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N.Afr-Asie

Sassou II : quel régime ?

(Nouvel Afrique-asie Fevrier 2002)

Un pouvoir partagé entre la "volonté de reconstruction" et des réflexes d’autrefois, un calendrier électoral laborieusement fixé, un procès qui tombe mal et des opposants exilés qui n’hésitent plus à envisager la reprise des hostilités armées. Tel est le décor au moment du démarrage d’un processus électoral, ultime étape dans la restauration de la paix et de la normalisation.

Rien n’est simple au Congo. A l’issue des deux récentes guerres qui ont opposé Denis Sassou Nguesso et les tenants de l’ancien régime (1997, puis de 1998 à 1999), une partie de la communauté internationale a voulu, d’une certaine manière -souvent par souci de pragmatisme -, donner toutes ses chances à la paix. Une paix dont le président Denis Sassou Nguesso, nonobstant les conditions de son retour au pouvoir, allait être à la fois l’artisan et le dépositaire. Cette volonté de croire à tout prix à la restauration de la paix reposait sur le concept du "moindre mal", c’est-à-dire que Sassou Nguesso, in fine, apparaissait comme le seul, parmi les protagonistes de la guerre, apte à redresser un pays détruit par des hostilités récurrentes entre les grands acteurs de la vie politique.

Treize ans d’expérience antérieure à la tête du Congo (1979-1992) ont, il faut le dire, façonné ce dirigeant politique, produit du monopartisme bureaucratique doublé d’un stratège militaire, et considéré comme "l’homme le plus renseigné du Congo". Cela étant, on pouvait aussi espérer que ce dirigeant conjugue ses qualités d’homme d’Etat avec les exigences démocratiques des temps actuels. Sassou II ne pouvait donc être la réplique du Sassou des années de dictature. D’ailleurs, la vie politique du pays depuis son retour au pouvoir présente tous les aspects d’une démocratie : multipartisme intégral, pluralité de l’information (presse écrite et radio particulièrement), parlement de transition multipartite... Nec plus ultra, une loi "révolutionnaire" sur la presse a été promulguée en décembre dernier, assouplissant ou annulant, comme on le voit peu ailleurs, les sanctions relatives aux délits de presse.

S’agissant du redressement effectif du pays, le régime actuel de Sassou II n’a évidemment rien de comparable avec son passé. En quelques mois seulement à l’issue de la guerre, les traces des violences ont pratiquement disparu dans la cité de Brazzaville, et la ville reconstruite à grande vitesse offre à ses habitants et au visiteur un visage agréable comme jamais auparavant. Reconstruction également des infrastructures de transports et de communication, réhabilitation des structures éducatives et de formation, mise en application des programmes d’assistance aux populations rurales, engagement de l’Etat à appliquer scrupuleusement les étapes de relance macro-économiques conclues avec les institutions financières de Bretton Woods et les partenaires multilatéraux. On fait donc mieux que de reconstruire un pays : on l’améliore. Les recettes du pétrole engrangées l’an dernier grâce à la hausse du cours auront permis ce "miracle" de la reconstruction en l’absence de toute aide extérieure. Une situation qui a fait dire aux Congolais les plus optimistes que "pour une fois, les dirigeants utilisent l’argent du pays pour le construire".

Hélas, peu à peu - cela fait quatre ans déjà que ce pouvoir est en place -, on a vu réapparaître, parallèlement aux faits positifs relevés, nombre de réflexes et de comportements qui viennent troubler ce tableau idyllique promis à un happy end de la reconstruction. Derrière l’image d’un pouvoir garant des libertés et de la sécurité se révèle un Etat extrêmement policier, en réalité obsédé par sa propre sécurité (privée), et consacrant l’essentiel de son énergie à imaginer les plans de secours garantissant sa survie, voire sa pérennité. Derrière les joies de la reconstruction - c’est-à-dire l’investissement des recettes nationales dans le circuit public - se dissimulent les indélicatesses financières qui, pour beaucoup, n’ont rien à envier à celles que l’on reprochait au pouvoir déchu de Pascal Lissouba. Derrière la volonté affichée par le pouvoir d’ouvrir le jeu politique à tous les acteurs désireux d’y participer, non seulement on peut douter, sans trop de mal, de l’égalité des moyens et donc des chances entre l’actuel pouvoir et ses opposants lors des prochaines échéances électorales, mais le pouvoir s’applique aussi à s’affranchir de ses amis associés aux dividendes de la victoire guerrière, en étouffant dans l’oeuf toute velléité de compétition au sein même du parti dominant.

