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Tout sur les Bantous de la Capitale : le livre

Au bout du compte l’histoire du Congo postcolonial se confond avec l’histoire des Bantous de la Capitale. C’est ce qui ressort de l’ouvrage de Clément Ossinondé « Les Bantous de la capitale, chronologie des 48 ans d’existence » publié aux Editions Cyriaque Bassoka Editions.

Le phénix de la musique congolaise

Créé en 1959, à la veille des Indépendances, l’orchestre Les Bantous de la Capitale est le seul à avoir résisté aux agressions du temps, ses contemporains, Cercul-Jazz, Negro-Band, Novelty, Los Batchicha, Tembo, Manta Lokoka, Sinza Kotok, Mando-Négro Kwala-Kwa, Super-Boboto, Jeunes Bantou, Kimbong-Ntouma ont tous rendu l’âme. Aujourd’hui la formation musicale de Nino-Malapet et Essou, âgée de 48 ans, peut se glorifier de mener une activité ininterrompue marquée néanmoins, comme toute entreprise humaine, par des crises souvent ponctuelles, parfois aussi structurelles.

Dès le départ, le groupe est en proie à une question d’orientation musicale. Fallait-il rester attaché à l’école cubaine hérité de Rocka-Mambo ? Fallait-il adopter le mode musical « odenda » que les leaders avaient mis en place dans l’Ok-Jazz ? Après de longues hésitations, la solution vint d’une crise déclenchée par la défection du guitariste Papa Noël, transfuge léopoldvillois qui rentre au bercail après avoir été séduit par son compatriote Joseph Kabassélé dit Grand Kallé Jeff. C’est l’une des premières infidélités (et non la dernière) dont seront victime Les Bantous. Les défections, les départs de musiciens, les transferts sont hélas monnaie courante dans les groupes congolais. L’arrivée du guitariste Géry Gérard en 1965 opère le changement de style qui fera des Bantous l’une des trois écoles de la musique congolaise des rives du fleuve Congo.

Tout commença à Léopoldville. A l’origine, il y eut Essous Spiritus, Edo, Nino, Célio, De la Lune, Pandi, Papa Noël, Jojo. Ensuite les thèses varient. La première dit que rongés par la nostalgie, les brazzavillois de Léopoldville décident de rentrer à Brazzaville créer un groupe à l’image de L’Ok-Jazz. La deuxième thèse dit que lassés par le chauvinisme de Franco le kinois, les brazzavillois de L’Ok-Jazz finissent par prendre leurs clics et leurs clacs, traversent le Pool Malébo pour Brazzaville en maugréant des propos du genre « on va leur prouver qu’on est des mecs » (Béto bantou, en lari). On prête ce propos à Nganga Edo et Nkouka Céléstin déçus par l’attitude des kinois . Les deux thèses ne s’affrontent pas. Elles se complètent. Nostalgie et ras le bol seraient les mobiles du retour au bercail et les raisons pour lesquelles Les Bantou naissent à Brazzaville en 1959. Le nom du groupe « Les Bantou » viendrait de la résolution « béto mpé bantu ». Clément Ossinondé donne une autre explication. Le nom viendrait d’un groupe de jazz (Bantou Sextet) qui joue dans les quartiers européens du centre-ville.

Mais l’homme-clef de ce mouvement culturel c’est Marie-Isidore Diaboua, mythique percussionniste et flutiste qui forme Essous 3"S" à la clarinette et joue de la batterie dans des groupes de jazz dans les quatiers européens de Brazzaville. Tous ces disciples de Diaboua, à la demande du célèbre guitariste léopoldvillois Bowané, émigrent à Léopoldville (future Kinshasa) au milieu des années 50 où ils font les requins dans les studios d’enregistrement tenus par les hommes d’affaires grecs. Quand on pense aux luttes d’influence entre les différentes maisons d’éditions de Léopoldville (Loninguisa, Ngoma, Cefa...) impossible de ne pas penser au mot de Senghor : l’émotion est nègre, la pensée hellène. Il y a lieu de se demander : que serait la musique congolaise moderne sans les mécènes de la trempe de Papadimitriou et Dino Antonopoulos ? Selon une autre légende, l’orchestre Ok-Jazz, doit son nom aux initiales d’un autre grec, Omer Kassien. Cinq siècles avant Jésus-Christ, ce n’est pas un hasard si les contemporains de Platon ont inventé la Muse et agité les idées en les classant dans des systèmes.

