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Politique d’appareil et mobilisation populaire

M. Joachim Mbanza, Directeur de Publication, {“La Semaine Africaine”}

Introduction

Les Partis Politiques constituent les principales structures qui aspirent à la gestion de la chose publique en démocratie. De leur organisation, de leurs idées fondamentales (doctrines ou idéologies), de leurs programmes économiques, des valeurs sociales et morales qui les animent, des objectifs qu’ils s’assignent et des moyens mis en œuvre pour les atteindre, bref du rêve dont ils sont porteurs dépend, finalement, la configuration du corps social dont ils sont les gestionnaires. Dans beaucoup de pays africains en général, et particulièrement au Congo, le retour à l’ordre démocratique a remis sur le devant de la scène, la compétition entre partis politiques dans l’accession à la gestion des affaires publiques. Les pratiques des partis politiques dans la mobilisation des couches sociales sont-elles débarrassées de connotations démagogiques ? Les jeunes se sentent-ils pris en compte ou sont-ils plutôt manipulés et instrumentalisés ? C’est autant de préoccupations que nous allons aborder dans cette communication.

I- Une démocratie marinée aux réalités africaines

Dans un pays comme le nôtre, le Congo, qui a connu près de trois décennies de régime marxisant, l’instauration de la démocratie pluraliste par la Conférence nationale souveraine de 1991 s’apparente à une greffe qui a du mal à prendre. Il aura fallu l’ouverture démocratique pour qu’en effet, les luttes politiques dégénèrent en confrontations armées.

Plusieurs causes à l’origine de ces dérives peuvent être identifiées. D’un côté, le cadre institutionnel lié au régime démocratique selon le sacro-saint principe de séparation des pouvoirs n’est pas respecté. Ce principe, défini par le philosophe anglais, John Locke, au 17ème siècle, puis repris par le philosophe français Montesquieu dans son célèbre ouvrage « De l’esprit des loi » fait de la « distinction des pouvoirs » (législatif, exécutif et judiciaire), comme la base de toute démocratie. Dans son livre, Montesquieu établit que « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». C’est ce principe qui est à l’origine des Constitutions démocratiques modernes. Repris par les deux Constitutions que nous avons eues depuis la Conférence nationale, ce principe ne fonctionne malheureusement pas dans la pratique, chez nous. Mon observation en tant que journaliste me conduit à le dire. Car, le pouvoir exécutif a toujours tendance à dominer ou en tout cas à influencer les deux autres pouvoirs, à savoir le législatif et le judiciaire.

De l’autre côté, les formations politiques (Partis et Associations politiques) continuent à traîner les tares héritées du modèle d’organisation politique du Parti unique, avec ses tendances à l’embrigadement et à l’instrumentalisation des différentes couches sociales, dont la jeunesse, sur un fond de convictions dangereuses reposant sur la conquête et la conservation du pouvoir par la force. De ce fait, ces formations politiques, mêmes issues de l’ère démocratique, font peu cas de la légitimité populaire caractérisée par la confiance que la majorité de la population doit avoir sur un responsable politique ou la politique qu’il conduit.

La conséquence en est que la démocratie pluraliste n’a fait que multiplier « les partis uniques » sur la scène nationale. Car, ces partis n’ont pas souvent un fonctionnement démocratique. Ils sont encore, pour la plupart, dirigés par des éternels « pères fondateurs » qui n’ont de compte à rendre à personne et qui n’ont pas de mandat, puisque eux-mêmes les ont créés, et ils les dirigent comme des propriétés privées.

Mais, ce tableau n’est pas complet et je n’ai pas la prétention d’en arriver là, tant il est vrai que ces réalités sont complexes. Car, ce système politique fonctionne dans un contexte socio-culturel dans lequel il régénère et qui mériterait d’être analysé. Si hier, on a parlé de « marxisme tropical », c’est-à-dire, une certaine mixture de l’idéologie aux réalités africaines, on peut dire, aujourd’hui, que la démocratie pluraliste n’échappe pas à cette confusion. Elle est marinée aussi bien à la sauce ethnique et régionaliste qu’à la mayonnaise familiale qui fait que tout le monde devient parent, dès lors qu’on requiert le soutien de chacun pour avancer dans un projet politique.

