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Pour une nouvelle approche des textes francophones : "Les écrivaines francophones en liberté" de Martine FERNANDES

La distinction "écrivain français" et "écrivain francophone" est d’un arbitraire sur fond de discrimination condescendante. En quoi un Camara Laye fait-il moins de la littérature française qu’un Stendhal ? Cette hiérarchisation stylistique a rébuté Martine Fernandes, professeur agrégée qui s’est employée à la remettre en cause à partir de quatre études de cas littéraires de la diaspora afro, dans la catégorie féminine.

Pour une nouvelle approche des textes francophones :
Les écrivaines francophones en liberté, de Martine FERNANDES

La classification des auteurs de langue française, selon leur lieu de naissance, est une pratique que lesdits auteurs dénoncent aujourd’hui. Elle les révolte d’autant plus que cette classification s’avère arbitraire. En effet, on pourrait trouver légitime la distinction entre « littérature française », pour désigner les textes des auteurs de ‘‘souche française’’, et « littérature francophone » pour parler de tous les autres auteurs écrivant en langue française ; cependant comment expliquer l’intégration dans la « littérature française » des auteurs comme Eugène Ionesco ou Samuel Beckett, originaires respectivement de Roumanie et d’Irlande ?
Il apparaît clairement que les littératures provenant des anciennes colonies de la France ne sont pas reconnues au même titre que celle directement née en France ou issue de l’espace européen. C’est comme s’il y avait des enfants légitimes de la langue française et des bâtards. Eh bien ! la voix des écrivains de langue française, qui ne veulent plus être considérés comme des bâtards, la voix qui s’est exprimée par exemple dans le Manifeste des 44 « pour une littérature-monde », en mars dernier, rencontre des échos.

Martine FERNANDES vient de publier, chez L’Harmattan, Les Ecrivaines francophones en liberté, œuvre critique qui s’inscrit dans une volonté de « changement des mentalités et des pratiques »1, de mise en valeur du texte francophone. Cette agrégée de Lettres Modernes et docteur ès lettres des universités de Paris-IV Sorbonne et de Californie part d’un constat : le texte francophone ne fait pas encore l’objet d’analyses stylistiques dignes de ce nom. Celles qui sont menées se bornent à mettre en évidence le caractère hybride de ces textes qui laissent transparaître la double culture de leurs auteurs : celle du pays de naissance et celle de la langue d’écriture (le Français). La présence d’expressions typiquement africaines dans le texte français en est une manifestation.
Or les œuvres francophones ne peuvent être limitées à cela ; elles méritent d’être analysées de manière plus approfondie. Martine FERNANDES s’attache à montrer qu’il s’agit d’œuvres non seulement « culturelles », mais aussi « esthétiques ». Elle propose de « revenir à la dimension littéraire des textes francophones sans négliger leur apport culturel. »2

Martine FERNANDES prend pour socle de son étude quatre romancières, plus précisément quatre romans de femmes, même si d’autres œuvres de ces mêmes écrivaines sont aussi convoquées pour étayer son propos. Il s’agit de :

 Georgette ! de Farida Belghoul
 En attendant le bonheur, de Maryse Condé
 L’Amour, la fantasia, d’Assia Djebar
 Tu t’appelleras Tanga, de Calixthe Beyala

Le livre se compose de cinq parties, le premier servant à mettre « en question » la Francophonie ; les quatre autres consacrés chacun à l’un des quatre roman avec, pour point de départ de l’étude ou plutôt fil directeur, la question d’identité. L’auteur met en lumière ce qui unit ces écrivaines malgré l’appartenance à des horizons culturels différents, aussi bien que ce qui les distingue les unes des autres. FERNANDES analyse leur écriture, en décèle les motifs, aussi bien thématiques (la quête du bonheur féminin par exemple) que linguistiques (par exemple la métaphore de la guerre au cœur de l’œuvre d’Assia Djebar).
Enfin, disons pour conclure que non seulement Martine Fernandes nous fait entrer dans l’intimité des textes de ces quatre écrivaines, mais encore son ouvrage permet de se faire une idée de la littérature féminine africaine, de la littérature francophone en général.

Liss KIHINDOU.

 1.Les Ecrivaines francophones en liberté, p. 274.
 2.Idem, p. 21.

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