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Pointe-Noire : Les enjeux fonciers et urbains

Les contradictions entre les juridictions coutumière et officielle sont elles surmontables ?

Pour comprendre les problèmes et les enjeux futurs des villes africaines, ceux de Pointe-Noire au Congo en particulier, il convient de comprendre les mécanismes d’acquisition des sols par les différents acteurs et ceux qui régissent la gestion du domaine foncier urbain.

La compréhension de tous ces mécanismes nous édifiera sur les enjeux de la ville notamment en ce qui concerne :
 Les enjeux fonciers
 Les équipements de transport de biens et de personnes
 Les équipements scolaires
 Les équipements sanitaires
 Le logement salubre
 L’électricité
 L’eau
 Les ordures ménagères et les déchets industriels
 Les équipements d’assainissement

Dans cette livraison nous allons essentiellement focaliser notre propos sur les enjeux fonciers, la première partie va concerner les mécanismes d’acquisition des sols et leurs conséquences sur le paysage urbain.

Les mécanismes d’acquisition des sols

Depuis la colonisation, deux systèmes juridiques antagoniques régissent le droit du sol au Congo :

  1. Le droit coutumier
  2. Le droit civil français

Leurs domaines d’application n’étaient pas sensés se recouper, mais l’évolution des données socio-économico-politiques est venue compliquer la situation. L’occupation de l’espace à Pointe-Noire est la conséquence directe de la dualité des deux juridictions.

Le droit coutumier congolais

La propriété de la terre est collective. La terre est le bien de la communauté. Cependant la notion de terre dans ce système est restrictive, elle ne concerne que des lieux présentant de l’intérêt pour l’habitat ou pour les activités agricoles ou pastorales.
La jouissance de ce bien est individuelle. Chacun peut en disposer comme il l’entend, mais ne peut ni la transmettre, ni la spolier.
Seules les parcelles mises en valeur sont concédées sous forme de bail, sans droit. Pour en conserver la jouissance, il faut les mettre en valeur et les entretenir.
La question de la propriété privée ne se pose pas de la même manière qu’en occident du moins en droit français napoléonien.

Le droit civil français

Le code civil, privilégie la propriété privée.
La transmission des biens par voie d’héritage, et la possibilité de leur cession à un tiers sont fondamentales.
Les termes : propriété foncières, titre foncier... sont des notions importées au Congo.
Le colon, du fait de sa représentation minoritaire, n’a aucun intérêt à s’opposer aux indigènes en les spoliant de leur propriété, d’autant que de vastes aires marécageuses restent libres de tout occupant. C’est là que profitant de sa technologie il va s’implanter en y imposant ses règles foncières.

Ces deux systèmes juridiques ont ainsi généré deux villes parallèles avec chacune son code foncier. A la Cité indigène le code coutumier, et à la Ville européenne, le code français

Pointe-Noire, deux organisations urbaines juxtaposées

L’urbanisation de Pointe-Noire porte l’empreinte de ces deux systèmes juridiques. En effet la ville reflète les deux systèmes, le colonial et l’autochtone. Il ne faut pas oublier que Pointe-Noire a été construite comme une ville coloniale, elle se devait d’en avoir les carctéristiques.

Le colonisateur crée sa ville sur un site marécageux et difficile que personne ne revendique. Il n’a aucune peine à s’en faire accorder la propriété et évite ainsi le conflit, d’autant qu’il prétend arriver avec des intentions amicales)
La ville nouvelle nait. Le colonisateur la dessine en négligeant le site, qui en soit lui importe peu. Les marécages sont remblayés, la topographie de tout le secteur ouest est bouleversée.

A l’est, on va se contenter d’un zoning en fonction de la dynamique sociale.
Le contrôle et la gestion, fonciers sont inexistants dans le village africain, ils sont confiés au droit coutumier ;

Après 1960, le système est reconduit avec un zeste de démocratie. Il voit surtout le retour des propriétaires coutumiers, qui vont de ce fait, être les seuls acteurs de la gestion de l’espace urbain.

Le centre-ville échappe à la folie des propriétaires coutumiers, parce que les lois coloniales restent en vigueur en ces lieux, et surtout en raison de la nature marécageuse des terrains et à leur environnement social.

L’espace produit

Jusqu’en 1983, les deux régimes fonciers découlant des deux systèmes juridiques vont cohabiter en apparence.
Le droit coutumier le plus ancien qui possède les caractéristiques soulignées supra, et le code officiel [1] (euphémisme pour designer français). C’est durant la période coloniale, dès 1899, que l’administration, a introduit le code civil et avec lui, la notion de propriété privée au sens occidental du mot. Le problème de transmissibilité se pose donc.

L’autre facteur innovant est l’apparition des actes écrits qui permettent de prouver ses droits.

