
Nafissatou Dia Diouf (en photo ici) est une des nouvelles plumes du Sénégal. Née à Dakar en 1973, polyglotte - elle parle couramment l’anglais, l’Italien et l’espagnol -, elle est titulaire d’un DESS en logistique industrielle obtenu à Bordeaux et d’un Master en gestion des télécommunications. Elle habite dans son pays natal où elle travaille dans une firme internationale.
Sur le plan littéraire, elle a publié des nouvelles dans diverses revues et dans un ouvrage collectif "Envie pressante" paru en France chez Le Dilettante, un des éditeurs les plus exigeants et les plus audacieux de la place. Lauréate du Prix de la nouvelle de Radio-Canada et de la Fondation Léopold Sédar Senghor, Nafissatou est aussi poétesse. C’est, en somme, une auteure enthousiaste que j’avais déjà rencontrée lors du Salon du livre de Paris en mars dernier, puis ce mois-ci à Genève. La poétesse présentait en Suisse un recueil intitulé "Primeur", avec pour sous-titre "poèmes de jeunesse". Le recueil est publié aux Editions Le Nègre international (B.P 22 530 - Dakar - Ponty, Sénégal). Cet éditeur se voue à "la promotion des artistes et écrivains francophones et contribue à la compréhension et aux échanges nécessaires entre écrivains et artistes du Sud et du Nord. Mais aussi du Sud entre eux".
Elie-Charles Moreau qui préface Primeur souligne :
"Il est dans "Primeur" des bouffées de candeur et de fraîcheur, d’intelligence et de grâce que je vous conseille de savourer en solitaire, et mieux, collectivement. Ce sont l’Amour et les amours qu’on y met en ligne ; en vers libres. Mais il est,aussi, dans "Primeur" tout ce qui donne sens à un musée ou à un cahier de souvenirs"

En effet, les thèmes éternels (Amour, Mère, Patrie etc.) donnent ici des chants d’une sincérité qui éblouira d’emblée le lecteur. La forme poétique varie entre la rime - débarrassée de la comptabilité des pieds - et le vers dans toute sa liberté. C’est surtout lorsque Nafissatou se départ de la nécessité de la "versification" qu’elle atteint la justesse du ton, l’émerveillement des images et un lyrisme envoûtant. Les mots, ici choisis dans leur charge la plus émotive, nous montrent une poétesse qui, tout en abordant des thèmes parfois douloureux, revendique cependant le côté "ludique" de l’écriture :
En prose, en vers, en noir et blanc
Je me livre sans pudeur à ces jeux d’encre
Le poète, on le sait - Baudelaire ne l’aura jamais assez répété - a des ailes d’albatros. Nafissatou est persuadée que celles-ci ne l’empêcheront jamais de s’envoler. Elle parcourt ainsi le monde, se posant sur le faîte de l’arbre le plus elevé de la flore afin de contempler le spectacle de notre monde et de distiller un peu d’humanité lorsque s’enchaînent "les ombres de la nuit" - pour reprendre le titre d’un recueil de poèmes du Camerounais Paul Dakeyo. La tolérance, la main tendue, le coeur ouvert sont donc les qualités de cet ouvrage tissé d’humanité. C’est une poésie dont la fenêtre donne sur le monde :
Pour une nuit orphéline à l’étoile si rare
Constellée de vapeurs et de bruits de sirènes
Deux-trois notes solitaires s’échappent d’un bar
Et planent sur les toits orphelins d’un quartier de Harlem
(Soul dont je me saoule).

Le poète est-il un éternel voyageur ? Nafissatou voyage beaucoup. De même que ses vers qui sont signés à des lieux différents. Ses mots traquent en permanence l’immobilité : "partance", "barque", "vent", "exil", "partir", "bateau", "sentes", "Colombe", etc. Or, dans ses migrations poétiques, Nafissatou revient sur sa terre d’origine, un peu comme la légende du lamentin qui revient toujours sur son territoire. De ces retours inéluctables, il demeure dans l’esprit de Nafissatou le cauchemar de la "porte du non retour", la célèbre et funeste porte de Gorée habituée à la silhouette voûtée du sage Joseph Ndiaye, le dernier des Mohicans de La Maison des Esclaves :
Et dans la pénombre crépusculaire de ce sanctuaire oublié
Gémissent des corps et des coeurs vides
Dans des cachots sombres et fétides
Ultime demeure des âmes damnées
Plus loin, la poétesse révendique d’ailleurs haut et fort son enracinement à cette motte de terre, théâtre du plus ignoble des commerces que le genre humain ait inventés :
Je suis une arrière petite-fille d’esclave
Goréenne de pure souche, de sang si impur
Impur parce que souillé d’immaculé ...
Je suis un noeud de l’Histoire sans lien.
Je suis Goréenne.
La poétesse salue les aînés, en particulier Senghor. Et alors, le rythme devient tranchant, le vers bref, ciselé afin de laisser place au silence propice au recueillement et à la méditation :
Senghor est mort
Triste est la rime
La fibre militante trouve son timbre dans La complainte du Tirailleur, cet oublié de l’Histoire, ce nègre roulé dans la farine et transformé plus tard en caricature Y a Bon Banania, caricature à déchirer sur tous les murs de France comme nous le suggérait le chantre de la Négritude. Sans sourciller, fière du glaive de ses ancêtres, Nafissatou pointe du doigt l’ingratitude de la France devant ses "auxiliaires" embrigadés dans une "drôle de guerre" :
J’ai mal à la France
Moi le Tirailleur de la Liberté
Je me suis embourbé
Dans des tranchées humides
Jusqu’à la nausée
Je suis entré en France
Comme on entre en religion
Avec la foi aveugle
La poésie nous parle. Prêterons-nous l’oreille ? Primeur est un recueil de poèmes qui confirme l’émergence d’une nouvelle plume dans le sérail de nos lettres. Nafissatou a une voie qu’elle suit à son rythme. Et c’est agréable d’entendre sa voix poétique désormais hissée au-delà de la simple promesse...
Le site de Nafissatou : www.nafidiadiouf.net