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Le Triomphe de Magalie de Calissa IKAMA : un roman qui bouleverse les traditions romanesques

On salue de temps en temps au podium des écrivains congolais l’arrivée des
nouveaux jeunes talents qui s’aventurent résolument sur le sentier battu de
leurs aînés de renom à l’instar d’Alain Mabanckou. On compte dans la liste
des nouveaux venus qui donnent à découvrir et/ou à redécouvrir le Congo,
celle que certains écrivains espéraient rencontrer au Salon du livre de
Paris, l’adolescente Calissa IKAMA, auteur du roman intitulé " Le Triomphe
de Magalie"paru dans la collection lettres nouvelles aux éditions Lémba en
2005.

Le Congo : Une terre à découvrir et à redécouvrir par ses talents

Le temps s’égraine. Les rencontres littéraires se multiplient et se
succèdent ainsi que le troc de leur propos qui se livrent en toute nudité
à la réflexion. A ce titre, on ne saurait en spécialiste ou en vrai
dilettante de la littérature africaine -francophone au-delà, résister à la
belle et ensorcelante tentation de loger dans l’enseigne de stupéfaction
que les écrivains Sami Tchack et A.Waberi se sont fait part belle suite au
constat, non moins aigre, selon lequel l’adolescente écrivain auteur de :
"Le triomphe de Magalie" n’a pu être retenu parmi les écrivains
francophones invités d’honneur au salon du livre de Paris du 17 au 22 mars
2006.

Tête voilée d’un talleth de mèches, perle au cou, l’œil inspiré et
discret, Calissa IKAMA vient du Congo Brazzaville, terre que Seydou
Badian, sans le moindre effort de pythie, reconnut fertile et daigna
hardiment lui faire une libation d’encre suintant aux éclats dans son
"Congo terre généreuse, forêt féconde" paru aux éditions jeune Afrique en
1983. Cette terre, aux grands arbres qui cachent les forêts vierges, ces
auteurs illustres de " Cœur d’Aryenne" , "Mauvais sang ", "La vie et
demie" , "Le pleurer-rire ", "Les racines congolaises" , "La Marmite de
koka Mbala" , "Jonnhy chien méchant " ,"Les exilés de la forêt vierge" ,
"L’ Oseille, les citrons" , "Sur le chemin des hommes", "Les fleurs des
lantanas", "Verre Cassé" ,"L’impasse ","Désir d’Afrique " ,"Témoignage ",
"Déjà le sol est semé "(Préface d’Alain Mabanckou), "L’oiseau sans arme"
...imprégnés respectivement du sceau du doyen des écrivains congolais
Jean Malonga, de Tchicaya U Tam’si , de Sony Labou Tansi , de Henri Lopez,
de J.B Tati Loutard , de Guy Ménga , d’Emmanuel Dongala, de Makouta
Mboukou, de Maxime Ndébéka , de Théophile Obenga , de Tchichelle Tchivela,
d’Alain Mabanckou ,de Daniel Biyaoula, de Mongo Mboussa , de J.B Bilombo
Samba, de Léopold Congo Mbemba, de Marie Léontine Tibinda...est d’une
générosité luxuriante, tellement luxuriante que tout germe avec une
resplendissante et majestueuse verdeur au point où les adolescents et
adolescentes - qui seraient des Rimbaud, Minou Drouet, Mozart...nègres
poussent ,comme le champignon palmiste ,de son fémur irrigué par les
effluves efficientes du Fleuve Congo et de la Mer , avec une saine
maturité géniale que se souvenait d’avoir eu J.P Sartre dans "Les Mots"
.Cette ingéniosité qui se peut déployer sur des domaines disparates est,
comme dans bon nombre de pays africains, hélas ! très souvent, hors
auvent, lésée par les fous vents de la sorcellerie quand elle ne l’est par
les cruels pets obusiers ou l’absence peu sibylline des conditions
adéquates d’épanouissement de leur noble intellect. Bref !
Pour en revenir à la littérature, domaine qui faisait se dire L.S Senghor
qu’un de ses genres, en l’espèce la poésie était « la plus grande grandeur
du Congo », se peut-il que vous ayez claire souvenance, tout comme notre
personne, si le cloaque de la mémoire ne suinte à regret, que l’un des
premiers fragments de poèmes publiés dans le tout premier numéro de la
revue Liaison - organe des cercles culturels de l’Afrique équatoriale
française- de juillet 1950, était d’un adolescent congolais de douze ans
en la personne du journaliste, homme de lettre, homme politique Claude
Ernest N’dalla.