Ces deux éléments font de l’administration coloniale, la propriétaire des autres terres non occupées. Elle jouera de la dualité des deux codes, pour déposséder les autochtones : elle respecte le code coutumier, mais construit des bâtiments qu’elle va mettre sous le droit civil. Jusqu’en 1937, elle demeure réticente, mais avec la publication des lois sur les constructions en dur et les lois sur l’hygiène, qui complétées par une modification du code foncier dans les colonies en 1938, l’administration va installer des activités en matériaux durables, à contrario de la logique des autochtones, dont les constructions ou routes sont en matériaux périssables. Ainsi, avec des bâtiments en dur, le colonisateur s’assure, selon le droit coutumier de pérenniser sa présence, donc sa propriété de fait, sur les terres concernées.

Ce sachant, le colonisateur recherchera des terres non occupées, non mises en valeur, difficiles à l’agriculture et/ou marécageuses pour asseoir son domaine foncier.

Après avoir occupé les terres, la colonie introduit plusieurs modifications du régime des terres dans les colonies [2], toutes reconnaissant sous certaines formes les droits coutumiers (pour éviter des conflits ou pour mieux berner les "indigènes").

En ce qui concerne Pointe-Noire, ce sont les codes de 1920, précédant la fondation de la ville, les codes de 1938, 1949, 1958, qui tendent par grignotages successifs à restreindre l’influence du droit coutumier.

Bien qu’en 1983, la loi congolaise sur le foncier ne reconnaisse plus le droit coutumier, la production de l’espace continue en appliquant les deux droits. Jusqu’en 1992, les droits coutumiers étaient toujours reconnus dans la pratique.

Cette cohabitation des lois a eu l’avantage de permettre à un très grand nombre d’habitants de la ville d’accéder facilement à la propriété privée au sens occidental. Par ce système plus ou moins démocratique, la ville a pu répondre aux problèmes de logement.

Les coûts d’accession à la propriété foncière étaient très faible 625 à 875 frs. C.F.A. le mètre carré entre 1982 et 1985 [3] avec des facilités de paiement pour l’acheteur, construction non soumise au permis de construire. En 2006-2007, le prix du mètre carré varierait entre 1200 et 3000 francs cfa. Le salaire minimum moyen tournant aux alentours de 25000 francs cfa.

Au passif, il faut considérer l’extension anarchique de la ville, et absence d’équipements accompagnant ce développement. D’autre part, les autorités municipales n’ont ni contrôle, ni maîtrise sur le domaine foncier. Le découpage se fait avec des contenances foncières égales et rendent les mutations difficiles.

La viabilisation de terrains n’est pas appliquée, risque de problème écologique et sanitaire.

Comment est on arrivé à cette situation ?

Pour comprendre, il faut analyser le mode d’attribution des terrains.
Toujours nos deux systèmes juridiques : coutumier et l’officiel, à ces deux systèmes viendront s’ajouter deux autres modes, le mode dit illégal au vu de nos deux droits, et celui des opérateurs économiques, qui fait appel à l’action socio-économico-politique du privé et de l’Etat.

Système coutumier

Un chef coutumier foncier, pour des raisons financières et d’autres, décide de son propre chef de vendre une partie ou la totalité des terres supposées être en sa possession.
Alors, il fait appel aux services de quelques agents municipaux du cadastre pour le découpage. Ici souvent les services municipaux agissent en mission de maîtrise d’œuvre privé, sans aucun lien avec la mairie.
ces agents vont procéder généralement à un découpage du terrain selon le mode du damier, avec des parcelles de 20 X 20 mètres ou 20 X 25 mètres, avec des rues larges de 6 à 8m.
Pour des raisons de rentabilité, les places pour les équipements publics sont réduites à leur plus simple expression, généralement on a constaté que ces terrains sont gardés pour des futures plus-values à réaliser quand le quartier sera quasiment saturé.
On procède ensuite à la vente, les acquéreurs potentiels devront payer une première fois au propriétaire foncier, puis une deuxième fois à la mairie un montant égal pour obtenir l’acte de vente.
L’acte de vente obtenu, les acquéreurs se présentent au Domaine de la ville, qui délivre un permis d’occuper essentiel à l’obtention d’un permis de construire.
Ainsi la mairie et les autorités initient et entérinent de ce fait, l’extension de la ville.

De fait, cette pratique non écrite mais bel et bien effective, est faite d’un savant et ambigu mélange de droit coutumier (respect de la propriété collective) et de code officiel (respect de la propriété privée) en fonction de ce qui arrange pour le mieux les représentants des institutions en un moment donné. En conséquence, l’acquéreur devra faire valider son acte de vente établi auprès du tribunal coutumier par un permis d’occuper et un permis de construire obtenu auprès des institutions officielles. Le beurre et l’argent du beurre, ou pourquoi faire simple quand on gagne plus en faisant compliqué.

le second mode c’est celui officiel ou légal

Selon l’analyse de Knabel, et les observations, la municipalité attribue les lots en fonction des critères suivants :

  1. d’abord les habitants résidants qui n’ont pas de parcelle
  2. servir les habitants qui peuvent payer,
  3. la municipalité s’appuie sur la situation sociale du chef de famille
  4. servir par ordre d’arrivée les demandes
    A notre connaissance cet ordre d’attribution n’a jamais été respecté et seul l’arbitraire a toujours primé.

