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Le futur fédéralisme soudanais pas sur de mauvaises bases

Dans un accord qui devrait être signé ce 31 décembre à Nairobi au Kenya, le gouvernement soudanais, essentiellement représenté par les nordistes (arabo-musulmans) et sa rébellion du sud (peuplé de noirs majoritairement chrétiens et animistes) vont mettre en place un fédéralisme -à deux Etats- afin de clore une guerre civile qui aura duré 21 ans, le plus long foyer du continent encore incandescent.

Une commission mixte de 60 personnes se chargera de rédiger la nouvelle constitution fédérale. Dans celle-ci, John Garang le tonitruant leader du sud sera vice-président du Soudan et gouverneur de la nouvelle province autonome du sud. Dans le même temps, les autorités actuelles, notamment le président Béchir gardent tutelle sur le nord et le Darfour (et c’est là où ça coince), en héritant également des charges régaliennes de l’Etat telles les affaires étrangères ou la défense des frontières du Soudan. Le partage des richesses pétrolières concentrées dans le sud se fera équitablement et sera suivi par une commission conjointe.

Sachant tout le débat que provoque le fédéralisme sur notre site (voir Forum des Grands Débats) il m’a paru opportun de savoir si les initiateurs du Manifeste Fédéraliste y sont pour quelque chose. Rappelons tout de même que Jeune Afrique l’Intelligent dans sa livraison numéro 2288 du 8 au 14 Novembre 2004, le célèbre « Ce Que Je Crois » de Béchir Ben Yahmed lance un vibrant plaidoyer pour le fédéralisme comme système garant de la cohésion et de la paix pour toute l’Afrique, reprenant mots pour mots les arguments de la campagne des fédéralistes congolais qui n’ont pas manqué de s’approprier cette conversion présentée comme étant due à leurs efforts.

Selon donc les fédéralistes congolais représentés au sein de l’Initiative Fédéraliste mouvement présidé par Siméon Nzikou, le Manifeste Fédéraliste qu’ils ont publié l’an dernier n’avait pas directement été envoyé à Mr Garang par eux. Pourtant, notent-ils, « notre influence n’est pas étrangère à ce choix soudanais, dont les principaux leader ont pris connaissance de l’option fédéraliste par le biais de notre ami et compagnon Yorongar Ngardigal, le chef de l’opposition tchadienne qui préside un parti fédéraliste ». Ces activistes congolais ne sont d’ailleurs pas peu fiers d’avoir révélé au brillant avocat tchadien, fédéraliste-nationaliste déjà convaincu de l’option pour son pays, toute la faisabilité africaine de ce concept car « dans chacun de nos pays, nous sommes embarqués dans le même bateau, et aucune solution ne sera vraie si sa théorie ne s’appliquait pas à tous les cas sur le continent, de la République Arabe Saraoui Démocratique au Congo Brazza en passant par La Côte D’ivoire » affirme le politologue Hervé MAHICKA, porte-parole de l’Initiative Fédéraliste.

Yorongar Ngarlejy pour ceux qui ne le connaissent pas est une vraie tête de mule qui s’est hissé en haut de l’affiche politique tchadienne grâce à l’obstination parce qu’il est parti avec 2 gros handicaps dans ce combat novateur qu’est le fédéralisme en Afrique. D’abord il est originaire de la désormais plus riche région (pétrole oblige) du Tchad. Et en prime, c’est à la confirmation des découvertes pétrolières qu’il s’est lancé dans le combat politique fédéraliste. Accusé de tous les mots que vous imaginez tels que diviseurs, égoïstes... il fera un score symbolique à sa première élection présidentielle pour devenir 5 ans plus tard le challenger de Déby au second tour. Convaincu par des congolais de la nécessité de la « panafricanisation » du combat fédéraliste, c’est donc lui qui aurait à son tour persuadé John Garang et son parti de choisir cette option et est en tractation avec l’Ouganda pour les mêmes motifs.

Mais l’accord de paix à venir chez nos frères soudanais me laisse un goût d’inachevé pour quelques raisons.