Ce faisant, les partis politiques ne s’embarrassent pas de mobiliser sur des bases subjectives (ethnique, tribale ou régionaliste). Alors que, dans une démocratie qui se respecte, les partis mobilisent sur des bases doctrinales, idéologiques ou en tout cas sur la base d’un programme, d’un projet de société dans lequel on peut apprécier la pertinence de la politique socio-économique proposée, avec, en plus, la possibilité d’apprécier l’expérience des acteurs dans la gestion de la chose publique, leur moralité et leur capacité de meneurs d’hommes, etc.

Ce phénomène, qui n’est pas propre à notre jeune démocratie, soit dit en passant, devrait intéresser les politologues, les sociologues et autres chercheurs, pour en comprendre les mécanismes de fonctionnement et aider ainsi l’élite politique à forger de nouveaux modèles d’organisation politique mieux adaptés aux exigences démocratiques.

Le dernier aspect que je voudrais évoquer brièvement et qui permet à ce système de se reconstituer malgré les générations qui passent, c’est le contexte socio-économique. Dans les économies peu pourvoyeuses d’emplois comme la nôtre, alors que la croissance démographique est galopante ; dans les Etats faiblement organisés et laissant des pans entiers de la société livrés à l’informel (économie informelle, justice informelle, sécurité informelle, insuffisance du système de couverture sociale, etc) ; dans des sociétés où « se débrouiller » est le maître-mot qui permet à l’écrasante majorité des jeunes de s’en sortir, les appareils politiques n’ont même pas besoin d’idéologie ni de programme ou projet de société pour mobiliser.

Conséquence : la dérive vers le « populisme » est alors une évolution naturelle. Le danger du « populisme », courant politique qui nourrit des positions radicales au sein de la population, surtout lorsque, dans notre contexte, il se nourrit de tribalisme ou de régionalisme, est que celui-ci est de nature à se retourner contre la démocratie elle-même, accusée alors de tous les maux dont souffre « le peuple ».

Le populisme s’attaque aux élites, aux groupes d’intérêt même particuliers au sein de la société. Il propose une vision simpliste de la réalité sociale et des solutions aussi simplistes qui ne prennent pas en compte la complexité de la réalité.

Dans ce cas de figure, les dirigeants populistes proposent souvent de retirer l’appareil d’État des mains de ces élites traitées d’égoïstes, voire de criminelles, pour le « mettre au service du peuple ». Mais, lorsqu’ils sont au sommet de l’Etat, ce n’est pas le, peuple qu’ils servent.
Comme vous pouvez le comprendre, le populisme comme stratégie de conquête du pouvoir est un véritable raccourci proposé au peuple pour s’emparer de l’appareil de l’Etat et « mettre hors d’état de nuire », pour reprendre une expression consacrée chez les Marxistes, les élites qui s’en étaient appropriées.
Embrigadement, instrumentalisation des sentiments ethniques ou tribaux et finalement populisme sont, à mes yeux, les outils par lesquels les partis politiques sont souvent tentés de mobiliser.

II- L’Etat démocratique fort comme antidote ?

Dans le tout nouveau domaine de la « résolution des conflits », les chercheurs s’accordent à dire que c’est dans les « Etats faibles » que surviennent souvent les conflits internes ou guerres civiles. Comment comprendre cela ?

En effet, il est apparu que l’Etat, comme l’émanation de l’organisation du corps social dans un espace géographique donné, est le garant de la stabilité du corps social. Sa défaillance a pour conséquence de briser la structuration du corps social qui, finalement, peut courir le risque d’entrer dans une dynamique d’auto-destruction, faute de régulateur. C’est ce qui arrive dans les Etats dits faibles.
Dans la notion d’ « Etat fort » que moi j’appelle finalement l’ « Etat démocratique fort », il ne faut pas entendre l’Etat policier qui, par une politique de répression tout azimut, arrive à établir l’ordre public. Pas du tout. D’ailleurs, l’Etat policier est un Etat totalitariste et de ce point de vue, nous sommes hors de la démocratie.