La mairie exige le paiement des 2/3 du prix de cession avant prise de possession des terrains.
La municipalité demande des frais de participation aux infrastructures (qui ne sont jamais réalisées).
Après acquisition des terrains, la mise en valeur doit se faire dans un délai de trois ans maximum ou les parcelles non mises en valeur doivent retourner aux domaines [4]. En effet il fallait être capable d’y construire en moins de 3 ans.
Nous osons affirmer que la loi officielle a permis d’exclure toute une classe de la population du circuit légal d’urbanisation (par crainte de retour au domaine) et de renforcer les droits coutumiers.
Ce qui fait que les autres quartiers l’ont été avec plus ou moins application des droits coutumiers. En effet soit la mairie reversait une somme à ces fameux propriétaires coutumiers, soit les acquéreurs payaient une certaine somme au propriétaires coutumiers, et le montant d’acquisition était toujours fixé par la mairie.

Le troisième mode est celui d’occupation illégale

Ce troisième mode concerne surtout les terrains de mauvaise qualité notamment les terrains marécageux et ceux difficiles à mettre en valeur.
Ces terrains sont supposés n’appartenir à personne au regard du droit coutumier, n’étant pas mis en valeur ; et au vu de la loi officielle, pas d’opposition de permis d’occuper.
Cette catégorie d’occupation concerne surtout peu de quartiers dans la ville de Pointe-Noire, les quartiers tels Kilomètre 4 (le plus ancien à partir des années 1950), Planches (le deuxième ), Dibodo, Tchinouka, Culotte, Mouyondzi.
Cette forme d’occupation ne permet pas une viabilisation des terrains, donc une quasi impossibilité de légalisation.
Mais aussi des terrains délaissés parce que beaucoup trop exposés aux inondations qui trouvent leur premier occupant en application du code coutumier.

La taille et la qualité du terrain dépendent de la force des occupants.

Le quatrième mode est celui des opérateurs économiques

Les opérateurs économiques de la ville, qu’ils soient privé ou publics vont urbaniser la ville en dehors des lois ou réglementations en vigueur. Par voie d’influence, d’intimidation ou de pots de vin, ils obtiennent des dérogations en matière de droit de l’urbanisme et de la construction et même du code civil.
Cette forme concerne en grande partie le secteur du centre-ville. Ici, pour des raisons liées au contexte culturel (ce malgré l’indépendance), persiste le sentiment que les quartiers appartiennent aux européens et par extension aux riches congolais. Le contexte politique et les pratiques non démocratiques de l’autorité municipale ne font que renforcer cet état de fait.
Comme on le voit tout germe de protestation ou conflit, étant exclu. Il y a absence d’opposition sociale.

On va assister à une densification du secteur, par une sorte liberté totale accordée à l’acquéreur d’un lot. On pourrait assimiler cela à des Z.A.L. (Zone d’aménagement libre) privées échappant à toutes réglementations possibles s’il devait y avoir lois.

Les grandes sociétés de la place construisant pour leurs travailleurs et surtout pour loger les Européens, les Congolais y sont admis à la condition de faire partie des cadres. On ne trouve que rarement dans ce type d’aménagement un mélange des classes sociales.

Les sociétés construisent sans tenir compte de la cohérence urbanistique en pérpétuant le schéma colonial.
Les îlots composent un patchwork, pas ou peu cohérent, posant de sérieux problèmes de liaisons et de transports.
Cette urbanisation laisse à un visiteur non averti l’impression d’une ville non achevée, et n’ayant pas de centre précis ou de village ayant trop vite grandi..

A ces quatre modes de production de l’espace, l’on pourrait ajouter l’action des services et organismes publics concourant à l’urbanisme tels l’emplacement des équipements publics, le mode de gestion de l’énergie, de l’eau etc.
Dans tous les cas on a le même tissu urbain sur tout l’ensemble de la ville.
On a jamais essayé de penser la ville dans toute sa globalité [5], Pointe-Noire est donc composée de deux villes juxtaposées bien distinctes dont le seul point commun est la monotone trame en damier.
Ces deux villes seront contraintes de se rencontrer sur de futurs enjeux fonciers et urbains.
Il s’agit en fait des enjeux de citoyenneté et de dignité.

Mouélé Kibaya http://lepangolin.canalblog.com

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