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Promouvoir les langues locales dans l’enseignement

Propos recueillis par Blanchard Alice

Madame Marie Chatry-Komarek a été invitée cette année au Salon Africain du livre. Elle a participé au débat sur : « Langues et éducations » en compagnie d’Alain Ricard (France) et Ousmane Diara (Mali). M. C-Komarek travaille depuis une trentaine d’année dans des projets de rédaction de manuels scolaires en langues locales, notamment dans les pays du Sahel. Ces projets sont réalisés en lien avec la Fondation allemande pour le développement International (DES).

Blanchard Alice  : Madame Komarek, je voudrais vous demander de nous parler de votre travail. Pourquoi vous passionnez-vous pour l’apprentissage des langues ?

Marie Chatry-Komarek  : Je ne sais pas par où commencer. J’ai été monolingue pendant très longtemps et j’étais professeur. Peu à peu, je me suis passionnée pour l’introduction de l’écrit et de la lecture. Cela a duré longtemps. Et puis de plus en plus j’ai vécu dans des milieux multilingues et j’ai compris l’importance de distinguer entre une langue familière, c’est souvent la langue maternelle, et l’importance aussi quand même d’apprendre la seconde langue qui est la langue officielle du pays. En Afrique en tout cas c’est comme ça. Je travaille donc depuis 30 ans pour des enfants qui vivent dans des milieux multilingues et je ce que je voudrais bien avec mes collègues, c’est contribuer à les mettre à l’aise à l’oral et à l’écrit dans deux langues. Leur langue de la maison, ils en ont parfois plusieurs, et la langue qui leur permettra une mobilité sociale, c’est-à-dire, le français ou l’anglais ou l’allemand, ou le portugais.

BA  : Dans la discussion que nous avons eue, vous m’avez clairement signifié que votre combat concerne la promotion du multilinguisme et pas celle des langues africaines, qu’est-ce que cela veut dire ?

MCK  : Je tiens bien à le souligner, je ne me sens pas responsable pour la vie des langues africaines, ne n’est pas mon combat. Je sais que l’Unesco le fait, d’autres le font, mais pas moi. Pour moi la langue quelle qu’elle soit, une langue prestigieuse ou pas, sert à communiquer. Donc, je ne veux pas qu’on m’enferme dans une problématique de langue nationale. Mon combat c’est l’écrit, je veux l’écrit en deux langues, je me sers donc de ces magnifiques langues africaines comme du meilleur moyen pour faire entrer un enfant dans l’écrit. Et quand il y est, je sais très bien qu’il a besoin, et toute la société le lui dit d’ailleurs, pour sa mobilité sociale et professionnelle d’apprendre une autre langue. Mon combat est pédagogique et social, je suis pour l’écrit en Afrique pour une éducation démocratique dans la langue que l’enfant comprend parce que pour moi, comprendre est la condition pour apprendre. Aussi longtemps que je ne comprends pas, je n’apprends pas.

BA  : Pouvez-vous nous parler de votre travail et de votre équipe ? Dans quels pays d’Afrique avez-vous déjà mené votre expérience ?

MCK  : Au cours du temps, je me suis professionnalisée dans ce domaine. Il est important de comprendre que les organismes internationaux, certains d’entre eux, de même que certains Etats ayant reconnu les avantages de l’enseignement bilingue soutiennent des projets. Alors, certains instituts en Allemagne [1], de même que l’UE dans de nombreux projets, je prends deux exemples, mais il y en a d’autres, cherchent donc des gens comme moi qui parlent français ou anglais et qui soient capables de former des multiplicateurs. On fait donc appel à moi lorsqu’on a un projet et qu’on ne sait pas par où commencer. Mais j’ai toujours travaillé jusqu’ici dans un cadre officiel. Je reconnais très bien l’importance des ONG, mais jusqu’à maintenant, mon travail a toujours été dans un cadre assez officiel. C’est pour cela que j’ai dû me professionnaliser le plus possible. Je peux vous donner un exemple, il est hors de question qu’aujourd’hui je travaille comme je l’ai fait au début de ma carrière, de travailler pour une langue. Ce qu’on me demande aujourd’hui c’est par exemple, nous avons cinq langues, pouvez-vous Madame nous faire gagner du temps et nous former des locuteurs des cinq langues. Nous former pour qu’on puisse faire des livres bilingues. Par exemple au Niger, on me dit que là nous avons des maîtres qui travaillent sur le terrain et des maîtres qui sont dans les écoles normales, dites-nous comment faire pour qu’on ne se concentre pas sur une langue, mais pour plusieurs langues à la fois. C’est plus économique, je dirais.

BA  : Vous ne parlez pas toutes ces langues africaines, comment faites-vous alors pour aider à écrire ces manuels scolaires ?

MCK  : Il faut bien faire la différence entre quelqu’un qui parle une langue et là nous sommes des millions à parler l’anglais, mais on n’est pas des millions à écrire des manuels scolaires. Et c’est un petit peu la même chose, mais vous ne pouvez pas savoir l’incroyable facilité que mes collègues ont, une fois qu’ils sont initiés à cette problématique, c’est une chose qui s’apprend. J’ai publié là-dessus, « Des manuels scolaires sur mesure » (voir la liste de ses ouvrages dans ce lien : http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs&obj=artiste&no=3556 )
. A l’époque, je n’ai pas parlé des langues nationales, j’ai écris ces livres de manière générale. J’ai considéré que le manuel scolaire, c’est la base. Aujourd’hui, j’ai beaucoup plus diversifié mon approche. C’est à la fois très facile et très complexe, mais une fois que vous êtes dans la problématique je peux vous assurer que des chemins s’ouvrent devant vous. Vous trouvez dans la littérature actuellement des indications comme l’ADEA qui dépend de l’Unesco et qui est l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique http://www.adeanet.org/fr_index.html . Elle a fait de l’éducation bilingue son cheval de bataille. J’étais à leur rencontre en 2005 au Gabon. Ce que j’essaie de vous dire c’est que ça se spécialise de plus en plus, ça se professionnalise pour trouver des gens qui prêtent l’oreille. On commence petit à petit à faire tache d’huile.

