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Plaidoyer pour des bibliothèques en Afrique

La multiplication des bibliothèques en Afrique francophone est sans doute une des solutions contre l’analphabétisme ! Nous avons le souvenir de ces longues heures passées dans les salles de lecture des Centres Culturels Français (CCF) à dévorer les pages de la littérature mondiale ou les aventures de Tintin, Blek ou Miki Le Ranger ou encore Spirou, Iznogoud ou Astérix et Obélix. Nous grandissions ainsi, ignorant que ce que nous picorions devait plus tard nous servir dans notre épanouissement et notre ouverture au monde. Certes, nous ne comprenions peut-être rien alors, mais cela forgeait notre imaginaire, nous ouvrait une fenêtre, nous préparait à regarder le monde dans sa complexité.

Dans ces conditions, il est triste, inadmissible de constater la rareté des bibliothèques dans certaines grandes villes d’Afrique francophone - villes réputées pourtant littéraires ; et le livre devient alors une denrée rare, quelque chose d’irréaliste pour une jeunesse qui va dans la fosse à l’instar des moutons de Panurge. Dans ce vide culturel, chacun doit trouver les moyens de se rattacher à une branche du savoir ; mais cela ne va pas loin car, sans les livres, c’est une nuit qui tombe, c’est une cecite collective qui atteint la jeunesse...

Ce n’est pas tant les fonds qui manquent aux gouvernements africains - il finissent par en trouver pour le caviar, les champagnes, les boudoirs et les limousines -, mais je crois que nos gouvernants sont le plus souvent insensibles à la chose culturelle. Certes ils ont fait des études pour beaucoup d’entre eux, mais n’ont lu malheureusement que les livres de leur discipline universitaire, ceux qui étaient au programme ou ceux qu’ils ont utilisés pour la rédaction de leur thèse de Doctorat. Pourquoi voulez-vous qu’ils s’occupent de bibliothèques alors ???

Quelqu’un me rapportait qu’il y a certains dirigeants qui sont fiers de leur parc automobile alors qu’ils n’ont pas de bibilothèque à la maison. Et quand par chance ils en ont une, les livres sont tellement bien rangés que seule la femme de ménage les déplace lorsqu’elle passe un petit coup de chiffon dessus pour dépoussiérer le meuble...

Lilian Thuram : cerveau et ballon...

Et alors, pourquoi ne lisent-ils pas, ces gouvernants ? D’abord, ils vous diront qu’ils n’ont pas le temps, qu’ils croulent sous la charge de leurs fonctions ! Allons, allons, allons ! Pompidou n’écrivait-il pas des Anthologies de poésie ? Albert Cohen n’était-il pas un fonctionnaire international ? Léopold Sédar Senghor n’était-il pas un Président de la République ?

Certes, j’ai vu de mes "propres yeux" l’ancien président du Bénin Nicéphore Soglo acheter des livres à la librairie Présence Africaine. Bon, il est vrai que le type n’est plus au pouvoir, dira-t-on, et qu’il a le temps de lire ou relire enfin Ulysse de Joyce et Trois tristes tigres de Guillermo Cabrera Infante.

J’avais également vu à la librairie Présence Africaine le fameux sportif international Lilyan Thuram qui achetait des cartons de livres pour les bibliotheques de la Guadeloupe. Et Marie-Odile, la libraire, me signifia que ce n’était pas la première fois que le footballeur guadeloupéen envoyait des livres dans son coin natal. Une fois, les télespectateurs le découvrirent d’ailleurs dans les vestiaires en train de bien ranger son livre, Nations negres et cultures de Cheikh Anta Diop. Et puis je me suis souvenu aussi que la France a connu en son temps un autre footballeur dit intello, Eric Cantona... qui écrivait de la poésie et avait une passion pour la peinture.

Ma question demeure : pourquoi ne lisent-ils pas, nos gouvernants d’Afrique noire francophone ? Parce que, pour eux, le roman n’est que divertissement, perte de temps ; la poésie, des délires de quelques amoureux ; le théâtre, des gesticulations de clown etc. La seule discipline qui les intéresserait serait à la rigueur l’essai politique, et encore ! Et puisque les essais politiques actuels ne sont que des insultes entre opposants, gouvernants et cireurs de pompes de tout bord, eh bien, nous ne sommes pas sortis de l’auberge africaine. Et il y a un public pour ces livres. C’est ainsi que, en France, dans les grandes surfaces comme la Fnac des Halles, vous trouverez un embouteillage d’Africains devant les essais tandis qu’on les compte sur les bouts de doigts devant les piles de la littérature.

Les initiatives privées sont à applaudir. En effet, voir des individus, des associations qui se bousculent, œuvrent de manière désintéressée ne peut qu’aller droit dans le cœur de ceux qui aime la littérature. Cette action privée montre d’ailleurs que les nouvelles formes de politique africaine devraient emprunter le chemin de la société civile. Si quelqu’un peut se soucier d’aider des jeunes à lire, personnellement je confierais à celui-là les clés de la gouvernance, parce qu’il aura compris qu’un peuple qui ne lit pas est un peuple disqualifié, inexistant. Et je ne vois pas quel dirigeant souhaiterait gouverner des moutons...

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