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Soutenance de thèse de philosophie sur la mondialisation par Yves Kounoungous

La mondialisation a fait l’objet d’un rude questionnement philosophique à l’occasion d’une thèse de doctorat défendue par le congolais Yves Kounoungous à l’Université de Nice/Sophia-Antipolis ce vendredi 21 novembre 2008. Sujet de la thèse : « Les approches philosophiques de la mondialisation : présentation – évaluation. » Faisaient partie du jury, les professeurs Jean-Claude Bourdin (président), André Tozel (directeur), Grégoire Biyogo , Robert Charvin (excusé).

Pour l’auteur, « les philosophies de la mondialisation véhiculent et secrètent diverses approches d’ici (Centre) et d’ailleurs (Périphérie) qui ne se dévoilent pour autant pas facilement. Qu’en est-il de la perception de la mondialisation auprès des philosophes d’origine africaine ? Les remous économiques, sociaux, politiques, culturels occasionnés par la mondialisation bienfaitrice devraient permettre aux philosophes d’origine africaine de dégager de nouvelles perspectives d’émancipation afin de d’endiguer ce capitalisme ultralibéral, de le traquer jusque dans ses nouveaux masques de domination et d’atteindre son cheval de Troie : la mondialisation. »

En résumé : La mondialisation n’est rien moins qu’une nouvelle forme achevée du capitalisme (qui plus est sauvage), forme suprême de l’impérialisme ( impérialisme de l’impérialisme) dont l’Afrique fait une fois de plus les frais.

« Mais la mondialisation est-elle ou non un « objet philosophique » ? » questionnera le professeur Grégoire Biyogo, conscient de la double casquette du candidat : philosophe et intellectuel congolais même si, ce dernier, se définit à l’image d’Antonio Gramsci, « intellectuel sans attaches » se situant « au dessus de la mêlée ».

Yves Kounoungous, philosophe

Quel est ce monde auquel se réfère la mondialisation ? Cette question qui a l’air loufoque montre qu’en logique poppérienne de la découverte les choses ne vont pas de soi. Le monde de Dieu n’est pas le monde des philosophes. Il y a plusieurs mondes. Le monde pour lequel la philosophie occidentale ne veut pas être en reste concerne-t-il le reste du monde ? Quand la pensée se mondialise, pense-t-elle aux autres mondes, par exemple celui que se sont construits les Pygmées ?

Que gagne le monde africain quand la « mondialisation » gagne le monde ? Phénomène qui "avance masqué", substitut onomastique d’un capitalisme sauvage, brutal, abrupt, la mondialisation n’est-elle que pernicieuse ? Or qui dit extension du capital en dehors de son noyau dur, l’Occident industriel, vers les rives du continent noir, dit destructuration des modes de production en vigueur sur cette partie du monde (le continent noir) qui, au regard de Hegel, est a-historique (la logique ne l’ayant jamais visité), en tout cas en rupture avec la raison pure et la raison pratique dont parle Kant. D’ailleurs Marx, en dépit de sa vision mondiale de l’exploitation et de l’aliénation, oublia l’Afrique. Le seul mode de production non capitaliste comptabilisé dans sa problématique est le mode de production asiatique. Dans la gnose du philosophe qui appelle les prolétaires de toute la planète de s’unir, l’Afrique ne compte pas. Pourtant dans son stade suprême (l’impérialisme) le capitalisme, contraint de rechercher de nouveaux débouchés s’exportera (se mondialisera) vers sa périphérie (le continent noir) où, du reste, plusieurs mondes s’effondrent (Chinua Achébé) suite au choc de civilisations. C’est dans cet esprit que le candidat au titre de docteur, Yves Kounoungous, se réclamant de la phénoménologie, pose le préalable des combats d’idées comme celui heideggérien de la « dé-mondialisation sémantique » et non moins marxien de l’aliénation de la désaliénation conceptuelle.