BA  : Racontez-nous comment ça se passe lorsqu’un Etat demande votre concours pour constituer des manuels scolaires comme celui que vous avez entre vos mains ? Quel est le cheminement type ?

MCK  : Le cheminement que j’ai connu jusqu’à présent a été au niveau politique. Vous avez un contact entre un ministre de l’éducation ou son représentant et les donateurs. On discute là-dessus, on dit voilà, nous ressentons le besoin de formation dans le domaine par exemple de la publication en langue nationale ou dans l’enseignement bilingue est-ce que vous pouvez nous aider ? Et vous avez, les allemands, on en fait partie jusqu’à présent, l’UE en fait partie aussi, ça culmine normalement dans des accords bilatéraux et puis vous avez des gens qui s’occupent de ça de manière professionnelle. Pour ma part, il y avait toujours une personne dans le pays qui me permettait d’y aller, je m’arrangeais pour que ce soit une sorte de multiplicateur. Pendant longtemps je me suis dit que si je leur apprends comment faire un manuel scolaire, professionnel, les manuels scolaires, après tout c’est la matérialisation des programmes, s’ils font de bons manuels scolaires, je pense qu’il y aura là des témoins. Or aujourd’hui je pense qu’il n’y a pas assez. Il faut beaucoup de gens et beaucoup de contacts pour arriver quand même à quelque chose de bonne qualité. Il faut commencer et je pense que la meilleure chose, c’est l’emploi systématique d’une langue que l’enfant peut comprendre à l’école. Ecrire devant lui dans cette langue et commenter pendant qu’on écrit, c’est le faire entrer dans l’écrit. C’est le faire lire et écrire dans sa langue, même s’il y a des fautes d’orthographe, ce n’est pas important au début, surtout dans les premières classes. Une fois que tout cela est bien assuré c’est là où on peut passer à la langue officielle.

BA  : Partant du thème du Salon Africain du livre cette année qui concerne la connaissance et la reconnaissance de l’Afrique, qu’apportent les langues dans cette reconnaissance ?

MCK  : Je vais vous raconter une petite histoire parce que j’adore raconter de petites histoires. Je me trouvais dans un pays sahélien et là nous travaillions sur un livre n° 2 dans ce pays là. Il y avait là une linguiste étrangère américaine qui connaissait très bien les langues. Elle m’a prise de côté et m’a dit : c’est abominable, c’est tellement sec, ennuyeux, c’est affreux ce qu’ils sont en train de faire. J’étais désespérée parce qu’on avait décidé entre nous des thèmes qu’on allait traiter et comment on allait les traiter. Au moment où cette dame me quitte, voilà une sahélienne qui arrive et me dit : il faut que je vous le dise, il faut que je vous le dise, vous ne pouvez pas savoir, c’est extraordinaire. C’est d’une beauté, toute notre culture est là, tout ce qui est sacré, nulle part on l’écrit, mais là on le retrouve, on le reconnaît dans nos livres. Ça va nous fasciner et en tout cas ça n’apparaît jamais dans les manuels scolaires en langue française.

BA  : Que pouvez dire aux congolais qui nous lisent sur votre combat pour apprendre les langues nationales à l’école et l’apprentissage d’autres langues ?

MCK  : J’ai de la difficulté à répondre à cette question parce que je ne voudrais pas forcer les gens. Je suis presque tentée de dire que je ne pourrai pas répondre à cette question. Je vais quand même essayer. Je crois que la démonstration est importante, j’ai vu des gens qui pleuraient de voir leurs enfants apprendre dans les deux langues (maternelle et officielle). L’important c’est aussi de commencer à la base, d’aller dans des écoles et voir les catastrophes humaines et pédagogiques qui s’y déroulent parfois et de réfléchir pour savoir pourquoi ces enfants après cinq ans de scolarité ne savent toujours pas ni lire , ni écrire en aucune langue d’ailleurs. Cependant, j’aimerais découvrir un mystère et je ne peux pas vous dire qu’est-ce qui fait que les africains que je rencontre, certains d’entre eux sont tellement encrés dans leur bilinguisme et insistent tellement sur leur authenticité, sur leur multiplicité, leur culture. Et pourquoi d’autres au contraire, trouvent leur identité dans le refus total, brutal de leurs langues et considèrent que ces langues sont quelque chose de secondaire. Je ne sais pas comment vous le dire. Je n’essaie plus de convaincre les gens, mais par la démonstration, j’essaie de leur donner, pas seulement des émotions, mais aussi du savoir. J’essaie de leur donner des armes, par exemple dans le livre [2]
que je viens d’écrire, je décris les résistances, j’analyse d’où viennent les résistances et je donne des réponses. Comme on dit, on peut amener un âne à l’eau, mais on ne peut pas l’obliger à boire. Nos convictions naissent de notre vie et des influences que nous avons subies. Je ne peux pas moi-même dire pourquoi je travaille pour la diversité des langues.

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