D’abord le Darfour n’y figure pas. C’est comme si Béchir s’empressait d’en finir avec Garang au sud pour mieux se consacrer au génocide dans le Darfour à l’ouest.
Ensuite, cet accord qui prévoit un référendum dans 6 ans pour demander aux populations du sud (et rien qu’a elles) si ce schémas leur convient ou préfèrent t-elles l’indépendance, me semble parti sur un pari trop risqué, en sachant que Garang désigné dans l’accord comme chef du sud durant ces 6 ans n’a ni vocation de piston économique, ni réputation de diplomate à même de bien gérer à la fois la cohabitation avec le nord (en ignorant le Darfour ?) ainsi que l’intégration socioéconomique, politique et culturelle des sudistes dans cette nouvelle structure.

Avec une telle donne, l’indépendance du sud-Soudan me semble probable et le fédéralisme ne semblant plus qu’une transition vers cette fin inéluctable pour ce peuple du sud qui est maltraité depuis des siècles par ses voisins à la peau clair, qui, faut-il le rappeler, continuent aujourd’hui à pratiquer sur eux l’esclavage pur. Peut-être que si Garang ne se montre pas démocrate, les soudanias noirs du sud préféreraient ne pas s’isoler dans un Etat indépendant avec lui au pouvoir, ad vitam eternam, mais ça reste imaginable que les sud-soudanais préfèrent le pouvoir de Khartoum à quelque dictateur que ce soit, mais qui les en éloigne.

Mon autre point d’inquiétude revient sur le rôle du Darfour dans cet accord. Faut-il attendre aussi 21 ans de guerre civile meurtrière pour l’intégrer logiquement à cette démarche et créer 3 Etats fédérés au Soudan ? Car si je ne suis pas contre le principe de l’indépendance du sud-Soudan si ainsi le veulent les populations, je m’inquiète de l’abandon des darfouriens aux mains d’une administration tribaliste si non raciste qui ne les prend pas vraiment pour des hommes et ne revendique son autorité sur ce peuple que parce qu’ils sont musulmans aussi, refusant au chrétien Garang de s’exprimer en leur nom.

Alors, sans prôner le fédéralisme raciste à la place du fédéralisme religieux qui va se signer à la fin de ce mois devant Mwai Kibaki, je verrai mieux un fédéralisme qui tiendrait en plus compte de parceller le pouvoir dans le but de ne pas créer de dominions homogènes et aussi parce que le face à face facilite toujours l’affrontement : l’adversaire étant tout trouvé. J’aurai plutôt penché pour un fédéralisme qui couperait la région du sud en 2 Etats, le Darfour aussi en 2 Etats et le nord arabo-musulman en 3, pour avoir au total 7 Etats fédérés, autonomes et égaux dans leurs pouvoirs et dans leur représentation nationale, les uns contrôlant les autres en s’impliquant dans le national commun. Il me semble en effet incongru de confiner les noirs au sud alors que l’âme même de leur histoire et de leur culture se trouve au nord, où ils bâtirent de puissants empires laissant d’impressionnants vestiges, avant qu’ils n’en soient chassés par les envahisseurs arabes. Je trouve aberrant que ce soit les arabes (« ces arabes là particulièrement ! ») qui soient les exclusifs protecteurs culturels de la Nubie.

Deuxièmement, ayant le pétrole comme toile de fond, je crains que le partage fédéraliste ainsi nominativement établi ne serve que les intérêts particuliers des deux chefs et leur cour. Que feront les nègres voulons y fuir un éventuel despotisme de Garang ? Aller au nord, avec ses esclavagistes endurcis ? Or avec plus d’Etats fédérés ayant la même autonomie et les mêmes droits au partage, le monopole (supposé) de Béchir et Garang sera contrebalancé par d’autres autonomies qui ne se doivent qu’à la démocratie. Quant au nord qui est divisé par une tendance islamiste et une autre libérale et laïque bien territorialement définie, la démultiplication d’Etats autonomes ne pourra que lui garantir une diversité et un choix de gouvernement pour ses peuples.

Alors je ne jubilerai pas tant que cela du choix fédéraliste soudanais qui à mon avis reste à revoir. Mais, enfin, j’espère vivement avoir tort.

Kévin Beto

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