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Le Dr Marcel Guitoukoulou : la rupture avec l’ancien ordre des choses

Ce dimanche 10 mai 2009, au dixième anniversaire des massacres du Beach, j’étais à la même table que le Dr Marcel Guitoukoulou de Consensus Citoyen, probable candidat aux présidentielles de juillet 2009. C’était l’occasion de me pencher sur ses perspectives politiques.

Pour résumer sa démarche, M. Guitoukoulou prone la rupture avec la méthode de gouvernement qui, après près de trente ans de règne sans partage du PCT et son actuelle déclinaison, le RMP, a montré ses limites.

Voilà qui relève d’un travail de titan, car la rupture reste d’autant plus un vaste programme que le niveau d’enracinement du mal dans les us et coutumes de ceux qui nous dirigent est très profond.

Quid son curriculum politique ?

« J’ai commencé ma carrière politique ici à Nice où vous m’aviez un jour reçu dans un bar-restaurant, rue de Belgique, à côté de la gare » me dit le Dr Marcel Guitoukoulou au détour d’une réflexion sur la problématique visibilité politique dans les médias. « Exact », lui dis-je. C’était au milieu des années 1990.

Dans une récente interview, un journaliste de la RDC a voulu en savoir plus sur ce compatriote dont tout le monde parle mais sur lequel on ne sait pas grand chose : « D’où viens-tu ? Qui es-tu ? Pourquoi s’être lancé dans la politique ? »

Marcel Guitoukoulou a eu cette réponse subtile : « Certains disent que je suis nouveau. C’est vrai, je n’ai jamais été ministre ou préfet »
Il ajoutera, poétique : « De jour comme de nuit, même si nous habitons en Europe, nous pensons à notre pays ».

On l’aura compris, le Président de Consensus Citoyen est avant tout un patriote, farouchement attaché à son pays natal. Ailleurs, il se plaint d’avoir « mal, très mal à (son) pays ».
On a envie de paraphraser les Ecritures : « Médecin, guéris toi-même ton pays ! » . En effet, dire que le Congo est "gravement malade" est une lapalissade.

Anesthésiste, Marcel Guitoukoulou ne se cantonne pas exclusivement dans la stratosphère éthérée des discours idéologiques qui endorment. C’est un cartésien, un homme de science, un adepte de la praxis. Un exemple : dès les années 1990, tandis que certains parlent à tort et à travers de « sciences et de technologie », M. Guitoukoulou ne songe qu’à une chose, passer aux actes, soulager les maux de ses compatriotes. Il s’appuie, pour cela, sur sa Fondation afin de circonscrire les pathologies que le microscope social lui aura indiquées. Ainsi, après avoir diagnostiqué les maux dont souffre son arrondissement d’enfance, Mfilou, il s’emploie à vite apporter les remèdes en dotant l’école communale en table/bancs et le dispensaire local en infrastructures médicaux. C’était sous Lissouba, le généticien qui mit sous cape toutes ses promesses électorales micro-helvétiques.

Un peu d’histoire, pour camper le sujet.

Guerre civile et actions humanitaires

En 1997, le feu prend à Brazzaville. Chacun essaie de soulager la fièvre à sa manière. Une association congolaise de Nice, New-Concept humanitaire, envisage d’expédier un containeur de vêtements et de médicaments aux sinistrés de Brazzaville. Ne sachant vers quel saint se vouer, les « niçois » se rappellent du « toubib marseillais » dont l’association de médecins « Rhéa terre d’échange » a coutume d’opérer sur le terrain congolais. L’affaire est tout de suite dans le sac. Rhéa Terre d’échange se charge de réceptionner cette aide humanitaire à Grans avant de l’expédier dans l’enfer congolais. Les Dr. Sassoon, Marcel Guitoukoulou, Séraphin Mianfoutila, Taty-Tay furent les chevilles ouvrières de cette ONG phocéenne.

Colloque d’Aix-en-Provence

La route des « niçois » ne cessera de croiser celle du médecin congolais exerçant au CHU de Marseille. L’un des premiers chocs des idées aura lieu en 1998 lorsque son mouvement politique « Le Parlement Libre du Congo » (PLC la Rupture) organise un colloque à Aix-en Provence, à l’hôtel Campanile. Thème de la cogitation : la paix au Congo. Des figures emblématiques y laissent des traces indélébiles : comment, en effet rester indifférent au discours de Son Altesse Pierre Matsiona , héritier du roi de kongo, qui conçoit comme solution au mal congolais, la rupture avec la République. Démocratie et Monarchie ne sont pas incompatibles, dit-il, et, c’est le cas en Angleterre. Ca sort de l’ordinaire. « La République, dit le Prince Pierre Matsiona, n’accouche que de violence. Elle a broyé mon jeune frère, Bernard Matsiona ministre sous la Transition. Vive le Royaume. J’en suis l’héritier »

La même année, un autre colloque (sur la paix) organisé à Nice succède à celui d’Aix (17 et 18 avril 1999) et anticipe sur celui de l’ACCORD à Paris et sur celui de Pertuis les 1er et 2 avril 2000 lui-même succédant au colloque de Nantes.