Ainsi, à titre d’exemple, les ministres les plus influents - donc rivaux potentiels de Sassou Nguesso au sein de son propre parti - sont de plus en plus privés de moyens financiers ordinaires pour faire face aux dépenses relatives aux besoins de leurs ministères. Or l’argent est le nerf de la guerre. La confiance n’étant pas de mise entre Sassou Nguesso et ses "amis" qui l’on refait roi, tout ministre qui a le mauvais goût de peser trop lourd sur la scène politique du pays est sevré de ressources financières, car susceptible de les détourner à des fins de financement d’une compétition anti-Sassou. Ambiance... L’un des ces "grands" ministres, sous couvert de l’anonymat, nous a confié : "On retrouve tous les réflexes de Sassou de l’ancienne époque : un mélange d’obsession sécuritaire, de pouvoir personnel, et de Machiavel. On peut craindre que le pouvoir actuel se résume à cela, et seulement à cela".

C’est donc sous l’empire de cette forme de schizophrénie que le pouvoir, en principe soucieux de consolider la paix retrouvée et épris de dialogue et de réconciliation, a orchestré, fin décembre 2001, un procès de plus à l’encontre de l’ex-président Pascal Lissouba et certains de ses ex-comparses. Le pouvoir de Brazzaville qui semble ignorer l’importance du geste politique et de l’impact du calendrier dans l’action politique - le moment que l’on choisit pour agir - a donc décidé de maintenir ce procès qui intervenaient à quelque trois semaines seulement de la reprise au Congo du processus électoral, étape ultime et décisive du retour à une existence aussi "normale" que démocratique. Maladresse politique ou démonstration sans nuances d’un désir têtu d’en découdre avec l’adversaire et de le réduire à un exil définitif ? Voire de l’écarter de toute compétition politique sur le sol congolais contre l’actuel pouvoir ?

La Haute Cour de justice a donc prononcé le 28 décembre 2001 la condamnation par contumace de Lissouba à... trente ans de travaux forcés pour "crime de haute trahison". En clair, pour avoir bradé le pétrole congolais par un accord signé le 28 avril 1993 avec la société pétrolière américaine Oxy. Un contrat léonin qui a permis au pouvoir congolais sous la présidence de Pascal Lissouba d’engranger 150 millions de dollars, en contrepartie de 50 millions de barils de pétrole cédés à Oxy à 3 dollars le baril, au lieu du cours officiel qui était alors de 14 dollars. Un contrat délirant qui aurait permis à Pascal Lissouba, à un moment d’asphyxie financière, d’utiliser une partie - seulement une partie - de ces 150 millions de dollars pour payer les salaires des fonctionnaires, et aussi, précise la Haute Cour de justice pour "financer la campagne des élections législatives anticipées". Le restant de la somme ainsi empruntée aurait été absorbé dans un circuit privé. Aujourd’hui encore, ce contrat ayant été dénoncé, le Congo continue de rembourser la dette à la compagnie Oxy.

