le pouvoir envoie des gens l’arrêter chez Sassou et la guerre éclate. Mais il faut dire, que ce n’est pas la force publique qui a commencé à tirer sur la maison de Sassou. C’est, au contraire, la milice de Sassou qui a attaqué un petit blindé. La guerre du 5 juin est une grande trahison de M. Sassou.

Alors que quelques temps avant, Frédérico Major, directeur de l’Unesco étaient venu à Brazza pour faire signer un traité sur la culture de la paix entre les différents responsables politiques congolais, M. Sassou s’est permis de trahir cette signature. La guerre ne peut être une source de joie ni un mode de règlement de problème. Mais lorsqu’elle intervient dans un pays, c’est un appel lancé aux uns et aux autres pour se ressaisir et chercher des solutions. Pendant cette guerre, les différents belligérants avaient tout pour trouver des solutions à ce qui les opposait.

Pendant la trêve qui est intervenue 10 ou 13 jours après le début de la guerre, nous avons vu les jeunes combattants partager à boire et regretter de s’être donnés au jeu de la mort sans vraie raison. Je vois encore ce jeune responsable combattant dire à ce moment (puisque les premières négociations venaient de commencer à Libreville) : "Nous irons les accueillir à Maya Maya et nous leur demanderons de nous montrer l’accord signé et si ce n’est pas fait, nous leur dirons de rester dans l’avion et de repartir pour ne revenir que lorsque l’accord sera signé." Personne n’a voulu voir le sort de ces jeunes qui passaient des journées sans manger et être exposés à la mort tous les jours, alors que les chefs dormaient tous tranquillement chez eux. Mais dans cette affaire, le grand traître c’est encore Sassou car, il a fait ce que personne n’allait jamais oser faire à savoir : aller chercher les troupes étrangères pour envahir son pays et livrer les populations aux exactions de ces troupes. C’est plus que grave. C’est de la HAUTE TRAHISON. En vertu de quel pouvoir l’a-t-il fait ? Il n’était pas le chef de l’état !

Je ne soutien pas Ntoumi, mais je ne vois pas la différence entre Ntoumi aujourd’hui et Sassou en 1997. Pourquoi lui, s’est-il donné le droit de prendre des armes alors qu’il n’était plus chef des armées ? Pourquoi n’a-t-il pas respecté les lois de son pays ? Pourquoi il veut que les autres respectent ses lois aujourd’hui ? Simplement parce qu’il a la force venue de l’étranger ? La date du 5 juin ne peut pas avoir une résonance salvatrice parce que c’est la fin du système démocratique Sassou a tout fait pour provoquer cette guerre parce qu’il savait qu’il suffisait de titiller Lissouba pour l’emmener sur ce terrain de la guerre. Quand Sassou dit qu’il a été attaqué la nuit, cela donne vraiment envie de rire. Un blindé qui va pour attaquer et qui ne tire pas un seul coup de feu ? C’est du jamais vu ça !

Le 5 juin, on avait beaucoup de choses à reprocher à Lissouba et la sanction se préparait. Sassou avait testé son électorat du Nord et le constat était morose. A preuve, les incidents lors de son séjour à Owando. Aujourd’hui, Sassou est au pouvoir, je ne vois pas ce qu’il fait de mieux que Lissouba. Les armes continuent à tuer, la pauvreté est toujours au rendez-vous. On peut se demander les raisons de son retour à part son envie de rester toujours président.

Pour ce lecteur, il est normal que Sassou soit là, tant mieux pour lui. Mais pour ceux qui connaissent la politique, Sassou a fait quelque chose qui aura beaucoup de conséquences, à court ou à long terme, dans le pays. S’il était intelligent, il se serait donné tout le mal du monde pour panser les plaies des congolais. Or, là, il les laisse s’infecter pour provoquer des gangrènes et des cancers. A ce moment, l’irréparable risque d’arriver. Ceux qui soutiennent Sassou aveuglément doivent tout faire pour l’emmener à cette réconciliation générale sinon c’est la vie de plusieurs générations de congolais qui sera compromise dont la leur.

Aucune hégémonie n’a pu résister à l’usure du temps. Toutes ont disparu et d’autres se sont levées. Mais si la montée d’une hégémonie se fait dans le plaisir de ceux qui la mènent, la chute a plutôt lieu dans la douleur. Ne pourrait-on pas éviter ces hégémonies qui ne servent, en fait, à rien ? Prenons l’exemple de notre voisin Mobutu. Qu’est ce qu’on a pas fait pour ce monsieur ? Et lui-même, que n’a-t-il fait sur cette terre ? Que n’a-t-il pas amassé comme fortune ? Où est-elle aujourd’hui ? On ne va pas me dire qu’il est parti avec. Qui en bénéficie aujourd’hui ? En tout cas, ce n’est pas sa famille. Mobutu avait des châteaux en France et ailleurs. Lequel de ses châteaux l’a accueilli à sa chute ? Et à qui appartiennent-ils aujourd’hui ? Les erreurs sont humaines mais je pense qu’il ne faut pas s’incruster dans une erreur. Sassou a tout pour réconcilier le Congo et les Congolais ne sont pas si barbares pour ne pas accepter une main tendue, surtout, par ce lui qui est leur chef. Mais, faire comme si rien ne se passait, savourer la souffrance des autres comme une victoire, cela peut avoir des revers catastrophiques. L’avenir du Congo est à bâtir par tous et le président doit être le premier artisan et non le premier destructeur. Pour finir, j’invite le président Sassou à prendre un peu de hauteur. On ne change pas les hommes d’un pays. Ce sont les hommes qui doivent changer. Les congolais resteront les mêmes physiquement mais ils pourront changer leurs mentalités et devenir meilleurs que ce qu’ils sont aujourd’hui. Que le président donne l’exemple et il verra la suite !


Par : Ebalet Mbonget
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