Débat sur les origines géographiques de la roumba

Dans le lot d’artistes qui participent aux sessions, mention spéciale au brazzavillois Loubélo Daniel dit De la Lune, excellent guitariste, contrebassiste puis bassiste qui possède le solfège grâce à, entre autres maîtres, ses parents et Léon Makaba. Ne pas savoir lire la musique est le handicap de la plupart de ces pionniers de la musique congolaise. Ils ont d’autant plus de mérite qu’ils font des prouesses qui laissent aujourd’hui admiratifs des premiers prix de conservatoire. A ce sujet, Brazzaville et Kinshasa, les deux capitales les plus voisines au monde ont vu circuler une foule de musiciens.
L’une des thèses qui se dégagent dans l’ouvrage de Clément Ossinondé est que la musique moderne des deux rives est née à Kinshasa par des artistes venus de Brazzaville. Ces artistes sont tellement talentueux que nombre de musiciens kinois leur doivent leur formation. La technologie fut kinoise (disons léopoldvilloise) l’idéologie brazzavilloise. Que serait L’Ok-Jazz sans Essous, De la Lune, Pandi, Edo, Céléstin, Nino Malapet ? Que seraient les Bantous sans le séjour de leurs fondateurs à Léopoldville où ils arpentaient les nombreux studio d’enregistrement ?
Le débat est ouvert. Car, touchés dans leur Ego, la thèse de l’origine congo-brazzavilloise de la roumba irrite nos voisins de la rive gauche. Le fait que le nombre de musiciens brazzavillois ayant fait carrière à Kinshasa soit supérieur à celui de kinois ayant joué dans les formations brazzavilloises ajoute à la confusion. Difficile de déterminer quelle école doit à l’autre. Il ne reste pas moins que certains passages "outre-fleuve" ont marqué à jamais l’histoire. C’est le cas du Kinois Joseph Mulamba dit Mujos qui, en deux ans de séjour dans Les Bantous de la capitale, a "transformé le style de ce groupe". Selon Ossinondé, "Eyaki Mujos na Béa" fut un air capital au style de la roumba brazzavilloise. Pour la petite histoire, Mujos fut obligé de quitter nuitamment Brazzaville (en pirogue) pour avoir eu une idylle avec l’épouse d’un haut responsable militaire de l’époque. Que serait le destin des Bantou si cette voix d’or n’avait pas succombé au péché de la chair et si cet homme politique n’avait pas la gachette facile ? L’autre passage "marquant" d’un kinois à Brazzaville est celui de Nedulé Antoine Papa Noël dit Johnny Noël, redoutable guitariste qui, selon une autre version, quitta Brazzaville pour avoir "fait le coup de poing" avec Essou. Fou de rage, ce guitariste soliste prit le premier bateau Congolia et rentra dans son Congo-belge natal, abandonnant guitare et pédale wawa sur scène.

Politique musicale

Les Bantous sont peut-être l’orchestre de la capitale, mais ils sont aussi un groupe capital pour le pouvoir politique dont on voit nombre de personnalités tirer les ficelles dans les coulisses. Le célèbre ministre de Youlou, Prospèr Ngandzion, en fut une éminence grise. On pourrait aussi reprocher à l’orchestre Bantou d’avoir initié le griotisme en encensant certains ministres youlistes que la "révolution de 63" condamna pour gabegie financières et dérive budgétivore. Les jeunes musiciens qui "lancent" actuellement les ministres sassouistes n’ont rien inventé.

"Tongo étani "

La voix jazzy de Serge Essou a réveillé depuis des décennies le peuple congolais grâce à l’indicatif du journal radiophonique symbolisé par le refrain "Tongo étani na mokili ya Congo" . Pour avoir été l’un des premiers groupes « modernes » dont la naissance coincide avec l’Indépendance de le République, Les Bantous, sont aussi le groupe du pouvoir politique qui s’en est servi parfois comme arme idéologique, parfois comme ambassadeur chargé de défendre l’image du Congo à l’étranger, notamment dans les festivals culturels (comme à Alger en 1969, Lagos en 1976) et dans les festivals politiques ( à Cuba en 1978 et à Berlin Est).

