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Que se passe-t-il à Abidjan ?

On parlerait de drôle de guerre en Côte d’Ivoire si la situation n’était pas tragique. Il y a en effet quelque chose d’étrange à Abidjan. Alors que dès vendredi 31 mars la presse internationale (dont LCI) nous annonce l’action imminente de la « force invisible  » pro-Ouattara contre le palais présidentiel de Cocody où se retranche Laurent Koudou Gbagbo, quatre jours plus tard, changement de ton : Laurent Koudou Gbagbo qu’on disait en fuite est toujours retranché dans son palais et les forces invisibles de Ouattara, devenues visibles, rencontrent une farouche résistance de la division spéciale fidèle au « boulanger » (entendez Laurent Koudou Gbagbo).

Volte-face

Le général Philippe Mangou, chef d’Etat-major qu’on disait à l’Ambassade d’Afrique du Sud, où il avait trouvé refuge avec femme et enfants, est aujourd’hui signalé aux côtés de son chef Laurent Koudou Gbagbo, certainement, pour reprendre du service.

Idem pour le (toujours jeune) chef des patriotes, Blé Goudé. On le disait invisible à Abidjan. « Coucou me revoilà !  » annonce-t-il ce dimanche 3 avril à la Télévision ivoirienne par le biais de son porte-parole. En plus d’avoir le don d’invisibilité et d’ubiquité à Abidjan, manifestement, les Ivoiriens circulent beaucoup et dans tous les sens sur ce champ de bataille que sont devenus Abidjan et la Côte d’Ivoire.

La bataille de la Télévision

Ce lundi 4 avril 2011, les « rebelles » sont signalés à 27 kms d’Abidjan. Pourtant deux jours avant ils étaient à 150 m du palais où se trouve leur adversaire Laurent Koudou Gbagbo. Dans le même temps LCI annonce que la Télévision ivoirienne était tombée entre les mains des « rebelles  » devenues "Forces Républicaines". (Après tout, Gbagbo, battu aux dernières élections n’est pas moins "rebelle" que Ouattara ).

Ce dimanche 3 avril cette même Télévision continue tranquillement d’émettre des programmes ordinaires (des sketches) comme si elle n’était jamais tombée aux mains de l’ennemi. Comment expliquer qu’un bâtiment qui a été l’enjeu d’une farouche bataille ait encore sa technologie intacte ? On croit rêver.

« On nous raconte n’importe quoi ! » chantait Tonton David. Ca semble le cas en ce moment.

Ville cruelle ou havre de paix ?

Ville de 4 millions d’habitants, Abidjan s’inscrit dans une représentation géographique fantasmagorique. Des Ivoiriens de France qui appellent leurs parents à Abidjan assurent que tout va bien dans la ville. "Circulez, il n’y a rien à voir".

En tout cas les Abidjanais de Marcory, Yopougon, Angré vaquent tranquillement à leurs occupations. "Quelques boutiques fermées, le prix des denrées de base qui montent, c’est tout » disent sur un ton badin les habitants de ces quartiers situés dans une ville qu’on dit assiégée par les rebelles.

En comparaison, la guerre civile de Brazzaville en 1997 ne suscitait pas la même sérénité des populations. Au contraire, Brazza la verte devenue "Brazza la rouge" fut le théâtre tragique de populations qui s’engouffraient dans les forêts les plus proches ou qui traversaient le fleuve pour trouver refuge en RDC. Lissouba et Sassou, devenus fous à lier, faisaient pleuvoir des obus qui ne laissaient pas aux populations le loisir de traîner dans le coin. Certaines bombes crachées par les orgues de Staline depuis Brazzaville semaient également la panique à Kinshasa, faisant des morts.

Rien de ça à Abidjan. Ca tire, mais tout va bien. A Roissy, il n’est pas rare de voir des Ivoiriens prendre leur vol pour Abidjan. « Je vais en vacances  » dit une dame, sourire aux lèvres. Elle balaie d’un revers de la main tous les propos de ceux qui la mettent en garde. « C’est de la propagande française tout ça. Je connais mon pays la Côte d’Ivoire. Il n’y a rien de grave là-bas »

« On entend des tirs du côté de Cocody » raconte ironiquement au téléphone un habitant de Marcory voulant faire passer le message subliminal selon lequel « les télévisons étrangères vous trompent. Tout va bien ici. Il n’y a pas le feu au lac !  ».

C’est surréaliste tout ça.

Signes mystiques

C’est d’autant plus surréaliste que le mysticisme ajoute son grain de sel. En effet, ville très chrétienne (toutes tendances confondues), Abidjan donnerait à voir des signes magiques dans son ciel. A ce jour, depuis le conflit, on a signalé cinq apparitions du Seigneur dans le firmament ivoirien. L’autre jour, une femme bété qui était en train de faire sa sauce graine a, soudain, vu le cœur de Jésus imprimé à la surface de sa marmite. Les caméras sont venues. Elles ont filmé. On ne sait pas si le documentaire a été montré à la télé nationale. Une autre fois, une jeune fille musulmane a vu l’image de la Vierge à côté d’une paroisse de Marcory. Qu’une fille d’Allah ait des visions à la Bernadette Soubrirou, c’est la preuve que la première religion des africains est le syncrétisme.

Une autre fois, on a vu les images d’un Laurent Gbagbo, tête en l’air, en train de scruter le ciel. De quoi s’agissait-il ? Des fidèles lui indiquaient une incroyable scène : le disque solaire tournant autour de la lune, en plein jour. Plus brillant que ça comme signe divin, on ne peut trouver mieux.

Ne parlons même pas de la foudre qui est tombée sur les rebelles alors que ces derniers marchaient dans Abidjan. "C’est la colère de Dieu contre les mécréants du Nord" disent les exégèses avisés.

Ca signifie quoi, toute cette métaphysique ? Selon les Ivoiriens pro-Gbagbo, c’est la preuve que Dieu est aux côtés de leur leader. L’Eternel a choisi la Côte d’Ivoire, pays béni, pour éclairer toute l’Afrique. « La Côte d’Ivoire sera le tombeau des rebelles  » prédit Jacques Vergès. Traduction : Laurent Gbagbo va triompher de Ouattara.

Les apparences sont trompeuses en dépit du fait que ce lundi 4 avril, Gbagbo soit au pied du mur. "On peut perdre une bataille et gagner une guerre" (De Gaulle)

Stratégies militaires

Oui mais ce n’est pas en faisant défection que certains officiers donneront la victoire à leur poulain.

« Mais si ! Le général Philippe Mangou a disparu de la circulation par stratégie  » analyse une Ivoirienne proche de Laurent Koudou Gbagbo. Autrement dit, P. Mangou a fait « le mort » pour tromper l’ennemi de façon à l’attirer dans Abidjan pour ensuite refermer l’étau sur lui. Un piège digne des Grecs avec le cheval de Troie. Sauf que le génial général P. Mangou a conçu sa stratégie sur le mode du cheval de Troie à l’envers !

« La Côte d’Ivoire au bord de la guerre civile  » titre LCI ce lundi 4 avril 2011.

On a déjà dit ça vendredi 31 mars 2011. « C’est une question d’heure » pronostiquaient les journalistes unanimes. Ce lundi, autre son de cloche. Gbago résiste. Le boulanger semble un dur à cuir. Koudou est un vrai Nkourou yaka (pour reprendre une expression bien de chez nous ).

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