email

Les Grands débats du Blog (2) : "S.O.S. GEOMETRIE VARIABLE", Par Raphaël Confiant

Peaufinant son argumentation quant aux polémiques suscitées récemment sur ses prises de position pour sa terre natale et la défense de la culture de celle-ci, l’écrivain martiniquais Raphaël Confiant a envoyé le texte ci-dessous à un certain nombre de sites et de blogs, et nous le publions en intégralité dans le sens de la poursuite du débat que nous avions entamé ici.


La Martinique et les DOM-TOM sont sûrement un paradis terrestre. Le dernier paradis terrestre sur cette planète qui est à feu et à sang, où misère, guerre civiles, pandémies et actes de colonialisme ou d’impérialisme n’ont de cesse de se multiplier.
Par exemple, le racisme est totalement inconnu là-bas. Les Noirs et les gens de couleur y coulent une existence absolument paisible à l’ombre des cocotiers, bercés par le chant des alizés et celui d’une mer toujours azurée.
Vous en voulez une preuve ?
En plus de 30 années d’existence, jamais S.O.S. Racisme n’y a dénoncé le moindre acte de discrimination ou de racisme. Jamais cette association n’a intenté de procès à qui que ce soit, ni à aucune structure ou organisme qu’il ou elle soit privée ou publique.
Quelle meilleure preuve du fait que la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, La Réunion ou Tahiti sont un havre de tolérance dans un monde rongé par les discriminations de toutes sortes !
Mais, hélas, il y a une fin à tout. S.O.S. Racisme vient, enfin, de découvrir un acte de racisme immonde : une réaction de Raphaël Confiant à un article rédigé par un journaliste franco-africain installé à la Martinique ainsi que la réaction de soutien de Claude Ribbe au premier. Confiant et Ribbe sont désormais présentés comme rien moins que des adeptes du Klu-Klux-KLan par ces messieurs de « Touche pas à mon pote ». Confiant et Ribbe, descendants d’esclaves, arrière-petits-fils de déportés, par la faute des colonialistes européens et celle, à un degré moindre, des roitelets africains, sont pointés du doigts, mis en accusation et cloués au pilori.

Au fait, signalons entre parenthèses que le paradis « dom-tomien » a quand même été réalisé grâce à trois siècles d’exploitation des ancêtres de nos deux accusés dans les champs de canne à sucre appartenant à des colons européens. Qu’à l’abolition de l’esclavage en 1848, lesdits colons ont été indemnisés alors que les ex-esclaves n’ont pas reçu un sou (contrairement au Sud des Etats-Unis, pourtant réputé raciste, où chaque esclave reçut « 22 acres de terres et une mule »). Que les ex-esclaves furent, pour la plupart, contraints de retourner travailler, pour des salaires de misère, sur les mêmes exploitations où ils avaient été asservis. Que de 1848 à 1960, date de l’effondrement de l’économie cannière, ils ont dû lutter à mains nues contre gendarmes, gardes-mobiles et C.R.S. pour tenter d’arracher de modestes augmentations, laissant chaque fois sur le carreau des militants dont la mort n’était jamais élucidée. Qu’après 1960, l’Etat français déporta une nouvelle fois des dizaines de milliers de « Dom-Tomiens » pour satisfaire ses besoins en main d’œuvre dans l’Hexagone, population qui jusqu’à l’arrivée du COLLECTIF-DOM subissait discrimination sur discrimination sans qu’aucune belle âme de gauche ne s’en émeuve. Et tout cela sans compter, les exactions commises à l’encontre des autonomistes et surtout des indépendantistes pendant des décennies (procès de l’OJAM en Martinique, mai 1967 en Guadeloupe, assassinat d’Eloi Machoro en Kanaky etc.), sans que là encore, aucune grande conscience, aucune grande voix française n’élève la plus petite protestation.

Trève de plaisanterie ! Ni la Martinique ni les prétendus DOM-TOM ne sont des paradis où le racisme n’existe pas. Ce dernier y existe même depuis toujours et n’a jamais cessé d’y exister, alternant formes violentes et formes sournoises. Et ce racisme s’est toujours exercé contre la grande masse de nos populations, privée de ses droits élémentaires et du plus élémentaire de tous : celui de s’auto-gouverner. C’est pourquoi la dénonciation de R. Confiant et C. Ribbe par S.O.S. Racisme (qui eut mieux fait de s’appeler S.O.S. Géométrie Variable) est une véritable scandale. Jamais cette association n’a dénoncé un seul descendant de colon, mais voici qu’aujourd’hui elle tente de mettre à l’index des descendants d’esclaves ! C’est un comble !