En cette période tumultueuse de la fin des années 1990, certains pensent à faire le rapport d’autopsie du Congo-Brazzaville. Marcel Guitoukoulou, convaincu que tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir, songe à travailler sur le concept de « dialogue ». Au lieu d’autopsier il procède plutôt à une étude clinique du Congo. Puis vint le colloque de Pertuis, dans le Vaucluse (84). A Pertuis en l’an 2000 « PLC La Rupture » réussit l’exploit inouï de réunir en même temps et dans un même espace des frères ennemis : André Milongo, Pierre Nzé, Bongou Camille, Jean-François Obembé, Rigobert Ngolali. Même Moungounga manque, de peu, de s’y retrouver. Autant dire que toutes les composantes sociologiques de la guerre civile étaient présentes à ce Yalta congolais. Des résolutions sont prises à Pertuis. On ne veut pas qu’elles restent lettre morte.

Opérer une rupture avec la gestion calamiteuse du pays

Joignant le geste à la parole le Dr. Marcel Guitoukoulou à la tête d’une délégation représentative du colloque de Pertuis se rend à Brazzaville où il expose aux protagonistes « in situ » du conflit congolais propositions élaborées au colloque de Pertuis. Firent partie de cette délégation : Raphaël Taty Taty, Rufin Bidounga, Christian Odjola. Le Président Sassou eut sa part d’explication du texte de Pertuis, tout comme le Révérend Pasteur Ntoumi dont le spectre et l’ambigüité alimentaient déjà toutes les hypothèses sur la dialectique de la Résistance et de la collaboration face à l’oppresseur dans une guerre civile. Il eut fallu être écervelé ou imbu de patriotisme radical (ce qui revient au même) pour faire le chemin de Damas qui conduit au fief de Ntoumi, là-bas, dans le Pool. Le Dr Marcel Guitoukoulou l’a faite, cette route ; celle qui mène à toutes les zones d’incertitudes quand on s’engouffre dans les forêts de Loukouo, l’antre du diable pour certains, pays de Cana pour d’autres. Bernard Kolélas, Pascal Lissouba, protagonistes, « ex situ », reçoivent également le plan de paix envisagé dans la région marseillaise en avril 2000.

Personne ne sait jamais quelle est la vague qui fait tomber la falaise au bord de la mer. En vérité il s’agit de l’action cumulée de toutes les vagues. S’il y a une vague qui a fait bouger positivement les choses depuis que les premiers obus ont commencé à pleuvoir sur la tête des Congolais, la houle marseillaise peut se vanter d’y avoir massivement contribué et surtout d’y avoir été de son coup de force

Candidat aux présidentielles ?

A ce niveau de la praxis, pour s’être risqué en milieu rural, c’est à se demander si le Dr. Marcel Guitoukoulou est « médecin de campagne » (au sens balzacien) ou « médecin en campagne » au sens politique.

A une autre question de journaliste « Etes-vous candidat aux présidentielles ? » Marcel Guitoukoulou répond : « On n’en est pas encore là ». Comprenne qui pourra. Pour ceux qui savent décoder, l’hypothèse n’est pas exclue tout en sachant qu’elle peut ou ne pas être validée par l’auteur.

Bon, qu’on ne se voile pas la face. Le toubib de Perthuis est un homme politique qui a des visées. De très hautes visées. On ne s’intéresse pas à un problème quand on n’a pas l’intention d’y apporter des solutions. Du reste, le bon docteur n’y va pas de main morte quand il passe le bistouri de la critique sur le mal congolais.

C’est ce qui sort, en tout cas de l’interview accordée à l’émission « Célébrité 100% » produite par une chaîne de la RDC (Production Congolive). Oui, l’opposition congolaise est désormais contrainte d’user de canaux alternatifs pour se faire entendre, parfois , à ses risques et périls, de se délocaliser pour avoir une visibilité. Ce fut la cas à Cotonou au Bénin où la police locale, déclarant Marcel Guitoukoulou persona non grata, l’explusa manu militari vers Paris. Le journaliste, Yves Kambala (Célébrité 100%), le soumet sans complaisance à une batterie de questions. Dans un lingala châtié, Marcel Guitoukoulou y dresse un tableau sombre du Congo. Mais en bon thérapeute, il propose également des remèdes.