Branché sur la théorie marxiste (difficile de ne pas s’en réclamer quand il s’agit d’examiner le "déracinement du capital" de son noyau occidental) l’auteur ne réclame pas moins le statut d’ « intellectuel organique ». Il est philosophe c’est-à-dire au dessus de la mêlée mais également africain, c’est-à-dire au coeur de la mêlée, sujet et objet, c’est-à-dire appartenant à une société où le « capitalisme ultralibéral » sous le nouveau masque de la mondialisation exerce une domination inédite. Cependant, à la question du jury : « La mondialisation constitue-t-elle un objet philosophique ? » Le chercheur congolais (doute cartésien oblige) pose humblement que l’’objet en question n’était pas «  un moment philosophique acquis » et qu’il était nécessaire de déterminer une frontière entre les lieux et les non lieux de la philosophie. Ce n’est jamais neutre quand il s’agit d’un Africain, de surcroît «  intellectuel organique » qui s’attaque à la mondialisation. Un concept clef est esquissé : « le marxisme panafricain rationaliste ». Le concept met le jury en appétit ; ça tourne même au harcèlement intellectuel.

Jury de thèse ; les Pr. André Tozel (Nice), Jean-Claude Bourdin (Amien), Grégoire Biyogo (Libreville) ; "Quel est ce monde auquel se réfère la mondialisation ? "

« Mais qu’entendez-vous par « marxisme panafricain rationaliste » ? Peut-on transformer les structures ? Et dans quel sens ? Quelle est la responsabilité de l’élite africaine ? »
Philosophe et Africain lui aussi, le professeur Grégoire Biyogo (Université de Libreville) demande au candidat, à la suite de ses collègues du jury, de justifier son concept de « marxisme panafricain rationalisé »

La réponse du candidat ne se fait pas attendre. Il est en effet intéressant de voir la mondialisation telle que la voient les mondialisés : l’Afrique et les Africains. Pour Y. Kounoungous, justement, dans la mesure où le phénomène a également atteint les rives du continent noir, il y avait lieu d’esquisser quelques définitions de la mondialisation formulées par les philosophes africains (Samir Amin, Zacharie Bowayo (sic)) et que par ailleurs il était dans l’intérêt de la connaissance d’ « idéologiser » la mondialisation afin de « s’attaquer à son noyau dur : le capitalisme » et que, dans ce choix de « résistance cosmopolitique » il y ait lieu de postuler que les « solutions africaines doivent s’imbriquer ». Ouf !

Comme si la problématique de la raison pure n’était pas assez complexe, à ce propos, apprend-on, il y a un vieux débat : existe-t-il une philosophie africaine ? N’y a-t-il pas que des mythes ? Considéré comme un capitalisme féroce, la mondialisation, selon le candidat, devrait faire l’objet d’un autre « épistémè » en favorisant un changement de perspective, une sorte d’espace commun que ne saurait négliger les philosophes africains. Reste qu’il existe des bienfaits de la mondialisation et qu’il faut que le philosophe explore les secteurs socioéconomiques infiltrés par la mondialisation (sic).

Le professeur Tozel (c’est le moins que puisse dire un philosophe) admet que le sujet était difficile, complexe, traité par les économistes politiques, les sociologues, par tous ceux qui aujourd’hui demandent des comptes à ce que la civilisation occidentale a fait à l’Afrique. Certes la question coloniale a disparu, mais il y a une recolonisation qui doit être traitée sur place. Il y a deux représentations de la mondialisation. Le capital financier n’est pas tout, des formes nouvelles ont apparu, c’est plus complexe. C’est une problématique à laquelle personne n’est venue à bout. Et la question de l’Etat n’est pas terminée. Le cosmopolitisme se paye de la croissance et d’une violence de l’élite.

