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Poésie : les hauts débats des...bas ébats : un recueil de Joseph Tadyla

"Les Hauts débats des…. bas ébats" est un recueil de poèmes très intéressant car il donne une autre dimension à la poésie congolaise. Paris, Orléans, Beaufort, Malo-les-bains, tels sont les lieux géographiques qui reviennent dans les textes de Joseph Tadyla et donnent une autre dimension à ce recueil, loin des « tropicalités » auxquelles nous ont habitués ses confrères, loin du temps qui passe inexorablement...

POESIE : LES HAUTS DEBATS DES… BAS EBATS, un recueil de Joseph Tadyla

Voici un recueil de poésie qui sort de l’ordinaire car écrit par un Congolais qui vit en France voici bientôt cinq décennies et qui n’est jamais retourné au bercail pour se ressourcer. «  Les Hauts débats des … bas ébats » [1], un livre qui définit sa beauté scripturale paradoxalement par le « vide du pays », comblé par l’image de l’Hexagone.

75 poèmes écrits de février 1997 à novembre 2004, à raison d’un texte par mois, sont regroupés dans ce recueil. Des textes qui ne dégagent aucune idée de littérature africaine sinon respectant le canon classique mis en œuvre par les anciens poètes français. La poésie de Joseph Tadyla [2] s’inscrit dans la littérature monde noire en français parce qu’écrit par un Congolais. En effet Joseph Tadyla est ce doyen d’origine congolaise ayant foulé l’Hexagone en 1958 sans un simple retour au natal. Ce qui fait qu’il ne lui reste de Congolais que le sourire, la couleur et sa poésie qui diffère énormément de celle des autres comme Tchicaya U Tam’Si, Makouta Mboukou… car étant blanchie par l’usure du temps.

La poésie de Joseph Tadyla se débat avec elle-même pour se découvrir comme un élan lyrique qui épouse la réalité du quotidien qui le traverse jusqu’aujourd’hui, une réalité « bleu blanc rouge ». Tout son passé et son présent qui ont effacé l’image juvénile du terroir se révèle dans ce recueil. Et le bestiaire qui semble définir un pan de la société occidentale s’est incrusté en lui. Dans cette société où l’animal est parfois mis au même niveau que l’humain. Et son livre s’ouvre par l’hommage au bestiaire avec le poème intitulé « Même un animal dit I love you » :

(…)
 Nous étions donc mon chat et moi
 Tous deux au chaud loin du froid
 Quand soudain me vint l’idée d’aller
 Derrière la porte d’un cachot mité
 Voir si la chatte siamoise en feux
 Dans sa posture l’était pour mon gueux
 Beau matou Persan qui savait miauler
 Qui lui dirait viens on va s’épauler
 Car même un animal dit « I love you »
 Quitte à attendre qu’il nous l’avoue.

Contrairement à l’engagement et aux cris de révolte et de douleur qui jaillissent de la plupart des poèmes écrits par les Congolais comme on le remarque chez Tchicaya U Tam’Si et Maxime Ndébéka, il se révèle une absence de « congolité » dans l’œuvre de Joseph Tadyla. Et quand il parle de la femme, c’est une position énigmatique qu’il prend, à l’image de l’Occidental :

 Toi dont je parle quand tu te balances
 Entre le POUR et ton expérience
 Et puis le CONTRE de ton élégance
 Je t’accuse d’avoir une existence
 En dents de scie mais que bien certes
 Sans toi mon sang serait sûr infecte

Une poésie de femme sans flamme comme on le remarque chez Tati Loutard où l’érotisme flirte avec l’auteur, mettant en exergue la virilité de l’homme des climats tropicaux. Avec Joseph Tadyla, la femme paraît faire peur et difficile comme on le constate en Occident :

 Toi dont j’écris le nom si facile
 Mais toi que je taxe de difficile

N’ayant plus à l’esprit la fresque que constitue l’histoire du terroir car ayant quitté le pays voici bientôt plusieurs lustres, le poète s’est métamorphosé en « réalité française » qui est présente presque dans tous les textes :

 En effet, ni pomme ni poire pour mufles
 Elle a le corps qui tient d’un souffle
 Car d’elle dépend ce qui est vivant
 Cette vie qui nous fait ses battants

Presque tous les sujets de la vie s’entrechoquent dans ce recueil de poésie. La femme apparaît toujours énigmatique pour le poète comme il le spécifie dans les vers suivants :

 Surtout si elle est aussi infernale
 Comme celle qui en moi me trouble

Aucune image du terroir et même du continent chez Joseph Tadyla dont l’être est plutôt attaché à sa nouvelle patrie :

 Je t’aime France
 Du continent on l’on a vu le jour
 On devine parfois les contours

Et cet amour pour la France revient dans moult textes comme on peut le remarquer ci-dessous :

 Au large de la Rochelle
 J’aimerais voir oui l’île de Ré
 Là-bas au large de la Rochelle paraît
 Qu’il y a traces d’un Beau Fort

Et des textes tels « En lieu et place de la Concorde », « Notre Dame de France », « Comme paris je suis mon navire »… confirment cette grande présence française dans l’être du poète qui aurait perdu toute présence émotionnelle du terroir. Nous sommes en face d’une poésie qui entre en porte-à-faux avec celle de ses compatriotes tels Tchicaya U Tam’Si et Makouta Mboukou, des hommes de sa génération qui, malgré leur absence prolongée du pays, n’auront jamais perdu les senteurs de la forêt équatoriale ainsi que l’image du fleuve Congo et de l’océan Atlantique.

« Les Hauts débats des …bas ébats » ne sont autres que l’image et le reflet d’un homme qui n’aurait plus de repères du terroir longtemps « martyrisés » par l’omniprésence et l’omniscience de la culture française. Une poésie loin de l’épanchement de Senghor, loin de l’agressivité et de la « brutalité » de Césaire et Tchicaya U Tam’Si et même de Maxime Ndébéka, loin du maritime de Tati Loutard. Ce livre nous rappelle une écriture poétique fondée sur le mètre, l’exactitude et la fonction des rythmes du classicisme sur fond de rimes. Un travail qui montre l’élégance et la souplesse chez le poète. Bien qu’ayant respecté certaines règles de la poésie classique qui a perdu peu à peu son « autorité » pour se libérer et se pencher du côté du lyrisme et même du surréalisme, Joseph Tadyla annonce paradoxalement sur la 4è de couverture du livre que « [ ses] textes évoquent des faits réels et vécus mais sont dépourvus de lois. Ils sont à lire tout simplement. Ils n’imposent rien à personne. Ils n’exigent rien. Aucune opinion ne sera prise en otage ».

Faits réels ou vécus, la poésie de Joseph Tadyla se démarque curieusement de presque tous les textes poétiques des congolais (du terroir ou de la diaspora) où l’image du natal est omniprésente. Paris, Orléans, Beaufort, Malo-les-bains, tels sont les lieux géographiques qui reviennent dans les textes de Joseph Tadyla et donnent une autre dimension à ce recueil, loin des « tropicalités » que nous ont habituées ses confrères, loin du temps qui passe inexorablement comme il le spécifie lui-même :

 Pour l’heure je perds mes cheveux
 Dans un an peut-être deux
 J’aurai plus un poil sur le crâne
 Et vous rirez de tous les ânes.

Les Hauts débats des…. bas ébats, un recueil de poèmes très intéressant car il donne une autre dimension à la poésie congolaise.

Noël KODIA

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