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vie quotidienne

Y a-t-il un maire à Brazzaville ?

Y a-t-il un maire à Brazzaville ? Existe-t-il une politique de la ville au Congo ? Au regard des reportages de Télé-Congo ce 10 mai, date commémorative de l’abolition de l’esclavage, on peut en douter. On dirait que sur cette partie du continent noir (le Congo) le monde n’a jamais bougé depuis le temps de la traite. Seul en effet le bétail humain peut vivre dans l’actuel environnement offert par Brazzaville pompeusement appelée naguère "La Verte".

Une télé qui se déchaîne

Le journal Télé (Congo) du 10 mai 2006, chaîne unique, a été révélateur du malaise de la civilisation congolaise et du gouffre qui sépare la classe politique du reste de la société. Dans un univers où sévit la pensée unique, les reporters ont eu un énorme toupet en faisant circuler un micro trottoir pour sonder l’opinion. Les impressions recueillies sont lourdes de significations. Sans requérir l’anonymat, certains Brazzavillois ont livré leurs sentiments sur la ville et son inconcevable gestion. A Mati, un marché de l’arrondissement 5 (Ouénzé) un usager miné par la fatigue et sans doute aussi par la famine n’y est pas allé de main morte au micro du journaliste : « Pourquoi l’état ne construit-il pas de routes. C’est pourtant son rôle. Regardez l’état de celle-ci, doit-on attendre que la mairie de Pointe-Noire vienne la construire ? »
Une boutade de sa part pour spécifier l’état tout aussi lamentable de la ville océane.

Dans le quartier Diata, un riverain s’est plaint de l’enclavement de l’immense zone d’habitation qu’aucune route carrossable ne dessert. Les pluies, diluviennes en cette période, n’ont pas arrangé l’état des routes. Des lacs artificiels se sont formés ça et là, puis l’érosion a ravagé complètement les tronçons encore praticables jusque-là. Les journalistes se sont beaucoup promenés. A Ouénzé, l’avenue Bouéta-Mbongo n’a pas été épargnée par les caméras de Télé Congo décidément versée de plus en plus dans la transparence. En fait de chaussée, il ne reste rien de ce tronçon routier sur lequel « naviguent » littéralement les véhicules qui s’y risquent. On aurait dit des chars amphibies tentant de battre campagne sur le front russe. Mais ces véhicules ont-ils le choix dans la mesure où Bouéta-Mbongo demeure le seul axe qui relie l’avenue Itoumbi et l’avenue bien nommée des « Trois Martyrs » ? Car en fait de martyr, ce sont les usagers de la rue Itoumbi qui le subissent corps et biens. Cette artère (Itoumbi) qui fut jadis le seul dégagement permettant au trafic automobile de se dérouler entre Moungali (Maison commune) et Ouénzé la Tsiémé (Texaco) n’existe quasiment plus.

Vicieuses, les cameras ont fourré leur nez dans cet égout à ciel ouvert, Madoukoutsékélé. On savait ce ruisseau naturellement nauséeux Mais l’originalité est venue du fait que la presse télévisée a osé balayé avec ses appareils optiques ce cours d’eau nauséabond.
« Montrez-moi cette misère qu’on ne saurait cacher » : tel a dû être le slogan du réalisateur de l’habituel dogmatique Télé Congo, bravant cette fois-ci les éventuelles foudres de sa hiérarchie.

Chercheurs d’eau à Brazzaville

Non contents de montrer les sites urbains dans leur piteux état, les reportages de la télévision se sont penchés sur les conditions de vie des citadins. Le réalisateur du journal télé de ce 10 mai 2006 en avait visiblement gros sur la patate. Les détails les plus gênants ont été grossis à la loupe.

Point d’eau domestique

Chacun sait que l’eau, l’électricité et, désormais, l’essence constituent un casse-tête pour les Congolais en général et les Brazzavillois en particulier. Devant une station d’essence, les caméras, impitoyables, ont braqué leur objectif sur les interminables files des usagers et les immenses cortèges des voitures. Le regard fatigué par des nuits d’attente (trois nuits pour certains) les clients n’ont pas décoléré. Sans craindre quelque représaille, un chauffeur de car n’a pas hésité à souligner l’absurdité d’une situation où un pays produit des milliers de barils de pétrole alors que les pompes d’essence ne pissent pas une seule goutte dans les stations. Cela ne paraît choquer personne en haut lieu. Tout se passe comme si en ces hauts lieux la garantie qu’il ne se passera aucun mouvent de révolte dans "le Congo d’en bas" était acquise à jamais. Alors on laisse faire, on observe, on rit, on se moque, on ricane-même. Ca se voit à la manière dont les automobiles 4X4 contournent avec élégance les pénuries de carburant. Or les 4X4 appartiennent pour la plupart à la petite et à la grosse bourgeoisie auxquelles profite, paradoxalement, la galère des Brazzavillois, un peuple assimilable à des esclaves des temps modernes.

