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Rentrée littéraire de janvier 2007 : anges, Adam, démons, cannibalisme, léopard, reptile et autres contes de nuit à cueillir !

Après la rentrée littéraire de septembre, Monsieur de La Palice dirait qu’il y a celle de janvier, elle aussi de plus en plus embouteillée. Généralement les éditeurs choisissent ou proposent la rentrée de janvier pour éviter qu’un livre "littéraire" ne passe inaperçu. Cette "loi" devient de moins en moins efficace, certains romans de janvier peuvent avoir un destin plus long, s’immiscer, s’imposer et déjouer la guerre programmée des parutions d’une rentrée de Septembre - une période, semble-t-il, trop monopolisée par les sprinters et les concurrents au maillot à pois des prix littéraires d’automne, au point que notre dynamique et inimitable Frédéric Beigbeder en rigole dans sa chronique mensuelle de Lire (Décembre-Janvier) en ces termes :

"Certains sont des habitués : Marc Lambron, Philippe Labro, Jean-Pierre Milovanoff, Alain Fleischer, Patrick Poivre d’Arvor, Bernard-Henri Lévy... Dès qu’ils publient en septembre, on sait qu’ils rateront le Goncourt en novembre".

1."...donc mon poulain je le reprogramme en janvier ou février 2007"

Concernant cette rentrée de septembre, Bernard Magnier, éditeur chez Actes Sud (il sort Le cœur des enfants léopards, premier roman du Congolais Wilfried N’Sondé), m’avoua : « C’est un livre auquel je tiens particulièrement, et puis il y a déjà pas mal de livres d’auteurs francophones d’Afrique noire qui sortiront en septembre 2006, donc mon poulain je le reprogramme en janvier ou février 2007 afin de lui donner plus de chances dans la visibilité qui n’est jamais gagnée d’avance, surtout en septembre. »

W. N’Sondé

Et nous y sommes, le livre que j’ai reçu en épreuves sera en librairie le mois prochain. L’auteur congolais dit la condition de l’Autre avec une sensibilité qui ouvre des portes à la littérature des migrations qui a parfois donné de remarquables romans d’apprentissage chez les auteurs africains de ces dernières années. La migration est presque le passage obligé du jeune auteur d’Afrique noire francophone (Tout ce bleu, le chef d’oeuvre de Gaston-Paul Effa, ou L’Impasse, livre sublime de Daniel Biyaoula), mais certains reprennent la thématique bien plus tard, la peaufine dans leur oeuvre (relisons par exemple Transit de Waberi..., et on sait que cet auteur est un éternel nomade !)

Wilfried N’Sondé nous donne d’abord et avant tout un texte d’écrivain à ranger dans la fratrie de la "littérature monde" que nous appelons depuis de tous nos voeux et qui sera "LE sujet" de la prochaine édition Etonnants Voyageurs de Saint-Malo (du 26 au 28 mai 2007)...

Dans Le cœur des enfants léopards, c’est un jeune homme qui vient d’être largué par son premier amour. Sous l’emprise de l’ivresse, il va commettre l’irréparable qui le conduit en garde à vue, lieu-dit pour dérouler son bruit et sa fureur. C’est donc à travers un dialogue intérieur, une mémoire que résonnent la voix et les paraboles des ancêtres qui lui ont appris le sens du partage, de l’honneur et des héritages...

2. Nous sommes 574 sur la ligne de départ, et alors ?

Au total 574 romans, selon l’hebdomadaire Livres Hebdo, sortiront entre janvier et mars et devraient vivre « dans l’ombre des élections ». On parie sur l’hégémonie d’Anges et démons de Dan Brown (JC Lattès) ressorti en poche, ou encore du roman-événement de Thomas Harris, Hannibal Lecter, les origines du mal (chez Albin Michel).

Dans ce dernier cas, Livres Hebdo rajoute que l’éditeur anglais avait pris toutes les précautions de marketing en offrant dans les gares du Royaume uni des friandises en forme de pouces, d’index ou d’orteils afin de rappeler le passe-temps d’Hannibal, le fameux tueur qui nous a tous mis dans la psychose avec le film culte Le Silence des agneaux. Thomas Harris créa donc son personnage, sorte de cannibale qui a marqué l’histoire du cinéma mondial.
Dans le roman qui paraît chez Albin Michel, nous assistons à la naissance de ce cannibale et apprenons d’où lui vient cet esprit du mal... Le film suivra le mois prochain (en France).

D’autres grandes signatures sont attendues comme en tout bon mois de janvier :Paule Constant, Marie N’Diaye, toutes deux chez Gallimard, collection La Blanche ; Jean-Paul Dubois chez l’Olivier ou Eric Holder et Arturo Pérez-Reverte au Seuil, Irène Frain (chez Fayard), Pierre Combescot et Jacques Chessex (chez Grasset) ou l’écrivain que j’admire beaucoup, Christian Gailly qui publie Les Oubliés aux Editions de Minuit...
L’interrogation vient sans doute de Jean-Christophe Rufin qui fait une soudaine infidélité à Gallimard (chez qui il a pourtant obtenu le Goncourt avec Rouge Brésil en 2001). Il publie cette fois chez un autre éditeur, Flammarion, Le parfum d’Adam, un roman dans lequel, nous promet l’editeur, "l’auteur explore le monde de l’écologie radicale constitutant selon le FBI la deuxième source de terrorisme mondial..." George Bush aura-t-il la patience d’attendre la traduction anglaise de notre Rufin, par ailleurs médecin du monde ?