Les anciens ministres de Pascal Lissouba, Jacques Joachim Yhombi Opango (réfugié au Bénin), Benoît Koukébéné, Claude Antoine Da Costa et Nguila Moungounga Nkombo (en exil en France) ont chacun écopé de vingt ans de travaux forcés. Les cinq condamnés devront par ailleurs verser solidairement 194,329 milliards de F CFA de dommages et intérêts à la société Hydro Congo, et tous leurs comptes bancaires seront bloqués. La Haute Cour a par ailleurs ordonné à l’Etat congolais de récupérer un hôtel privé à Paris appartenant à Pascal Lissouba d’une valeur de 1,8 milliard de F CFA, qui avait été acquis avec les fonds publics lorsqu’il était à la tête du Congo (ce qu’il a lui-même affirmé, avec un naturel déroutant, lors d’une émission de télévision française). Enfin, un mandat d’arrêt international a été délivré contre les cinq hommes. Autant dire un jugement massif, hénaurme, dont les termes, s’ils ne sont jamais appliqués, ont tout au moins la vertu de décourager définitivement ces hommes de se rendre dans leur pays avant longtemps... Rappelons tout de même que Pascal Lissouba avait déjà été condamné par contumace en 1999 à vingt ans de réclusion pour "complot visant à assassiner son successeur Sassou Nguesso", après avoir été piteusement vaincu à l’issue de la guerre civile de 1997 et davantage encore réduit à l’exil (à Londres) après la fin des hostilités en décembre 1999.

Loin de nous l’idée de défendre l’improbable probité de Pascal Lissouba et de ses lieutenants. En fait, une question se pose au moment et à l’issue de ce procès : était-il seulement nécessaire maintenant ? Même si les malversations - des plus écoeurantes aux plus meurtrières - commises par le régime de Pascal Lissouba constituent un fait reconnu et qui a largement édifié les Congolais - "Plus jamais ça", espère-t-on -, cette question se pose, en dehors des arguments procéduriers et d’un juridisme obtus, mais en tenant compte de l’histoire de ce pays et des urgences politiques de l’heure, dictées par la nature et les conséquences des confrontations violentes que l’on y a connues ces dernières années. Sans plaider pour une amnistie systématique dont les tristes épisodes de l’histoire de ce pays ont souvent souligné la vacuité, il s’agit de se demander s’il n’était pas préférable - au nom d’une volonté politique sans cesse réaffirmée - d’au moins surseoir, en cette période, à toute initiative politique et judiciaire porteuse de signaux contraires à l’image d’apaisement et de réconciliation que le Congo tente de se donner - avec succès parfois - depuis deux ans. A moins que l’histoire que l’actuel pouvoir est en train d’écrire ne soit pas la même que celle souhaitée par les plus optimistes.

Comme l’histoire n’est jamais simple, c’est durant la même période de ce procès que l’accusé Pascal Lissouba a menacé, depuis son exil londonien, de recourir de nouveau aux armes si le processus électoral en cours n’offrait pas toutes les garanties de transparence. Après avoir raté, là, une nouvelle occasion de se taire, lui qui espérait revenir dans son pays pour tenter sa chance aux futures élections, est désormais fixé sur son sort. Idem pour son dernier et éphémère Premier ministre Bernard Kolelas, ancien maire de Brazzaville, exilé en Côte-d’Ivoire depuis la défaite militaire du régime Lissouba, et qui porte le fardeau d’une condamnation à mort.

"Il ne sera permis à personne d’empêcher le souverain primaire de s’exprimer librement ; il ne sera permis à personne de répéter les errements du passé, car le peuple congolais a trop souffert... Lissouba et Kolelas ont battu les records en coups d’Etat. Peut-on absolument regretter l’absence de ces deux gros poisons ?". Propos fermes, fin décembre 2001, de François Ibovi, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Propos d’autant plus symptomatiques que, de mémoire de Congolais, chaque rendez-vous électoral a toujours été un moment porteur de tous les dangers. Un moment-test pour le pays.

Référendum : échec au boycott ?

