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Les Grands débats du Blog (7) : "Que l’art réussisse là où la politique échoue !"

"Que l’art réussisse là où la politique échoue !", tel est titre de l’article que nous envoie un des habituels intervenants de notre Blog, et nous avons jugé utile de classer ce texte dans Les "Grands débats" en espérant que notre ami Monofila (Dimina-Monofila) aura suscité le débat. Retour vers l’histoire de la création négro-africaine, regard parfois nostalgique mais enthousiaste de l’avenir des arts du monde noir, tel a été mon sentiment en lisant ce texte dont je reconnais l’aspect pédagogique. Bonne lecture et n’hesitez pas, vous aussi, à nous faire partager vos réflexions comme l’a fait notre ami, puisque ce lieu est notre espace commun.


Loin de l’Afrique, a commencé le combat

Littérature, peinture, sculpture, musiques, danses... : autant de domaines à citer dont l’influence, aujourd’hui, reste certaine sur l’imaginaire occidental. Le combat de l’amélioration de l’image des peuples noirs commence par les lettres, poursuivi ce jour par les musiques dites de la
diaspora noire : RAP, RnB, Soul, Jazz...De fait, les débuts de la littérature négro-africaine remontent à la première moitié du XIXème siècle.

Face au mépris et à l’indifférence affichés par le toubab vis à vis de l’homme dit de couleur ; face à l’exploitation subie, les noirs des Amériques ont revendiqué pour la première fois leur appartenance à la
race humaine à part entière, contredisant ainsi les propos racistes tenus par l’écrivain anglais Rudyard Kipling sur la mission civilisatrice de l’homme blanc, comme quoi le toubab serait venu enseigner au sauvage les bonnes manières, lui le soi-disant civilisé ! Tandis que
sous prétexte de civiliser, de christianiser, celui-ci fut venu explorer le sous-sol du continent, riche d’immenses trésors et son sol, riche en costauds. D’où cette image répandue de La Bible -le poème- entre
les mains, le diable-le fusil- dans la poche, image chère à l’écrivain congolais Emmanuel Dongala.

A ce premier cri de révolte des noirs des Amériques,
fils d’exclaves, ont répondu d’autres plus véhéments portant sur la revendication de l’appartenance de la race noire à la race humaine, et tirant à hue et à dia les traitements qui leur sont infligés, faisant du Noir un sous-homme, un paria parmi les hommes, voire un homme moins homme que d’autres. Alors civilisation ou domination ? Tant l’écart est immense, que presque plus personne n’accepte de mettre sur son cou, comme
un âne bâté, ce collier de mensonges tissés pour des raisons économiques : la quête des matières premières, un siècle après l’abolition du commerce triangulaire ! Et, après cette abolition, le combat est engagé, juste
et loyal.

Nous sommes au XIXème siècle, l’Amérique est sous la domination européenne. Sur la terre de l’oncle Sam, un noir donne le coup d’envoi. La publication d’Ames noires, véritable cri de révolte et d’engagement, marque
ce premier pas. Les langues se délient et les milieux bourgeois américains, essentiellement composés de blancs d’origine anglaise, crient au scandale.

W. DuBois

Qu’à cela ne tienne, l’oeuvre trouve un écho retentissant parmi les intellectuels, et W.E.B. Du Bois s’en estime fier. Titulaire d’un doctorat en philosophie, il condamne en homme de raison toutes sortes d’idéologies véhiculées sur la perennisation de la situation du noir américain ; il combat donc la domination raciale. Plus tard, cet écho
raisonnera en Afrique à travers les voix des leaders comme Blaise Diagne, Gorge Padmore, Namdi Azikiwi, Kwamé Krumah, Jomo Kenyatta.

Par ailleurs, pas plus loin qu’aux USA toujours, un autre américain continue le combat. Il se nomme Claude Mac Kay (1868-1947), d’origine jamaïcaine. La somme d’expériences vécues fait de lui un critique redoutable, un fervent poète
dévoué à la cause noire ; mais un poète à la langue nostalgique, dont les accents témoignent de la revendication de son appartenance à la race noire
qu’il chante et à l’Afrique qu’il célèbre les splendeurs et grandeurs.