A la découverte de Calissa
IKAMA
in "Le triomphe de Magalie"

Douze ans ! C’est exactement à cet âge de pubescence et de prédilection
que Calissa IKAMA faisant sienne la fortune du sens de la vie intérieure,
halant la charrue des mots sur l’étendue vaste et légèrement pyramidée de
son vocabulaire, cloyère de vocables s’échafaudant en argent, s’éprend de
fourrager, avec son groin mental, dans les méandres d’une mer fictive dont
les vagues échouent rêveusement sur la baie du réel truculent, pour en
happer la vie et en tirer les silhouettes renifleuses des hommes
antagonistes comme pour mettre en défie le mal et tenter de suturer une
blessure inconnue.
La jeune fille écrivain a pu se bien poser sur son séant pour enfanter,
dans ce second état de décryptage de son for, sans auto-flagellation et en
un flux d’écoulement du temps aux frêles étreintes fugaces, "Le Triomphe
de Magalie" qui relate l’aventure amoureuse de Magalie, une jeune fille
africaine de 20 ans, et Sébastien, un jeune italien de 21ans, après une
rencontre curieuse due à un bénin accident de circulation dont le
chauffeur du jeune pianiste est l’auteur et la jeune charmante la victime.
Ce roman où les événements s’enchaînent subtilement avec une délectable
vitesse, et qu’on qualifierait volontiers de protéiforme rompt
audacieusement avec les classiques acquis techniques du genre
romanesque, car essentiellement construit sur des dialogues, comme une
pièce de théâtre, le discours narratif se révélant lapidaire, sec. Mais,
cette sécheresse ne trait en rien le nectar de cette création. L’auteur a
su se tailler, avec la plume hardie des romanciers sans limites - entre
autres Faulkner, une cote d’originalité dans ce premier roman qui, en
laissant palper du bout des phalanges psychiques l’eau trouble ci, étale
là, d’un fleuve de souvenirs composites et de sensations fourmillantes,
s’apprête mieux à une lecture plus inventive.
Le narrateur qui ne nous lâche pas du début à la fin, nous cachant
quelques images à escamoter à la dérobée, laisse suggérer la peinture
des personnages auxquels l’auteur, de sa pointe imaginative, partage
l’âme caractérielle comme on le découvre avec Michaëlina, cette amie de
Magalie, refroidie par la timidité. En vérité, à la première lecture de
"Le Triomphe de Magalie" à laquelle on s’adonne, on ne peut pas ne pas
tournicoter dans l’igloo de la sensibilité allumée par le feu électrique
du sens de l’intrigue, une assez ineffable intrigue déployée dans un
langage limpide, apparenté à l’oralité, très ponctué à ne jamais
s’essouffler, suant quelques mots anglais et espagnols, et où onomatopées
et interjections se côtoient chaudement en une harmonie musicale. Si l’on
voudrait dire un suspens, on réveillerait certainement cette conversation
scénique de famille par laquelle s’ouvre le roman et à l’occasion de
laquelle Falbala, la mère de Magalie, maugrée contre Arthur, son mari, en
lâchant : « Mmmhm ! Tu as fait des bises à tout le monde sauf à moi, moi
la mère. Rien, au préalable, ne justifie explicitement cette attitude et
...pourtant la vérité est sous jacente. « Ok, dit Arthur, c’est vrai.
Excuse-moi ! Mais tu auras une très belles surprise ce soir » (Page13)
.Mais, diantre ! quelle surprise ? vous demanderiez. Quelle surprise
diantre ! espériez vous ? On pourrait, évidemment s’imaginer des fagots de
choses, peut être mêmes faramineuses. Seulement, avec cette adolescente
suspensive à son aise, mieux vaudrait-il attendre de pied ferme, au
pinacle de la pensée envolée, son mot ultime. En effet, en suivant le fil
de ce nœud, en fin de compte, contre toute attente, la surprise crève
froidement, le lendemain des faits et non plus le soir, dans les propos
d’Arthur : « Ta surprise, j’ai failli oublier. Ça y est dans l’armoire.
Je vais au travail. Bye ! » (Page 22) . Ouf ! Il y a de quoi faire.