Mais revenons au motif de cette mise à l’index et imaginons un journaliste antillais vivant en Côte d’Ivoire qui se permettrait, par exemple, d’écrire dans un journal qu’il trouve tout à fait justifiée la présence française dans ce pays. Que se passerait-il ? Dans la demi-heure qui suivrait la parution du journal, sa maison serait encerclée par les « patriotes » de Gbagbo, puis incendiée. Il serait passé à tabac ou pire, il finirait, enterré dans une bananeraie comme le fut le journaliste français Guy-André Kieffer lequel avait osé critiquer la gestion de la filière cacao par le pouvoir ivoirien. Mais au fait, 30.000 Français ont été expulsés manu militari de Côte d’Ivoire après que leurs biens eussent été pillés et pourtant on n’a pas entendu S.O.S. Géométrie Variable. Curieux, non ?
A l’inverse, un journaliste ivoirien peut vanter la présence française en Martinique, et cela pendant des années, sans que jamais il ne reçoive ne serait-ce qu’une gifle de la part d’un autonomiste ou d’un indépendantiste (dont c’est le droit le plus strict de réclamer ou l’autonomie ou l’indépendance comme Gbagbo a le droit de réclamer la pleine souveraineté de son pays). Jamais donc ce journaliste ne verra sa voiture caillassée ni sa maison incendiée. Simplement, il recevra des critiques de la part de ceux qui trouvent son attitude inadmissible et cela dans les règles mêmes de la démocratie occidentale.
Alors pourquoi S.O.S. Géométrie Variable se met-il à pousser des cris d’orfraie ?
Pour une raison très simple : la gauche-caviar et pro-sioniste, dont elle est issue, gauche qui s’est toujours montrée indifférente aux immigrés antillais, sa mauvaise conscience ne s’exerçant apparemment qu’en faveur des immigrés arabes et africains, veut maintenir le mythe des « Antilles-Terre de France sous les Tropiques ». Et pour ce faire, tout est bon pour chercher à discréditer ceux qui veulent faire ce mythe voler en éclats. Cette gauche est complice de ce qu’Aimé Césaire a appelé le « génocide par substitution » et que, pour notre part, nous préférons qualifier de « caldochisation ». Oui, la Martinique et les DOM-TOM sont en voie de caldochisation accélérée.

Qu’est-ce qu’un Caldoche ? C’est quelqu’un qui n’est pas natif des DOM-TOM, qui y est installé et qui fait tout pour que rien ne change. Qui milite pour le maintien du statu-quo. Pour la perduration de ce faux paradis. Et qui, parfois, s’oppose activement au mouvement de revendication identitaire et politique à l’œuvre dans nos pays.
Tous les non-Antillais ou non-Martiniquais vivant chez nous sont-ils des Caldoches ? Non, fort heureusement ! Beaucoup comprennent nos problèmes, respectent notre culture, voire rejoignent notre combat. Ceux-là ont pleinement le droit de vivre chez nous. Ils sont même les bienvenus.
Jusqu’à tout récemment, seuls les Caldoches « blancs » se voyaient dénoncer par les défenseurs de l’identité martiniquaise ou antillaise. Or, depuis deux décennies de très nombreux Caldoches « noirs » (africains ou haïtiens) ou « du Tiers-Monde (maghrébins ou asiatiques) sont venus prêter main forte aux premiers. Installés dans l’école et l’université, dans le milieu médical et hospitalier, dans la presse et les médias ainsi que dans d’autres secteurs, ces défenseurs colorés de la « Martinique-éternellement-française » sont les adversaires résolus, déterminés, de toute évolution statutaire de nos pays. Mais nous ne les voyions pas pour une raison toute bête : nous étions aveuglés par le noirisme, le négrisme ou le blackisme. Autrement dit, dès l’instant ou quelqu’un avait la peau noire ou colorée, nous lui accordions automatiquement une sorte de blanc-seing qui l’autorisait à tenir des discours ou à prendre des positions que nous n’aurions (en tout cas, ceux d’entre nous qui sont autonomistes ou indépendantistes) jamais toléré une seule seconde chez des gens à l’épiderme blanc.

Or, qu’est-ce qui est raciste : dénoncer tout à la fois les Caldoches « blancs » et les Caldoches « noirs » ou au contraire dénoncer les seuls Caldoches « blancs » ? Répondez, messieurs de S.O.S. Géométrie Variable ?
Pour ma part, en tant que partisan de la souveraineté martiniquaise, je déclare deux choses :
. tout étranger, qu’il soit africain, arabe, asiatique, européen ou martien a le droit de s’installer et de vivre à la Martinique à condition qu’il respecte notre culture et ne cherche pas à entraver notre juste lutte pour la liberté et la souveraineté.
. tout étranger qui s’oppose à notre accession à la souveraineté est un Caldoche, qu’il soit blanc, noir, jaune ou vert et, à ce titre, sera dénoncé.

RAPHAEL CONFIANT

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.