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Les bonnes feuilles du Blog (1) : Kangni Alem et ses ailes d’Albatros

Kangni Alem (photo), écrivain togolais, publie le 15 septembre un recueil de nouvelles aux Editions Gallimard, Un rêve d’Albatros... Dramaturge, auteur dramatique, déjà auteur de deux romans parus chez Dapper, il est, aux côtés de Waberi et Raharimanana, un de nos meilleurs nouvellistes depuis son recueil inoubliable La Gazelle s’agenouille pour pleurer, que vous pourrez vous procurer en collection "Motifs" (poche) des Editions du Serpent à plumes.

L’extrait ci-dessous est tiré de la nouvelle « Un privé à Bujumbura » dans laquelle un journaliste d’un quotidien américain se lance à la quête de sa correspondante au Burundi. A-t-elle disparu ? Il devra toutefois engager un détective privé afin de dénouer une situation aux rebondissements très "écclésiastiques". Dans l’extrait proposé, Kangni "croque" notre détective privé, et vous reniflerez en avant-première son ton incisif, son regard de migrateur et ses légendaires éclats de rires - comme sur sa photo :


Un privé à Bujumbura

Aux amis de Buja.

Dans le quartier où il avait toujours vécu, personne n’aurait cru Sébastien capable d’étonner un jour les dieux ; même lui, au fond, quand l’idée lui vint un matin, après cinq années de chômage, de se mettre à son propre compte, était loin d’imaginer les remous qu’un choix pareil allait déclencher.
Sadi Niyungeko, son vieil ami de fac, fana de rock et sérigraphe à ses heures perdues, lui avait fabriqué le panneau :

SÉBASTIEN ICHOUCH

DÉTECTIVE PRIVÉ

Sur un fond noir, l’écriture à la peinture blanche accrochait le regard à l’entrée du long couloir qui menait dans la cour où Sébastien avait loué son bureau. Depuis le magasin du Grec latous Aristote sur l’avenue Chaussée Prince Louis Rwagasore, Zeenat, la caissière, avait observé le jeune homme clouer le panneau.
« Détectivé, iyé, avait-elle ululé, ce garçon veut mourir ou quoi ? »

Depuis 1993 et le coup d’État du major Buyoya, les collines autour de la ville de Bujumbura bruissaient d’odeurs de nègres et de poudre, de crissements de bottes et d’uppercuts de kalachnikovs. Une rébellion carabinée, qui comptait beaucoup de dents pourries et d’équilibristes aigris, acteurs frustrés d’un génocide qu’ils n’avaient pu mener jusqu’au bout, tentait de renverser la vapeur, au prix de viols et de balles traçantes dans la nuit. Changer le cours déjà sinueux d’une histoire sans queue ni tête ? De temps à autre, pour se convaincre de l’utilité de leur lutte, ces fabricants de cérémonies macabres envoyaient à Pâques, sur les quartiers pauvres de la ville, des œufs bourrés d’explosifs qui faisaient, aux gamins jouant à cloche-pied au milieu des poussières et dans la senteur des moutons grillés, de beaux petits moignons peints à l’ocre de l’impuissance.

Rumeurs, intox ? Sur les rebelles circulaient des histoires pour le moins farfelues : on prétend que, dans leur méchanceté gloutonne, ils auraient mangé le dernier éléphant du pays ; idem pour Gustave, le plus vieux saurien du Tanganyika. Et les derniers pygmées Twa ou Bwa, ne puis-je m’empêcher de demander à Sadi, cuisinés au chalumeau... ?

Un rêve d’Albatros, de Kangni Alem, Ed. Gallimard, Collection Continents noirs. En librairie le 15 septembre 2006.

Extraits : © www.gallimard.fr 2006

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