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Quand Jacques Chirac prêche le ghetto de l’art...

On le sait : la France a du mal à regarder son histoire coloniale en face. L’ancien colonisateur tente alors de multiplier des initiatives afin "d’apaiser" l’histoire. Etait-ce l’idée première de Jacques Chirac concernant l’art africain - disons les arts venus des continents autres que l’Europe ?
En effet, le Président français a décidé de laisser à la postérité sa marque, sa touche personnelle. Pour cela il a bien regardé, admiré et envié les grands travaux de Mitterrand (la fameuse Grande bibliothèque Mitterrand, la Pyramide du Louvre et l’Institut du Monde arabe). Il a dû se dire : "Ce veinard de président socialiste s’est taillé presque la part du lion ! Que me reste-t-il maintenant ?"

Dans le Courrier international du 20 au 26 avril Angelique Chrisafis revient sur la longue et patiente ambition du Président français. Depuis 1995, Chirac a commencé à réfléchir à un musée qui abriterait les objets d’art africain. C’est chose faite puisque dans peu de temps, il devrait "léguer" à la nation française son empreinte historique en rassemblant au musée du Quai Branly les 300.000 objets "qu’aventuriers et chercheurs ont rapportés en France au cours du 19e et du 20e siècle".
Certains de ces objets proviennent du musée des Arts africains et océaniens - qui vient de fermer - et seront donc transférés dans ce musée du Quai Branly (bientôt musée Chirac ?) Ce haut lieu "chiraquien" consacrera ainsi plus de 7000m2 à l’exposition permanente d’un choix d’œuvres de référence sur les arts et cultures d’Afrique, des Amériques, d’Asie et d’Océanie, choix effectué dans ses collections (5000m2).

C’était sans compter avec la polémique ! Un historien, et non des moindres, crie en effet au ghetto de l’art. Il s’agit de Gilles Manceron, par ailleurs vice-président de la Ligue française des droits de l’homme. Il est choqué de constater qu’on a prévu une petite forêt autour du musée du Quai Branly ! Question de coller aux couleurs locales de ces continents ? En tout cas l’historien s’en inquiète et y voit un regain des préjugés du temps béni des colonies :

Maquette du musée

"Nombre d’historiens pensent que la France n’a pas encore abordé la véritable histoire de son époque coloniale. Cette idée de jungle ou d’une forêt qui enserre le musée, un lieu où l’on viendra visiter le continent noir pose problème. C’est comme si ces autres continents étaient toujours sauvages, exubérants, dangereux, et donc primitifs"

Mais pourquoi d’ailleurs sépare-t-on de la sorte les arts ? s’étonne le même historien. Il a son explication, bien entendu :

"Ces vieux clichés sont monnaie courante en France. Pourquoi ne pas insérer ces oeuvres dans l’histoire mondiale de l’art, les montrer au Louvre, par exemple, dans le même espace que l’art européen ? En fait tout ce projet repose sur une vision colonialiste du monde : l’Europe est civilisée, les autres continents, non"

L’historien propose la création d’un musée, un vrai, celui qui raconterait sans circonvolutions l’histoire du colonialisme français. Certes, une telle idée serait une vraie révolution. D’autant que chez les Belges - moins coincés sur la question si on songe à l’exposition de l’année dernière à Bruxelles sur la colonisation au Congo-Belge - un tel musée existe même si, ainsi que nous l’avons souligné ici dans un article relatant cette exposition de Bruxelles, les brochures qu’on distribuait alors aux visiteurs laissaient pantois tout ressortissant d’une ancienne colonie... Mais c’était un pas courageux de la part des Belges, d’autant que des chercheurs congolais (ex-Zaïre) étaient associés à l’opération...

Gageons que la France ne serait prête à construire un musée de son histoire coloniale qu’à condition que cette histoire montre les aspects positifs de la colonisation...
Gilles Manceron, toujours cité dans le Courrier international termine d’ailleurs sur un constat alarmant :
"Des enquêtes réalisées très récemment montrent que, pour une majorité de la population, le colonialisme a été positif. C’est tout simplement parce que le discours officiel n’a jamais dit autre chose".

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