Le candidat : « idéologiser » la mondialisation ou procéder à une dé-mondialisation sémantique

Critique
En effet ça a l’air absurde de se demander de quel monde parle-t-on lorsque l’épistémologue « mondialise ». Les Pygmées des forêts tropicales sont-ils partie prenante de la problématique des prêts immobiliers générée par le récent crash boursier dont les spécialistes et les profanes de l’économie (pour une fois unanimes) ont dit qu’il était planétaire ? Depuis Mac Luhan, le monde n’était plus qu’un village. Mais un village à la périphérie duquel se situent d’autres villages, africains ceux-là (les villages du village). Tenez, par exemple : le Bushman (celui sur la tête duquel les dieux capitalistes sont tombés sous forme d’une bouteille de Coca Cola) est-il mondialisé au même titre que le spéculateur new-yorkais de Wall-Street ou l’ouvrier de chez Renault laissé sur le carreau par les licenciements et les délocalisations (forme brutale de la mondialisation) ? L’ontologie hottentot articule-t-elle la même vision du monde, les mêmes fondations mythiques et les mêmes projections utopiques alors qu’il n’est pas question des mêmes modes de productions, à plus forte raison quand le monde pygmée, a priori, se « configure comme esprit » (Hegel) tandis que celui marxiste de la société capitaliste se configure comme rapports de production ?

Ce type de questions (quel monde est mondialisé ?) renvoie , à la critique de la raison pure ; à la philosophie de la philosophie. Le candidat, connecté sur un schéma marxien (et non marxiste) a justifié sa démarche méthodologique en s’intéressant à tous les penseurs ayant réfléchi sur l’objet et les a invités à plonger dans la «  fontaine des mondiophiles » (j’ai aimé la métaphore).
Dans l’immense foule des penseurs qui ont écrit sur le sujet, le rôle de Karl Marx est forcément massif notamment dans sa thèse de l’extension du capital issue des sociétés industrielles dans les sociétés à mode de production asiatique ou à mode de production lignager (cas de l’Afrique).

Jean-Claude Bourdin (Poitier) : Il fallait que la philosophie africaine participe au banquet de la philosophie. Certes, Samir Amin avait posé la question du développement inégal. C’était une manière de poser la mondialisation. A-t-il seulement complexifié la question ? Trop "économiciste ", il n’a jamais, sans doute, postulé des "Philosophèmes".
A part ça, il y a lieu de déplorer une virginité intellectuelle des philosophes africains. Pire, des sommités mondiales dédouanent le phénomène :
« La mondialisation n’est pas coupable » (ouvrage écrit par le Nobel de l’économie.) A qui donc incombe la culpabilité ? On peut être Nobel sans avoir une noble idée du monde.

En définitive, la mondialisation demeure une "forme actuelle d’extension du capitalisme qui relance une nouvelle accumulation du capital".

L’énoncé de la délibération

Ayant tenu compte des critiques du Pr. Robert Charvin, spécialiste du Droit économique, le jury, après délibération, a décerné au candidat le titre de Docteur en Philosophie avec la mention "Très honorable".

Félicitations du jury : mention "Très honorable".

Intégration du candidat dans le champ des porteurs de titres académiques.

Le jury et le candidat

Commentaire : je suis resté sur ma faim. Les débats n’ont pas porté sur la dichotomie des Etats africains dont les dirigeants, "mondialisés", sont pourchassés à travers le monde par les fonds vautour, accumulent le capital dans des paradis fiscaux, investissent dans l’immobilier en Occident alors que dans le même temps ils "tiers-mondialisent" davantage leurs peuples qui végètent dans des conditions matérielles d’existence d’un autre monde (antédiluvien). En effet, on peut dire, avec l’auteur, qu’en dépit de sa violence, il existe des «  bienfaits de la mondialisation » (je ne parle pas d’aspects positifs de la colonisation). Il serait bien que ces populations en bénéficient également.

Auditoire

Dans l’auditoire figuraient : Alain Kounzilat, Jean-Pirerre et Flore Milandou, Brausser Kokolo, Lina Badila, Yvonne...

Au restaurant : chez "Marie"Ange"
Au restaurant le soir
Flore et Jean-Pierre Milandou au restaurant
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