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In Le Monde

La visite de Sassou Nguesso est troublée par "l’affaire des disparus" au Congo

La justice française a lancé un mandat d’amener contre un général congolais, dans une plainte qui vise également le chef de l’Etat. Brazzaville menace de saisir la Cour internationale de La Haye

A l’initiative de la Fédération des Congolais de la diaspora, un "rassemblement de compassion pour les 350 disparus du Brazzaville" a réuni quelque deux cents personnes place de la Madeleine, mercredi 18 septembre, jour de l’arrivée à Paris du président Denis Sassou Nguesso.Celui-ci effectue, jusqu’au 24 septembre, sa première visite de travail en France depuis qu’il est revenu au pouvoir, en octobre 1997, à l’issue d’une guerre civile. "Un Pinochet à Paris", "Les dictateurs ont tous le même destin : la justice internationale", proclamaient les banderoles des manifestants opposés à l’accueil du chef de l’Etat congolais, tenu pour responsable de la "disparition", en 1999, de centaines de réfugiés rapatriés au Congo.

Cette affaire, instruite à la suite d’une plainte déposée par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) à Meaux, où se trouve la résidence secondaire dont dispose, près de Paris, l’une des personnes mises en cause, l’inspecteur des Forces armées congolaises, le général Norbert Dabira, trouble, par ces péripéties politico-judiciaires, la visite du président Sassou Nguesso. Les autorités congolaises ayant interdit au général Dabira de se présenter à la justice française, le 11 septembre, les juges instructeurs de Meaux ont lancé un mandat d’amener contre l’officier supérieur, qui vaut mise en examen et prélude à un mandat d’arrêt international. La plainte pour "tortures, disparitions forcées et crimes contre l’humanité" vise également le chef de l’Etat congolais, son ministre de l’intérieur et le commandant de la garde présidentielle.

En réaction, le pouvoir congolais a annoncé qu’il saisirait la Cour internationale de justice de La Haye pour obtenir le "dessaisissement" de la justice française, en vertu de l’immunité protégeant les chefs d’Etat étrangers et les ministres en exercice. Ce principe a été réaffirmé par cette juridiction internationale, le 14 février 2002 ("arrêt Yérodia", du nom d’un ministre de l’ex-Zaïre poursuivi par la justice belge). Le Congo veut également faire valoir qu’il n’a pas ratifié la Convention de New York de 1984 contre la torture, et qu’une instruction est en cours devant sa propre justice au sujet de toutes les disparitions - environ 15 000 - qui ont eu lieu pendant les différents épisodes de la guerre civile, entre 1992 et 1999.

LETTRE OUVERTE

Dans une lettre ouverte adressée, mercredi 18 septembre, au président Jacques Chirac, la FIDH, protestant contre l’accueil du président Sassou Nguesso alors que la justice française doit déterminer s’il compte parmi "les auteurs des crimes les plus graves", estime que la procédure judiciaire au Congo revêt un "caractère de pure opportunité à des fins évidentes de diversion".

"Avec la plainte à La Haye que nous comptons déposer la semaine prochaine, nous ne visons pas la France, mais les initiatives inconsidérées de quelques juges et les actions partisanes de certaines ONG, telle la FIDH, explique Me Jacques Vergès, l’avocat du Congo à Paris. Je constate une nouvelle attitude du garde des sceaux qui n’abdique pas sa responsabilité. C’est donc l’occasion pour le gouvernement français de mettre un peu d’ordre dans le fonctionnement de la justice, dans une affaire dont il a hérité." En clair : si le parquet recevait de la chancellerie la consigne de requérir l’incompétence du tribunal de Meaux, il reviendrait à la chambre d’instruction de trancher si la poursuite en France peut être maintenue...

Indice de la politisation de l’affaire des "disparus de Brazzaville" : le chef de l’Etat congolais s’entretiendra avec son avocat, vendredi 20 septembre en fin de matinée, juste avant de se rendre à l’Elysée pour des discussions, suivies d’un déjeuner, avec le président Chirac.