Prolétaires ambulants en ville

Retour au marché de Mati dans le quartier de la Tsiémé. Les scènes de vente se déroulent dans un environnement inimaginable pour une ville capitale. L’objectif du cameraman vise une charrette tirée péniblement par un gueux qui a du mal à la sortir d’une grosse mare d’eau à cause de son chargement. On se croirait dans une favela sud-américaine. Ensuite les caméscopes de Télé-Congo traquent des marchandises posées sur un sol boueux. Parmi ces articles proposés au chaland figurent en bonne place des produits pharmaceutiques. Ironique, la voix off du journaliste se demande « qui a dit que le noirs mourraient de microbes ? »
Mais le commentaire, encore plus acerbe, souligne l’arnaque des nombreuses taxes municipales qui sont prélevées sur ce marché. Chaque sac de semoule de manioc qui entre dans le marché de Mati est inéluctablement soumis à une taxe ; chaque véhicule qui décharge à Mati s’acquitte impérativement aussi d’une taxe. Les femmes des marchés paient chaque jour une patente. Cette fois-ci, les commerçants parlent prudemment à visage caché. « De peur qu’on ne les expulse du marché » explique la voix off. Par qui ? Par la milice du marché.

Question logique du journaliste : où va tout cet argent puisqu’il ne sert pas à l’entretien du marché ? Sans doute dans les poches des miliciens après que quelque ponte de la mairie ait pris au passage sa part. Un réseau mafieux y a trouvé un marché juteux. Seulement, les victimes ne veulent plus avaler les couleuvres.

Si les Brazzavillois n’hésitent plus à donner de la voix pour exprimer leur mécontentement, en revanche les micros des journalistes ont cherché en vain les « politiques » pour avoir leur avis, par exemple, sur l’incroyable pénurie d’essence à Brazzaville. Il aurait suffi cependant de les appeler sur leurs portables et d’enregistrer leurs propos,si tant est qu’on puisse justifier de telles aberrations. Personne ne veut en effet se mouiller pour expliquer tous ces dysfonctionnements dont sont victimes les habitants de la capitale. Comme personne ne veut se jeter à l’eau, on pourrait dire qu’ils ont tous les poches pleines grâce au revenu du racket. L’argent (même sale) et l’eau ne font jamais bon ménage.

Fondée en 1879, Brazzaville compte une population qui avoisine le million d’habitants. La ville s’est entendue en long et en large sans que ne soit articulé un schéma urbain pour mieux la structurer. Partout, dans les quartiers périphériques, la vie a précédé la ville. Résultat : Brazzaville ressemble plus à un gros village quadrillé par deux ou trois grands axes routiers qu’à une ville. Le tout-à-l’égout étant absent, les eaux usagées ne sont évacuées nulle part. Et lorsque viennent les grosses précipitations de la saison de pluie, la ville prend les allures d’une grande cité médiévale où hommes, bêtes et déchets humains cohabitent avec tout ce que cela peut impliquer comme risques sanitaires sur le plan pathologique.

Recevant l’ancien chef d’état mozambicain à Oyo, Denis Sassou-Nguesso a confié au micro des journalistes qu’il se sentait mieux dans l’environnement de son village qu’à Brazzaville. Il n’a pas trop eu tort de préférer l’air de la campagne à celui de la ville. Par décence pour son hôte, son esprit a sûrement été traversé par la formule très connue « cachez-moi cette misère que je ne saurai voir ! »

Malheureusement cette misère fait partie de la vie quotidienne des Brazzavillois. Pour combien de temps encore ? Car la santé d’une population a ses limites.

Marché municipal dans la capitale

Le mérite de Télé-Congo c’est d’avoir fait savoir à qui veut l’entendre que personne n’entend plus vivre dans ces conditions de vie.

A bon entendeur....chahut.

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