Les noms ont quelquefois la valeur d’une singularité significative dans
une œuvre romanesque. Leur consonance et leur contenu peuvent éclairer le
destinataire désireux de saisir les personnages qui s’inscrivent
généralement dans un projet d’écriture exclusif. Ainsi, peut-il venir à
qui que ce soit, de s’interroger sur la valeur du nom de quelques
personnages de ce roman à l’instar de Falbala, nom qui signifie
ordinairement « ornement prétentieux et de mauvais goût. Le nom de cette
dame qui a eu, au détour, un enfant adultérin, Sarah, avec un vieil amant,
Loïc, ne révèle t-il pas au fond la situation dans laquelle elle demeure
plongée ? En tout cas, on peut supposer sans trop se leurrer que
l’adolescente à l’œil adulte manifeste un certain dédain pour le débâcle
de l’amour conjugal allant jusqu’à darder un regard critique sur la
bâtardise pour laquelle André Gide avait fait le calcul des avantages dans "Les Faux-Monnayeurs".

Il s’en faudrait de peu pour soupçonner l’auteur de : "Le triomphe de Mag
et Séb" -premier titre de ce roman - cette « échafaudeuse » d’opportunité
pour ses personnages les plus affables auxquels elle est liée par une
secrète intimité, d’affectionner les séries télévisées du genre Catalina
et Sébastien, Rosalinda ...ainsi que leurs vedettes féales. La curiosité
mêlée à la pensée, tourne la face auréolée d’un baiser d’écriture qui de
crudité réaliste vibre à merveille. L’écriture est si bien osée qu’elle
fléchit à l’indiscrétion de subodorer étinceler l’optique d’une
jouvencelle à travers les glaces miroitantes, et assurément glauques, des
yeux de pyrex propres à Magalie, cette Autre « sui generis » en qui, on
semblerait le croire, se traduirait, en même temps, une romantique manière
de penser et une pensée ambitieuse d’être étalant, à l’insolation
subliminale, un cliché mental se mettant dignement à nu, et valsant parmi
l’embrun doré d’un aurore tenu aux becs des volubiles oiseaux matinaux qui
éveillent le sommeil social bien endormi sur ses lauriers, dans les
ressacs d’une vision futuriste.
S’il ressort nettement des termes de la quatrième de couverture de ce
roman que le langage de l’auteur parfois « s’apparente au polar à la
manière d’Agatha Christie » n’empêche qu’on puisse, par ailleurs, la
rapprocher, particulièrement du point de vue registre thématique, à
l’auteur de "Les Vrilles de la vigne" qui y fredonnait, à l’une des ses
pages : « vous n’imaginez pas qu’elle reine de la terre j’étais à douze
ans. En effet, dés l’aurore de son écriture précocement talentueuse,
l’adolescente a tenté avec hardiesse d’aborder, à travers son roman de
cent vingt quatre pages, nombre d’aspects et problèmes de l’amour :
trouble d’adolescence, tourments de jalousie, drame du couple, bonheur
conjugal ...tout comme Sidonie Colette, cet ancien membre de l’académie
royale de la Belgique et du Goncourt, les distillait, d’un timbre poétique
grisant et bien maîtrisé, respectivement dans "Le blé en ", "Duo" , "La
retraite sentimentale" et dans "La Naissance du jour".
Du reste, espérons que cette voix déjà truculente de petite lionne
s’entendra longtemps et s’illuminera à côté de celles des vétérans de la
littérature africaine - Aminata Sow Fall, Were-Were Liking, Véronique
Tadjo , Ken Bugul, Khadi Hâne ...pour ne citer que celles là.

Chrystom BATOUD.

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