Claude McKay

La Revue du monde noir voit le jour et l’oeuvre de Claude Mac Kay fait mouche, quand survient la figure de Longston Hugues(1902-1967). Ce dernier s’essaie dans la poésie où très vite ses oeuvres se font remarquer. Sa plume rappelle les beautés des temps perdus que seule l’Afrique connaît encore ; elle se joue des souvenirs et d’émotions, et oppose à la civilisation blanche la civilisation noire où la vie est moins dure, moins forte, pas plus d’ailleurs aussi froide
qu’en occident. Il s’agit d’une écriture de mémoire, critiquant un monde, le monde blanc en mal de conscience, de bonheur et emporté par la laideur des saisons et la dangerosité des moeurs.

Très tôt la relève est assurée, les oeuvres des précurseurs ont trouvé un écho à Paris où des étudiants noirs y sont venus poursuivre leurs études.
Ces derniers emboîtent le pas. Les mêmes revendications y apparaissent et
la Revue du monde noir leur sert d’organe de propagande, publiée, pour
une large écoute, à la fois en Anglais et en Français.

A Paris où vivent nombre de ces étudiants noirs, le racisme et
l’indifférence, voire le manque de considération des blancs connaît des
proportions gravissimes. Et presque au même moment, survient la gifle du superme vivificateur du monde noir, celle que va administrer l’art nègre à la joue d’idéologues occidentaux imbus du racisme culturel, lors
de la première exposition des oeuvres en provenance d’Afrique sous la direction d’André Malraux. Le Noir n’est plus seulement un simple
consommateur culturel, mais aussi et surtout un créateur dont les talents sont reconnus. Et les analyses, critiques et interventions des Senghor(1906-2001), Césaire, Damas le prouveront, plaideront en faveur de la
reconnaissance du génie nègre. Il s’agit tout simplement d’une reconnaissance des talents existant des millénaires depuis, mais niés parle toubab, un reniement témoignant après le racisme de couleur au racisme de l’intelligence condmané par Pierre Bourdieu en réaction à
la transmission hériditaire du savoir prônée par l’imaginaire
bourgeois
. Ce dernier jouait sur sa mentalité de l’homme de couleur, le faisant croire être un être inférieur aux autres, incapable de raison et de création, condamné à l’imitation aveugle et au copiage des modèles
inspirés par l’occidental. Les Noirs de cette époque s’affranchissent donc d’une telle image, en tant qu’intellectuels accomplis. C’est l’époque de la
naissance de la Négritude, mouvement dont les fervents défenseurs sont Léopold Sédar Senghor, Léon Gontrans Damas, Aimé Césaire. Peut-on dès lors s’attarder sur les origines de ce mouvement ? A l’époque où Etienne Léro, un antillais, crée Légitime défense, revue de
dénonciation de la situation du colonisé et de revendication identitaire, seule Batouala- éditée en 1921- reste la véritable oeuvre jusque-là publiée par un Noir osant remettre en cause l’exploitation dont sont
victimes les noirs, où qu’ils se trouvent. Roman écrit sur un ton se voulant provocateur, par René Maran, administrateur antillais en mission en Oubangui Chari- actuel Centre Afrique- pour le compte de la métropole :
La France. La revue Légitime défense quant à elle ne connaîtra qu’une
seule publication, à cause de la pression des pouvoirs en place ; et il aura fallu attendre 1937 pour qu’apparaisse, enfin, L’étudiant noir, revue autour de laquelle se sont rassemblés tous les grands esprits noirs de l’époque, parce que liés par la race et tous victimes des mêmes offenses.