Le lourd silence du HCR sur les disparitions de rapatriés à Brazzaville en 1999

Le 21 mai 1999, le délégué régional du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) adresse une lettre officielle au ministère congolais des affaires étrangères et de la coopération. Ayant "présenté ses compliments", le responsable du HCR pour l’Afrique centrale "a l’honneur de l’informer de quelques problèmes avec le rapatriement des réfugiés congolais" depuis l’ex-Zaïre voisin.

En effet, depuis avril 1999, après la signature d’un "accord tripartite" (Congo, ex-Zaïre, HCR), l’organisme spécialisé de l’ONU aidait les réfugiés ayant fui la reprise de la guerre civile à Brazzaville à rentrer chez eux, sans s’assurer de leur sécurité

"Malheureusement, poursuit la lettre, des informations nous parvenant font état de l’arrestation régulière, à notre insu, de certains rapatriés. C’est ainsi que le 5 mai, vingt jeunes gens auraient été arrêtés par des éléments armés et conduits vers une destination inconnue et les familles n’auraient pas encore pu avoir de leurs nouvelles ni les localiser." Le délégué du HCR rappelle alors "la condition sine qua non de sécurité qui, avec le principe du volontariat, régit toute opération de rapatriement dans laquelle le HCR est impliqué". Et il demande de "bien vouloir lui fournir les explications nécessaires, afin de lui permettre de pouvoir continuer sa participation aux opérations". Ces "explications" n’ont jamais été fournies. Mais le HCR n’a ni suspendu sa participation ni protesté publiquement contre la disparition de réfugiés rapatriés par ses soins.

VAINES RECHERCHES

Or, entre mai et juillet 1999, 353 personnes auraient été enlevées directement au port fluvial de Brazzaville. Selon les témoignages concordants de trois rescapés, qui se sont constitués partie civile en France, la garde présidentielle a raflé puis exécuté ces rapatriés. La crémation des corps, de même que les vaines recherches des familles ayant perdu l’un des leurs, ne sont pas restées secrètes à Brazzaville. Une association des parents des personnes arrêtées par la force publique et portées disparues s’y est même constituée autour du colonel Marcel Touanga. Celui-ci est, depuis août 2001, réfugié en France. Ancien membre du comité central du parti du président Denis Sassou Nguesso, ex-député et ambassadeur, il n’a pas le profil d’un opposant. Mais il a eu le tort de réclamer que la lumière soit faite sur la "disparition"de son fils Narcisse, le 8 mai 1999.

"Je n’oublierai jamais le long râle, et une sorte d’inspiration bruyante d’air juste avant la mort, que poussaient tous mes compagnons tués", a déclaré à la justice française l’un des rescapés. Touché d’une balle à la tête, puis au bras, une autre logée dans sa jambe, il avait été laissé pour mort, le 5 mai."Eu égard à la confirmation sur les garanties de sécurité entourant l’opération de rapatriement que j’ai personnellement obtenues lors de mon entretien au bureau du HCR, j’ai décidé de rentrer à Brazzaville, le 3 juillet 1999", a affirmé un autre rescapé. Il n’a eu la vie sauve que grâce à un militaire, ancien camarade de classe, qui a organisé sa fuite.

L’actuel délégué du HCR pour l’Afrique centrale, Kabra Mbaidjol, à qui le siège de l’organisation, à Genève, a préféré laisser le soin de répondre au Monde, a défendu la conduite de son prédécesseur. "Le HCR a participé au rapatriement des Congolais pour limiter les dégâts, a-t-il expliqué. Ces gens étaient décidés à rentrer, alors nous leur avons fourni les moyens de transport." Il n’a pas jugé de son ressort de trancher si la mise à disposition de la logistique pour le retour dispensait le HCR de son mandat de protection.

Stephen Smith

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