La vision politique

A la question préliminaire sur son identité, Marcel Guitoukoulou répond qu’il est un étranger en politique dans la mesure où il n’a jamais été ministre, jamais été préfet etc. En somme, un homme vierge. «  Mais personne ne peut dire qu’il ne me connaît pas, aussi bien Sassou, Milongo, Lissouba Kolélas que Yhombi »

Question de journaliste : Pourquoi tout le monde en veut à Sassou ?
Réponse métaphorique du médecin : quand un parent ne ramène pas un salaire à la maison mais se rue chaque fin de mois dans un débit de boisson, ça fait franchement désordre. C’est ce que déplorent les Congolais. Nous avons le pétrole, mais on n’en voit pas la couleur de l’argent. Nous n’avons ni eau ni électricité. Pourquoi tant de misère ? Les Congolais se sont révoltés à cause de ce désordre. On veut notre argent.
Nous voulons la rupture. Que veut dire cette notion ? Elle stipule ceci : aimons-nous les uns les autres, travaillons pour le pays. Or, nos aînés ne font pas ça. A nos yeux, ils sont disqualifiés.

Le journaliste rebondit : Oui mais Lissouba a laissé les siens avec Sassou. Ils continuent à s’enrichir. Où est la rupture ?

Réponse : ce n’est pas une question d’âge, même si certains triturent la Constitution pour empêcher à d’autres de se présenter aux élections. L’adage congolais dit : kou dia ndambou, boumba ndambou. « Tu ne peux pas bouffer, tout, et tout seul ! »

Quels sont les projets ?
« Pour nous, la rupture, c’est trois choses dont ceux qui sont aux affaires ne veulent pas ».

Première condition : la réconciliation. Comme en Afrique du Sud à la fin de l’Apartheid, c’est-à-dire le pardon sans l’oubli. En somme l’anamnèse, car il ne s’agit pas de rompre avec les idéaux du tshimuntu.
Deuxième condition, la Constitution. Pourquoi diable ceux qui arrivent au pouvoir manipulent systématiquement les Textes fondamentaux ? Par exemple, pondre des lois du genre « tu n’habites pas au Congo donc tu n’as pas droit de te présenter aux présidentielles ou tu n’as plus l’âge de te présenter aux élections » ! Quelle idée de construire un aéroport dans son village ou, après un rêve fou, on décide de rapatrier les cendres de de Brazza ? C’est le symbole de l’absurdité. Trente ans de règne sans partage et ça ne veut pas prendre la retraite. Tout ce qu’on demande, c’est de suivre le programme qu’on s’est soi-même fixé. Troisième condition : le pétrole. Où va tout l’argent dans un pays où il n’y a pas d’hôpitaux, pas d’eau, pas d’électricité, pas d’écoles ?

Tribalisme

Que faire pour lutter contre ce fléau ? Il n’est pas seulement interrégional, rappelle M. Guitoukoulou ; il cause aussi des dégâts internes au groupe ethnique. Quand vous aurez régler une partie des problèmes économiques du pays, vous verrez que la question tribale ne se posera plus.

Comment combattre le déséquilibre régional ?
En instaurant, par exemple des concours administratifs au lieu de s’appuyer sur des affinités partisanes quand il s’agit de nommer des Directeurs centraux. La région du Pool souffre à double titre de ce phénomène. Elle est victime du tribalisme et elle a dévastée par la guerre civile. Il n’y a plus d’écoles. Marcel Guitoukoulou se défend de prêcher pour sa chapelle régionale. « Je dénoncerai ce mal même s’il frappait d’autres régions. »

Sassou élu dès le 1er tour ?

On entend que la victoire de Sassou est inéluctable, à quoi cela sert-il de participer à une bataille politique qui ne sera, somme toute, qu’une formalité puisque tout est déjà ficelé ?

Réponse de l’homme de terrain : je ne lis pas les fiches comme certains. Je suis un homme de terrain. Quand je vais au Congo, je sillonne les quartiers, je regarde, j’entends, j’écoute. Que vois-je ? Que disent les gens ? Qu’entends-je ? Il y a un ras le bol général et généralisé. Le peuple profond veut un nouvel homme. Il veut la rupture. Quand le peuple veut rompre, il y parvient. Regardez en Ukraine, en Géorgie, à Madagascar.

Ntoumi

Au moment de clore l’interview, la question de Ntoumi tombe in extremis.souflée au journaliste par la régie. Le cas "Ntoumi" confirme, si besoin était, le nid de vipères que représente la politique congolaise : « alors que j’ai mis personnellement la main dans ma poche pour parvenir à pousser Ntoumi à la table des négociations, d’autres considèrent le problème de Ntoumi comme une poule aux œufs d’or. Le révérend Ntoumi c’est pour eux tout bénef. Il ne leur viendrait pas à l’idée de tuer cette vache à lait. Pourquoi le feraient-ils dans la mesure où l’affaire Ntoumi permet de diviser le Pool. Or le Pool compte deux-tiers de la population du Congo. Les troubles dans cette région empêcheront l’opposition de se constituer au Congo. L’intérêt de voir le Pool divisé est supérieur à celui de voir le Pool uni. Quand on l’aura compris, on aura compris la raison d’être de Ntoumi. »

Est-il même besoin de le démontrer ?

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