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Les Noirs dans la Blanche ???

A en croire le quotidien Libération du jeudi 9 mars, la nervosité a gagné nos amis de la collection Continents noirs (collection qui publie le Africains et apparentés chez Gallimard) lorsqu’on a lancé le mot "communautarisme". Certains auteurs s’échappent de ladite collection, préférant entrer dans une compétition globale et sans étiquette. Abdourahman Waberi et Gaston-Paul Effa furent les premiers "fugitifs". Ananda Devi est désormais publiée toujours chez Gallimard, mais dans la Blanche (le summum pour un romancier d’expression francaise). Sami Tchak - un autre auteur de la collection - multiplie les signes avant-coureurs de départ définitif et range déjà son sac de voyage pour une nouvelle aventure.
Il est vrai qu’Ananda Devi garde comme éditeur Jean-Noel Schifano - Directeur de Continents noirs - qui a sans doute facilité cette exceptionnelle émigration pour calmer ses troupes et montrer que la voie vers la prestigieuse collection Blanche est toujours ouverte et que Continents noirs n’est pas une fin en soi...

Voici - selon les informations commerciales mises en ligne sur le site de Gallimard - les 10 meilleures ventes de la collection Continents noirs depuis sa création (livres ayant été vendus au-delà de 2000 -deux mille-exemplaires) :

1.Nathacha Appanah-Mouriquand. Les Rochers de poudre d’or (2003)

2.Amos Tutuola. L’Ivrogne dans la brousse (2000)

3.Gaston-Paul Effa. Le Cri que tu pousses ne réveillera personne (2000)

4.Boniface Mongo-Mboussa. Désir d’Afrique (2002)

5.Nathacha Appanah-Mouriquand. Blue Bay Palace (2004)

6.Eugène Ébodé. La Transmission (2002)

7.Tidiane N’Diaye. Les Falachas, nègres errants du peuple juif (2004)

8.Fabienne Kanor. D’eaux douces (2003)

9.Aly Diallo. La Révolte du Kómó (2000)

10.Julie Mintsa. Histoire d’Awu (2000)

Laissons "la parole" au quotidien Libération qui rapportait cette semaine une rencontres des auteurs de cette collection :

Une séance de signatures dans une librairie n’est pas toujours un moment intense. Pour créer une véritable animation, il faudrait un Balzac revenant dédicacer ses oeuvres complètes. Ce soir, l’affiche paraît plus modeste : dans une échoppe proche de la rue Mouffetard, face à une douzaine de curieux, Jean-Noël Schifano est venu présenter quelques auteurs de sa collection « Continents noirs ». Laquelle, chez Gallimard, se consacre aux « écritures africaines, principalement d’expression française », au total une quarantaine de titres parus depuis 2000 dont
aucun n’a dépassé les 5 000 exemplaires.

Le Togolais EDEM, auteur de "Port-Melo".

Schifano parle, traçant dans l’éther les contours d’un continent de légende. On se croirait au bord du fleuve Niger un jour de crue. Jusqu’à ce qu’un impoli l’interpelle : dites donc, votre collection pour écrivains d’Afrique noire, ça ne tomberait pas un peu dans le travers du communautarisme ? Et la typo des bouquins, pourquoi est-elle si moche (du Futura Book, un caractère bâton effectivement pas terrible) ? Suit un bref silence. Puis le flot Schifano repart, plus vif : mais non vous n’y êtes pas du tout, regardez, « Continents noirs » c’est au pluriel, la preuve que nous ne sommes pas dans la géographie mais dans l’écriture, dans quelque chose qu’on pourrait appeler le « baroque existentiel », de toute façon il y en a marre de ce procès permanent du ghetto. Fin de l’incident ? Non, début. Boniface Mongo-Mboussa, auteur de Désir d’Afrique, s’en prend à l’importun : votre inculture est sidérante car des collections africaines, il s’en est déjà créé plusieurs, voyez « Les Afriques » (Karthala), « Monde noir » (Hatier), alors pourquoi s’en prendre à celle-ci ? Parce que Schifano est un italianiste plus qu’un spécialiste de l’Afrique ? Un autre auteur de « Continents noirs » monte au front : ce débat, c’est une diversion permanente, lassante, ça empêche de parler du fond des bouquins. Et quand bien même la géographie s’en mêlerait, lance un troisième, il y a des précédents très honorables : la collection « Croix du Sud » de Roger Caillois, chez Gallimard aussi, fer de lance des littératures sud-américaines, n’a-t-elle pas révélé Borgès ? Le ton monte, Boniface Mongo-Mboussa part en claquant la porte. Dans un coin , Antoine Gallimard écoute sans mot dire. Schifano tente de calmer le jeu : chez Gallimard il n’y a pas de frontières, plaide-t-il, « vous pouvez très bien être dans "Continents noirs" et puis rentrer dans la "Blanche" ». Là, quelques gloussements nerveux au fond de la salle. Est-ce au rayon Freud qu’il faut chercher les raisons de ce psychodrame ? La maison d’édition qui a pour figure de proue la collection « Blanche » de la NRF pouvait-elle délimiter en son sein un « espace noir » sans ouvrir la boîte à lapsus ?

Là-dessus, on se mit à parler bouquins et ce fut nettement moins drôle.

Copyright Liberation, jeudi 9 mars

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