J-P Sartre

Albert Memmi, auteur aux éditions Plon du livre intitulé Portrait du
colonisé
, a si bien illustré la situation du Noir de l’époque- du Maghreb
ou d’Afrique noire- ; et dans la préface du livre, Jean-Paul Sartre, en
père de l’existentialisme, humaniste convaincu, a bien reconnu l’ostracisme, la marginalisation et l’exploitation politico-économique dont ont été victimes les peuples noirs de tous temps : esclavage,
colonisation, néocolonialisme, manipulation libérale, instrumentalisation
des divisions ethniques... En un premier temps, il s’agissait de démontrer
que les cultures noires ne sont pas dénuées d’esprit, encore moins
d’ingéniosité. Et les témoignages furent nombreux. Un concept fut lancé, à
savoir la Négritude. En un second temps, il fallait joindre à l’arme
culturelle senghorienne, des préoccupations politiques de libération des
peuples noirs, pour que cessassent toutes formes d’exploitation, et
surtout la plus en vue : l’exploitation économique aujourd’hui transformée
en menace diplomatique.

En 1939, Aimé Césaire, un antillais, publie Cahier d’un retour au pays
natal
. L’oeuvre est qualifiée de cri de révolte. Suivent Pigments du
Guyanais Léon Gontrans Damas et Hosties noires de Léopold Sédar Senghor,
un peu plus tard.

L-G Damas

Les trois oeuvres s’inscrivent dans le droit fil du
mouvement dénommé Négritude. Si pour Césaire, "la négritude est la
reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre
destin, de notre histoire et de notre culture
", elle devient pour
Senghor, l’instigateur du métissage culturel, le mouvement "de
revalorisation des valeurs du monde noir
". Entre les deux auteurs,
unanimité d’esprit s’observe, mais plus tard cependant, le mot trahison
surgira de la bouche de l’un d’eux ! Là n’est pas le problème. Une autre
question à laquelle nous devons répondre, est celle de montrer en quoi les
débuts de la littérature négro-africaine remontent à la première moitié du
XIXème siècle, et surtout comment ces oeuvres produites ont contribué à
l’amélioration de l’image des noirs dans le monde occidental. Jusqu’à ce
jour, le nombre d’oeuvres produites par les auteurs noirs, ayant marqué le
premier coup d’envoi de la littérature négro-africaine est compté. Les
pères de l’histoire littéraire négro-africaine se restreindre à quelques
figures citées. D’autres penseurs ont plus moins joué un rôle capital dans
la naissance de cette littérature mais son influence sur l’imaginaire
occidental reste probable, à celle-ci se sont joints la sculpture, la
danse, le théâtre, le cinéma...venant à la resscousse du combat
d’identité.

Somme toute, force est de constater que grâce à la littérature, les
Senghor, Damas, Césaire ont pu rendre indépendante l’Afrique, même si tous
les doutes sont permis sur la possible victoire des pères des indépendances
sur le domaine économique, au vu de la réalité ; grâce au jazz, les
Coltrane et James Baldwin ont pu donné une autre image des musiques
noires ; grâce à la sculpture africaine, Picasso a pu créer le cubisme...

James Baldwin

Tout ceci témoigne de la vitalité des cultures du monde noir. Et avec la
création à Paris du Musée des arts primitifs, le choc esthétique est
immense dans l’imaginaire occidental, jusqu’ici réfractaire au fait qu’on
reconnaisse aux œuvres d’art ‘’indigène’’ la même valeur que celles
d’œuvres exposées au Louvre. Comme quoi l’art participe, mieux que la
politique, à la reconnaissance d’identité, à la mise en valeur de l’image
d’une communauté. L’exemple type aujourd’hui cité est le film Indigènes,
réalisé par Rachid Bouchareb. Variante de ce combat de réhabilitation, ce
film a permis de débloquer et aligner la situation des anciens combattants
étrangers, et surtout noirs, à celle de leurs frères d’armes français.
Après l’écriture et les expositions de fétiches, voici donc l’âge du
cinéma, celui de la force de l’image ! Quoique certains disent que rien
n’a encore été gagné sur tous les fronts, on devrait déjà se réjouir d’une
chose : que l’art réussisse là où la politique échoue ! Le seul qui peut
encore nous replacer, chaque fois qu’on perd pied ‘’Entre racines’’, nous
plonger dans nos valeurs, celles des civilisations noires, selon le titre
que nous devons au jeune cinéaste documentariste Mbou Rufin.

Par M. Dimina-Monofila

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