Par « Etat démocratique fort », il faut entendre, sur le plan sociopolitique, un Etat qui jouit fondamentalement de la confiance des citoyens à l’unité de laquelle il est l’incarnation. Et cette confiance, qui lui confère la légitimité de son existence, ne tombe pas du ciel. Elle est le fruit d’un processus complexe de constitution d’équilibres, dans les différents compartiments institutionnels qui le forment. Le résultat en est que le citoyen, pris individuellement, fait confiance à son Etat, parce qu’il reçoit de celui-ci en retour, les services fondamentaux dont il a attend de lui : sécurité, logement, emploi, soins de santé, etc.

Ce n’est pas que l’Etat les lui donne directement, mais le système d’organisation de l’Etat est tel qu’il veille à ce que chaque citoyen ait le minimum consensuellement défini, pour pouvoir vivre et faire vivre sa famille. De telle sorte que pris dans leur ensemble, les citoyens font confiance en leur Etat.

En matière judiciaire, cela signifie, par exemple, qu’un citoyen qui perd un procès, pour cause de corruption d’un magistrat, a la possibilité de faire recours et obtenir inévitablement gain de cause, quelle que soit la partie adverse. Bref, l’Etat est là pour protéger les faibles. Une fois que l’Etat règle les questions de redistribution de la rente nationale (politique de lutte contre le chômage), il est fort probable que les Partis mobilisent alors sur des programmes politiques et non sur des bases subjectives.

Il est vrai que tous les Etats au monde, à l’exception peut-être du Vatican, font face à la question du chômage. Mais, la différence est que dans les « Etats démocratiquement forts », le chômage est toujours en pourcentage faible, par rapport au nombre total de la population active. C’est ainsi que la capacité d’un Gouvernement se mesure, bien souvent, dans sa politique de lutte contre le chômage. Lorsque le nombre de chômeurs dépasse la moitié de la population active, il faut craindre alors la faillite de l’Etat.

Face à la crise économique provoquée par le crash boursier du jeudi noir (en octobre 1929) aux Etats-Unis d’Amérique, une grande crise économique s’en suivit, avec des répercussions dans le monde. Le taux de chômage approchait les 25% de la population active aux Etats-Unis. Elu, Franklin D. Roosevelt, qui prit ses fonctions en mars 1933, lança plusieurs programmes nationaux, afin d’accroître le volume de liquidités et réduire le chômage. C’est ce que l’on nomma le « New Deal », le programme qu’il proposa à ses concitoyens. Un exemple qui prouve que c’est sur la base d’une politique qu’il définit, qu’on apprécie les qualités d’un homme politique.

Mais, l’Etat, superstructure au dessus de tout, n’est que la résultante d’un système politique. Comment arriver à un « Etat démocratique fort », pour protéger les citoyens contre la suprématie des Partis politiques dans leur compétition vers le pouvoir ? C’est là un grand défi pour une société. Car, le rêve d’un « Etat démocratique fort » ne peut être réalisé que s’il est porté par le peuple et partagé par les Partis politiques qui sont les principaux acteurs à même de le réaliser.

Conclusion

Je voudrais conclure en abordant la question de la jeunesse. Les jeunes se retrouvent-ils dans les Partis politiques qui fonctionnent comme nous l’avons décrit ? Chacun peut y répondre.

Mais, à mon avis, les jeunes constituent la couche sociale la plus ciblée par les Partis politiques. Le dynamisme de la jeunesse, sa mobilité, son intelligence, sa force physique et malheureusement sa naïveté politique sont exploités diversement par les dirigeants des Partis politiques, pour assouvir leurs ambitions. Là où les jeunes viennent avec leurs problèmes d’insertion professionnelle (trouver un emploi), ou simplement de promotion professionnelle, les responsables politiques répondent par des promesses. Ce mariage conclu se termine bien souvent au détriment des jeunes, blousés et souvent confinés dans des rôles de mobilisation et d’animation du parti.

Manipulés et instrumentalisés dans une large mesure, les jeunes se sentent après désabusés et révoltés. Il y a, sans doute, à établir, pour les jeunes, une sorte de « profession de foi » qui les aiderait à exercer un certain discernement, dans leurs décisions de s’engager dans un parti politique. Car, c’est à travers les couches juvéniles que le système établi se régénère et assurer la formation des jeunes, c’est commencer à briser la glace d’un système dont nous sommes convaincus qu’il n’est pas bon pour l’avenir de notre société.

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