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« Le manque de vaccination tue autant que le sida »

Graça Machel est vice-présidente du Fonds mondial pour les vaccins. Elle est de passage à Genève pour l’Assemblée mondiale de la santé qui s’ouvre aujourd’hui. « Nous préparons le chemin pour la distribution du vaccin contre le sida, s’il est un jour disponible », s’enflamme celle qui est aussi, à la ville, Madame Mandela

Marie-Christine Petit-Pierre
Lundi 17 mai 2004

Dans un petit salon privé de l’hôtel Intercontinental à Genève, le serveur, originaire du Congo (Brazzaville), s’affaire avec une jubilation contenue. Il n’en dit rien mais son sourire le trahit : il attend avec impatience l’arrivée de Graça Machel, l’épouse de Nelson Mandela. Une attitude qui en dit long sur la popularité du couple en Afrique, d’autant que Graça Machel fut aussi la première dame du Mozambique, après avoir épousé l’ancien guérillero Samora Machel, décédé dans un « accident » d’avion en 1986. Mais Graça Machel ne se définit certainement pas en tant qu’épouse de... Elle se choisit plutôt des maris à sa mesure.

De 1975 à 1989, Graça Machel a été ministre de l’Education au Mozambique. Durant cette période, le pourcentage d’enfants scolarisés a doublé. Pour elle, santé et éducation, tant des femmes que des enfants, sont les deux facettes majeures du développement de l’Afrique. Aujourd’hui, Graça Machel est vice-présidente du Fonds mondial pour les vaccins - le bras financier du GAVI, l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation. C’est à ce titre que l’épouse de Mandela se trouve actuellement à Genève, à l’occasion de l’Assemblée mondiale de la santé, bien décidée à obtenir des ministres africains de la santé un soutien pour améliorer les campagnes d’immunisation. Entretien avec une femme d’exception, de flamme et de charme.

Le Temps : Le Fonds mondial pour les vaccins et le GAVI ont lancé la campagne « Child Immunisation » pour sauver un million d’enfants d’ici 2006. Est-ce réalisable ?

Graça Machel : Oui. Depuis la création du fonds, il y a quatre ans, nous avons sauvé plus de 500 000 enfants grâce à la vaccination. Cela montre que les pays en développement peuvent arriver à immuniser leurs enfants. Nous avons donc pour objectif d’en sauver un million de plus grâce à la campagne « Child Immunisation ». Pour y parvenir, il faut lever 400 millions de dollars par an pendant les trois années à venir. Il nous en manque 150 millions. Nous avons récolté 1,3 milliard de dollars en quatre ans, c’est considérable mais il faut continuer. Il faut savoir que 30 millions d’enfants dans le monde ne sont pas vaccinés, et que trois millions en meurent chaque année. C’est un chiffre équivalent à celui des décès dus au sida. L’absence de vaccination tue autant que le sida.

 Pourquoi avez-vous fondé « VillageReach » ?

 L’idée de « VillageReach », c’est de faire arriver l’aide, quelle qu’elle soit, jusqu’au niveau du village, dans « le dernier kilomètre ». Trop souvent, cette aide reste bloquée au niveau du district. Cela implique le fonctionnement de toute une chaîne, du transport au stockage. Il faut aussi arriver jusqu’aux familles les plus démunies, identifier les enfants. Cela peut impliquer des moyens simples, comme l’achat de bicyclettes. La vaccination est le meilleur investissement que l’on puisse faire actuellement pour sauver des vies. En plus, c’est l’occasion d’un contact permettant de promouvoir la santé, de faire du planning familial, de lutter contre la malnutrition. Si l’on y réfléchit, 400 millions par an, par rapport aux sommes scandaleuses dépensées dans l’armement, c’est un petit investissement pour un immense résultat. De plus, en développant ces voies de distribution, nous préparons le chemin pour la distribution du vaccin contre le VIH/sida, s’il est un jour disponible.

 Vous êtes connue pour votre franc-parler. Comment les ministres de la santé africains reçoivent-ils votre message ?

 Je peux parler en tant qu’Africaine et en tant que mère, si bien qu’ils m’entendent.

 Combien d’enfants avez-vous ?

 J’ai deux enfants de mon premier mariage, et si je compte ceux de la famille Mandela, j’en ai dix. Quand aux petits-enfants, je ne peux pas vous le dire, mais notre maison grouille d’enfants, et nous adorons ça, Nelson Mandela et moi.

 Vos autres passions ?

 Je suis très préoccupée par les rapports des enfants et de la justice. Nous devons former les gens qui appliquent la loi, policiers, juges, procureurs, dans le domaine des droits de l’enfant, trop souvent ignoré. C’est aussi une façon de les sensibiliser au trafic d’enfants. J’ai également fait un rapport pour l’ONU sur les enfants enrôlés dans la guerre. Pour cela, j’ai visité de nombreux pays en guerre entre 1994 et 1996. Le sujet n’avait jamais été soulevé avant, et ce travail a débouché sur la création, à l’ONU, d’un Représentant spécial du secrétaire général pour les enfants et les conflits armés. Il s’occupe des droits de l’enfant dans les contextes de guerre. Il travaille à empêcher leur enrôlement et à les faire démobiliser.

 Les enfants sont au centre de vos préoccupations ?

 On ne peut pas travailler pour les enfants sans s’occuper des femmes, que ce soit dans les traitements contre le sida, ou dans le domaine des droits. Le développement de l’Afrique passe par celui des femmes et donc des enfants. Leurs destins sont liés. Encore aujourd’hui les femmes, partout dans le monde à l’exception peut-être de certains pays nordiques, sont traitées comme des citoyens de deuxième catégorie. C’est terrifiant ! Et ce n’est pas une question d’argent. Dans la commission de l’Union africaine, les femmes sont représentées à 50%, au Rwanda, le parlement est composé à 49% de femmes, bien sûr il y a eu le génocide, mais c’est aussi l’expression d’une volonté politique. Encore un chiffre : en Afrique du Sud, 43% du gouvernement est composé de femmes. Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles en Afrique, nous faisons mieux que les pays développés dans ce domaine.

http://www.vaccinefund.orgg


Par : niaou
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