Le 20 janvier, les Congolais ont donc retrouvé le chemin des urnes. Pour se prononcer, par "oui" ou "non" sur une nouvelle Constitution. Selon les chiffres qui nous sont parvenus au moment où nous bouclons cette édition, la participation aurait frôlé les 75%, et le "oui" l’emporterait à près de 80%. Si ces chiffres sont confirmés, cette "victoire" du "oui" dépasserait les prévisions des plus optimistes des partisans du vote positif. En tout cas, le calme qui a régné - au-delà de quelques ratés techniques finalement mineurs - durant le scrutin, et la mobilisation visible des électeurs ont agi comme un désaveu envers ceux qui ont appelé au boycott de ce scrutin. L’ex-président Pascal Lissouba et son dernier Premier ministre Bernard Kolelas (tous deux en exil) avaient fermement condamné cette opération électorale. Idem pour une dizaine de partis politiques, qui ont fustigé ce projet de Constitution "aux relents monarchiques", leur principal argument étant qu’elle donne "des pouvoirs accrus" au président de la République. Une attitude qui en dit long sur l’état d’esprit d’une opposition qui se défie déjà des prochains scrutins - présidentiel et législatif - considérés d’ores et déjà comme "une farce" destinée à confectionner "une légitimité usurpée à Sassou Nguesso". On retiendra donc du référendum du 20 janvier la mobilisation des électeurs : près de 85 %, dit-on pour la région du Nord (région d’origine du président Sassou Nguesso) ; tout de même 65% dans la région du Niari (de l’ex-président Lissouba) ; enfin, 75% dans le Pool (région de Bernard Kolelas), toujours selon les chiffres non définitifs communiqués par les bureaux de dépouillement de Brazzaville à l’heure où nous mettons sous presse. En tout cas, les opérations de vote se sont déroulées dans un calme remarquable. Peut-être l’élément le plus important pour ce début de la reprise au Congo d’un processus électoral.

Malaise à la SNPC

Le Fonds monétaire international (FMI) semble peu apprécier les méthodes de gestion de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), créée en 1998 afin d’assurer pour le compte de l’Etat la commercialisation sur le marché international de 20 % de la production pétrolière, le (gros) reste étant commercialisé directement par une dizaine de compagnies dont Elf-Congo, filiale de TotalFinaElf, et Agip-Congo affiliée à l’italienne ENA. Le FMI, par la voix de Philippe Beaugrand, chef du département Afrique, a annoncé un audit de la SNPC, réclamé par l’institution financière et accepté par les autorités congolaises. But de l’audit : "Faire la lumière sur les performances de la SNPC et la gestion des fonds générés par la commercialisation de la part du brut du Congo". Plusieurs fois, ces derniers mois, le FMI a reproché à la SNPC "un manque de transparence dans sa gestion". Pas content du tout, le directeur général de la société, Bruno Itoua, estime que si "la SNPC n’est pas du tout opposée à cet audit", il est en droit de s’étonner toutefois à propos d’une campagne de dénigrement orchestrée contre la société dont il a la charge. D’autant que les sociétés pétrolières privées bénéficient, comparativement à la SNPC, de davantage de flexibilité et de souplesse quant à leurs obligations vis-à-vis de l’Etat et du Trésor public. En tout cas, pour M. Itoua, "avant cet audit, la SNPC doit elle-même être capable d’arrêter ses comptes, de les faire certifier. Il est souhaitable que l’on fasse d’abord une espèce de diagnostic du fonctionnement de la société, en préconisant des mesures pour améliorer les résultats. C’est la position du conseil d’administration...". Des conditions pas encore réunies à ce jour. La SNPC fait de la résistance.

On peut s’étonner de ce que le FMI soumette une société nationale à de telles contraintes, dans un pays souverain. Illustration de la soumission des pays faibles aux plans d’ajustement structurel qui, mécaniquement, les amènent à céder aux institutions internationales telles que le FMI la gestion de pans entiers de leur espace de souveraineté.

F.L.


Agenda électoral

Le calendrier électoral a enfin été arrêté le 17 décembre dernier, confirmant, dans un premier temps, le report du référendum sur le nouveau projet de Constitution que le gouvernement avait tenu coûte que coûte à organiser avant fin 2001. A l’impossible, nul n’est donc tenu, et le calendrier définitif se présente comme suit :

 20 janvier 2002 : référendum sur le projet de Constitution
 10 mars : premier tour de l’élection présidentielle
 7 avril : deuxième tour de la présidentielle
 12 mai : premier tour des législatives
 9 juin : deuxième tour des législatives
 30 juin : élections sénatoriales.

Par Francis laloupo

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