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Mokoko ou l’arête dans la gorge de Sassou Lékufé

Déjà emprisonné chez lui, Jean-Marie Michel Mokoko a été gardé à vue mercredi 15 juin 2016 à la DGST, lieu de triste mémoire, avant d’être purement et simplement écroué à la prison centrale de la capitale.

Du statut de la résidence surveillée à celui de l’emprisonnement à la Direction générale de la surveillance du territoire puis à la Maison d’arrêt de Brazzaville on vient d’assister à ce que les théoriciens du roman appellent mise en abyme, une peinture dans la peinture, une violence dans la violence, une humiliation dans l’humiliation.

En infligeant la triple-peine à Mokoko, le général Denis Sassou-Nguesso vient de lancer un message plus que brouillé à l’opinion. On savait déjà Mokoko mal loti. Les observateurs sont en droit de se demander, en effet, pourquoi avoir durci les conditions d’existence d’un prisonnier pourtant « modèle » qui, s’inspirant du Nouveau Testament, n’a eu de cesse de tendre la joue gauche quand l’adversaire lui administrait un soufflet sur la droite. D’ailleurs cette attitude du général Mokoko avait fini par exaspérer ses électeurs du 20 mars 2016 qui, comme les Juifs sous le joug romain, attendaient un Barabbas pour les libérer au lieu d’un Jésus Christ pétri de pardon.

« Au bout du compte, sa non-violence n’a pas payé, à l’inverse de Ghandi  » disent désormais, amers, ses admirateurs qui l’avaient aussitôt surnommé Moïse.

De deux choses l’une : soit Sassou sait ce qu’il fait soit le bonhomme fait ce qu’il ne sait pas. Dans les deux cas Sassou a désarçonné François Hollande auprès de qui le prix Renaudot, Alain Mabanckou, était en train de plaider la cause postélectorale du Congo, précisément le jour de la mise au mitard du général Mokoko. « J’ai dit au Président Hollande d’agir avant qu’il ne soit trop tard » a dit Alain Mabanckou dont la main dans la poche indiquait l’absence de stress chez l’écrivain. Quand on sait que lorsque Sassou met la main à la poche c’est pour corrompre, le symbole sapologique de l’écrivain est fort.

De toute façon Mokoko est une arête qui lui restera au travers la gorge. Sassou risque d’être englouti dans les eaux postélectorales comme Pharaon dans les eaux de la Mer Rouge à force de réclamer la tête de Moïse dont le nom signifie « sauvé des eaux ».

Le 14 juin 2016, dans l’entretien Hollande/Mabanckou on a senti une marche en arrière du locataire de L’Elysée dans son soutien à Sassou. Hollande a même renversé la table en rappelant les bonnes conditions du changement politique au Centrafrique et au Bénin. Peut-on dire après l’entretien à l’Elysée l’affaire est dans la poche ? Certes Hollande est dans le dilemme de 2017. Après s’être copieusement aliéné la gauche et les travailleurs, Hollande homme de lettres qui rata A. Mabanckou au dernier Salon du Livre Porte de Versailles pourrait se réconcilier avec le Logos en donnant gain de cause à l’écrivain congolais. Comme tout le monde, l’auteur des « Mémoires de porc-épic » a encore en tête le discours de Dakar où la Françafrique fut promise aux pires gémonies.

On comprend que les mauvaises langues associent la chute de Sassou à cette tentative d’avaler coûte que coûte Jean-Marie Michel Mokoko faisant mine d’oublier que le vent de l’histoire est en train de tourner.

Chose incroyable, le duo Mokoko/Sassou engage un dialogue de sourds. « Reconnais qu’avec 8% je suis le vainqueur des présidentielles » supplie Sassou. Face à cette absurdité, Moïse Mokoko oppose cette parole biblique : « Let my people go ».

Mais l’histoire aime à se répéter. On se souviendra que feu Président Massambat-Débat perdit le pouvoir pour avoir embastillé, à l’époque, un cousin de Sassou, un certain Marien Ngouabi, en 1969. Alphonse Massamba-Débat, ne pouvant se débarrasser de cette épine au pied, rendit le tablier, puis, le capitaine Ngouabi le remplaça à tête du pays.

Maison d’arrêt

Il va de Sassou comme de Massamba-Débat avec la différence que ce dernier eut la sagesse de ne pas s’accrocher au pouvoir.

« Il y a quelque chose de sud-africain dans la crise Sassou/Mokoko » constatent les Congolais qui assimilent volontiers le prisonnier Mandela au prisonnier Mokoko devenu chef d’Etat après un long séjour en prison.

Ironie du sort, la Maison d’arrêt de Brazzaville semble le berceau où commence la carrière de nombre de chefs d’Etat au Congo.

Sauf Joachim Yombi qui y acheva sa carrière, Sassou qui a toutes les chances de l’y finir, il se trouve que Ngouabi, Lissouba passèrent par la case/prison avant d’occuper le fauteuil présidentiel.

Mister Eight

Ngouabi, Lissouba : il n’y a jamais deux sans trois. En ajoutant au destin politique de Mokoko la case/prison comme Mandela, Sassou a joué sa plus mauvaise carte et passe, par conséquent, pour un mauvais lecteur de l’histoire postcoloniale du Congo.
Pis : aux yeux des Congolais cet abus supplémentaire de pouvoir équivaut à la goutte qui fait déborder le vase.
Mieux : il vient de confirmer l’onction que le peuple a réclamé pour Mokoko le 20 mars dernier.

Sassou n’a pas gagné les élections ; en revanche il vient de gagner un sobriquet. Un anglicisme lui sert de nom de baptême : « Mister Eight ». 8 symbole vertical de l’infini ; l’infiniment grand et l’infiniment petit. Autant dire que pour Monsieur 8% c’est la chute dans l’abîme, l’infiniment nul, le néant.

Simon Mavoula

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