Monopole, tensions et crises

L’hégémonie des Bantou dans le champ musical congolais a été sans partage sous tous les régimes politiques, de Youlou à Sassou en passant par Massamba-Débat, Ngouabi, Lissouba. Exception confirmant la règle, Yhombi sera celui qui mènera la vie dure aux Bantous en soutenant ses « putschistes ». De toute manière l’histoire des Bantou est faite de départs et de réintégrations. Toute velléité de concurrence était violemment réprimée comme le montre la manière avec laquelle Daniel Loubélo (De la Lune) et son Tembo ont été traités en 1964.
La concurrence la plus sérieuse jamais connue par Les Bantous viendra de ses propres membres partis créer l’orchestre Le Peuple au milieu des années 1970. Parmi les cerveaux de la rébellion du trio Cepakos, figure Joachim Yhombi Opango, membre du comité directeur des dissidents. Le groupe de Macédo fera long feu. La tête de la rebellion, Pamélo, suivi de Célio, reintégrera Les Bantou cinq années plus tard.

L’école de Brazzaville

Au total, Les Bantous ont été l’arbre qui a caché la forêt, façonnant toute reproduction musicale à leur image, dotant aux Congolais de Brazzaville d’un style redouté par les Kinois (du moins chez les connaisseurs). « Quel est votre modèle de guitariste ? » A cette question l’ingénieux Pépé Felly Manuaku dit tout simplement « Géry Gérard ». Et votre modèle de chanteur ? « Essous » avouera Koffi Olomidé. En un mot, Les Bantous ont fait école en Afrique, à jeu égal avec African Jazz/ Fiesta, et L’Ok-Jazz. Nino et Essous peuvent se prévaloir d’avoir créé un style Bantou comme, ailleurs, par exemple en Guinée, existe le style Bémbéya-Jazz ou, au Nigéria, le style Fella.

Cependant la rigueur des arrangements fondés sur la gamme mineure d’inspiration latino n’a pas facilité une expansion commerciale de la production musicale du groupe Bantou sur le marché international, à l’inverse de L’Ok-Jazz qui, lui, a su tirer son épingle du jeu et conquis l’Afrique. On connaît le dicton : "une musique en accords mineurs, c’est une piste sans danseurs".

Un ouvrage de référence

Clément Ossinondé a fait œuvre remarquable en rappelant la genèse du meilleur groupe que le Congo-Brazzaville ait jamais connu. L’ouvrage se termine sur une note optimiste déterminée par la tournée européenne de 2007. En dépit de l’âge du groupe (bientôt le demi-siècle) la chronologie s’achève sur des projets élaborés par les musiciens. Nino Malapet en 2007 était en studio en train de réaliser un album. A l’instar de leurs modèles cubains, les musiciens des Bantou vivent vieux. La musique serait-elle une thérapie au cœur de laquelle se cacherait la pierre philosophale ? Malgré quelques coquilles et un étrange choix méthodologique compensés par une rigueur des dates (il n’y a point de bibliographie) la chronique de Clément Ossinondé demeure un excellent outil de travail riche en détails et en documents iconographiques. Les musicologues trouveront une mine d’informations au chapitre (p.139) sur l’interaction Ok/jazz-Bantou de la Capitale.
La chronologie des 48 ans des Bantous est à lire absolument.

Les Bantous de la Capitale « Bakolo mboka » Les rois de la rumba africaine. Chronologie des 48 ans d’existence.
152 p.
Cyriaque Bassoka Editions
Corbeil-Essonnes 2009
15 euros


NDLR : Et puis, jetez un coup d’œil sur le site de Cyriaque Bassoka Production auquel contribue notre collaborateur Simon Mavoula auteur du présent article. Nombreuses photos des Bantous de la Capitale, jeunes, moins jeunes et même plus jeunes du tout.
Allez les papys remettez-en quelques couches.


L’auteur : Clément Ossinonde est né à Lékéty, république du Congo. Il est chroniqueur de musique (ancien animateur culturel à Radio Congo et Radio Liberté) – Ancien président de l’UMC (Union des Musiciens Congolais) et de l’UNEAC (Union Nationale des Ecrivains et Artistes Congolais) – Auteur de plusieurs brochures sur la musique congolaise.

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