3. Et puis, voyez-vous, il y a mes propres amis qu’il faut lire...

S. Bachi

Il se trouve aussi que beaucoup de mes amis sortent leur livre ce mois ou le mois prochain. Je vous propose de les lire - j’en suis encore à lire certains par épreuves ! Parmi tous ces amis, un dont le talent n’est plus à louer, c’est l’Algérien Salim Bachi. Un électron très libre qui, depuis longtemps, bâtit une ville dans sa prose, touche des sujets brûlants sans prendre des gants - par exemple le roman « Tuez-les tous ! » dans lequel nous entrions tous, envoûtés, dans le for intérieur d’un kamikaze "qui refléchit", chargé avec d’autres de faire écraser leur avion sur les fameuses tours jumelles de New York...
Notre Salim Bachi « prend une respiration » et publie un recueil de nouvelles, « Les Douze contes de nuits » (Gallimard, La Blanche, 192 pages, 15,90 euros). C’est un livre à part entière (et non entièrement à part), livre dont la cohérence des nouvelles offre un autre regard de l’Algérie depuis la guerre d’indépendance jusqu’à nos jours.

T. Ananissoh

Il faudra aussi, et surtout, ne pas rater le deuxième roman du notre ami le Togolais Théo Ananissoh qui, avec patience et sérénité, suit son chemin et nous donne pour lecture Un reptile par habitant (Gallimard-Continents noirs, 112 pages, 11,90 euros). Par contre, il ne vous est pas interdit d’acheter deux romans par habitant, en rajoutant au livre de Théo celui de la Gabonaise Bessora qui vient, du coup, renforcer l’écurie Continents noirs de Gallimard après un bref passage aux Editions Denoël où elle n’aura publié finalement qu’un seul livre, Petroleum. Un très bon roman injustement passé inaperçu avec un sujet pourtant d’actualité et une écriture étincellante.

Bessora

Bessora - qu’on qualifia jadis de petite cousine de Queneau pour sa verve et son regard social - nous enchante toujours avec ses titres 53 cm, Deux bébés et l’addition, etc). Cette fois c’est une offre claire et nette : Cueillez-moi jolis messieurs (304 pages, 18,50 euros), tel est l’appel, pardon, le titre de ce roman à cueillir à partir du 15 janvier...
PS : Les jolies dames aussi pourront cueillir le roman de Bessora...

Ci-dessous, un extrait de ce dernier roman de Bessora, pour vous donner le ton de cette écriture :


Elle a dû être jolie, Rose. Elle était peut-être mignonne. Aujourd’hui, c’est une fleur en bouton flétri, au bout d’une tige épineuse.
Assise en face de vous, elle corrige ses copies. Elle n’a pas connu de printemps, Rose. Vous ne connaîtrez pas d’hiver.
Elle a peut-être trente ans, Rose, prématurément fanée par ses heures supplémentaires, abîmée par la jeunesse puante étalée sans pudeur sur son petit bureau. À son âge, vous vous faniez déjà, abîmée par le joli vernis de votre mariage. Vous avez cru connaître une seconde floraison, avec votre amant.
Benoît. Vous ne l’avez fréquenté que deux mois.
Il était chirurgien esthétique. Mais il n’y avait pas, c’est vrai, de quoi pavoiser. À l’époque pourtant, vous en faites tout un plat : c’est votre deuxième homme. Vous aurez eu deux hommes dans votre vie, vous qui vous étiez vouée au prince charmant. Un prince unique et du meilleur sang. Vous étiez une romantique. Vous vous croyiez promise à un destin d’exception. Il vous a fallu passer de l’autre côté de la quarantaine pour comprendre que vous n’étiez l’objet d’aucune élection. Et que votre vieille robe de princesse flouée sentait la naphtaline.
Vous ne l’avez pas laissée aux mites.

En son temps, vous la portez pour votre chirurgien tous les jeudis après-midi. Petite culotte prohibée bien sûr.
Le sexe de Benoît, donc. Rien de pénétrant.
Mais enfin ce sont des moments doux, sans sucre mais avec édulcorant, et parfois ils se corsent, mais sans trop de sel quand même, ni d’épices surtout, car il n’aime pas le poivre et vous supportez mal le piment.
Votre mari soutient la comparaison : dans un lit, ils se valent.
Même si Tijani, votre mari, ne vous a jamais proposé une réduction de vos grandes lèvres, trop hottentotes, paraît-il. Sinon, leurs sexes sont égaux devant vous. Vous nivelez par le bas. Ainsi, vous restez fidèle à Tijani. Du moins vous honorez la mémoire de votre mariage raté. Par respect pour lui, jouir point trop n’en faut.
Dans les bras tièdes de Benoît, vous avez l’intuition de plaisirs plus aboutis. D’autres hommes vous y élèveraient sans doute. Mais alors, il faudrait jauger Benoît et Tijani à leurs vraies valeurs. Vous qui vous êtes échinée à les hisser sur un piédestal, vous ne voulez pas qu’ils vacillent. Ils sont votre chef-d’œuvre. Que personne n’aille dire que votre art est médiocre.
Benoît. Il était si fade. C’était si facile. Vous soigniez votre liaison, clandestine car il était encore marié. Pas de préservatifs entre vous car évidemment non, rien ne pouvait vous atteindre. Benoît, votre amant secret, éjaculateur précoce, mais cajoleur. Pas le moindre signe de déficience immunitaire acquise.

© www.gallimard.fr 2007

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