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22 janvier 2004 - La Pagode - CCF de Pointe-Noire

Bina Ngoua présente Nyango na nyama

Danse contemporaine

La belle vient de rencontrer la bête

Coproduction CCF - Ya Sanza, le spectacle de Bina-Ngoua, compagnie toujours novatrice, en rupture avec ses productions précédentes a fait vibrer à la Pagode le 22 janvier, un public dense et connaisseur.

Ce spectacle, reprise de celui présenté dans le même lieu le 5 décembre dernier, est une libre interprétation résolument moderne et africaine du célèbre conte de Jeanne Leprince de Beaumont "La belle et la bête".

Sur une scène dépouillée à l’extrême, où seul un praticable supporte un percussionniste, les quatre danseurs de Bina-Ngoua, avec pour la première fois une présence féminine nous ont présenté une réalisation dans laquelle la narration et les émotions n’ont dépaysé en rien ceux qui connaissent le conte.

La musique elle aussi est en rupture avec les précédentes réalisations de Bina-Ngoua qui jusqu’alors ne travaillait qu’avec des percussions live. Le choix s’est porté vers une musique enregistrée provenant d’un mix de Chansons de Mamadou Diabate (virtuose malien de

La compagnie en plein spectacle

la cora, harpe africaine), d’extraits de Lambarena de Pierre Akendengué (œuvre mixant elle-même des chants traditionnels gabonais et des thèmes de Jean-Sébastien Bach), des enregistrements de percussions de Leyzin Mpoutou pour d’autres spectacles de Bina-Ngoua, et quelques percussions live du même. On peut noter l’excellence du mixage de Marcus du studio "Trou dans l’impossible" à Pointe-Noire.

Les chorégraphies de Serge Bissadissi prennent de la force et de l’originalité à chaque nouvelle réalisation, les scènes s’enchaînent avec bonheur avec de nombreux changements de rythme. Moins acrobatique que de coutume, la gestuelle est plus théâtrale. Les danseur sont plus acteurs et plus expressifs. On notera les prestations de Brice Migouolo qui

Serge Bissadissi

dans le rôle de la bête joue un personnage tourmenté et complexé par sa monstruosité, et celle de Krishna Dadet, jusqu’alors plus habituée à danser pour des clips de ndombolo, elle interprète une belle forte et presque dominatrice. Elle a pour cette réalisation accompli un travail de mise a niveau remarquable, il convient de l’en féliciter. Dans le rôle du père, Marie-Bede Koubemba fait plus que tirer son épingle du jeu, et Serge Bissadissi dans son interprétation des personnages secondaires multiples reste à l’évidence l’un des tout meilleurs danseurs contemporains congolais.

La mort de la bête

Ce spectacle mérite de sortir de Pointe-Noire, Elise Mbala de l’association Meka au Cameroun ne s’y est pas trompée et elle l’a invité en avril à Yaoundé.

On trouvera à la suite une interview de Ya Sanza par Brice Mampouya journaliste à l’Observateur :

Brice Mampouya : Bina-Ngoua par le passé ne nous a offert que des interprétations exclusivement masculines, avec "la belle et la bête" elle confie un rôle de premier plan à Krichna Dadet, est-ce le début d’un nouveau style Bina-Ngoua ?

Ya Sanza : Je ne pense pas qu’il faille voir les choses ainsi. Bina-Ngoua est une compagnie de recherche chorégraphique, elle est donc en constante évolution.
Il nous a été difficile de trouver une femme qui puisse s’intégrer à la troupe, et il a été difficile aux garçons de l’admettre. Elle a fini par imposer son courage et son sérieux à tous, ce qui était loin d’être une évidence. Nous continuerons à jouer et créer des spectacles masculins, mais nous savons maintenant ce qu’une présence féminine peut apporter aux créations de la compagnie, Bina-Ngoua hésitera certainement moins à retenter l’expérience.

BM : "La belle et la Bête" est un conte français. Bina-Ngoua nous le présente accompagné d’une musique africaine chorégraphiée et interprétée par des congolais, comment avez-vous fait "monter la sauce" ?

YS : C’est un peu une longue histoire. J’ai connu Serge en 2000. Si déjà il avait à son actif des réalisations de choix, il était alors sur le chantier de "Ndôlo" (la grande saison des pluies), il avait beaucoup de mal à présenter ses réalisations, et il travaillait surtout très en deçà de ses capacités dans des cabarets. Je lui suggérais alors le thème de "la belle et la bête qu’il ne connaissait pas encore. Je pensais déjà à "Lambarena" pour la musique, ce choix s’imposait pour moi, Pierre Akendengué avait su s’approprier les airs de Bach que le Dr Schweitzer avait fait retentir sur les marais de Lambaréné et les avait mixés avec des chants traditionnels de son pays avec une maîtrise tout à fait remarquable. Il était évident pour moi que nous avions là la base musicale du spectacle.
En ce qui concerne le thème, je pense que les contes sont apatrides et que l’on peut rêver sur une histoire provenant de n’importe quelle culture.

Krichna Dadet et Brice Migouolo

BM : "La belle et la Bête" a été présentée au CCF dans une toute première version il y a plus d’un an, pourquoi l’avoir entièrement reprise ?

YS : La première version était vraiment trop peu mature, le chantier n’était ouvert que depuis deux mois, le chorégraphe et les danseurs manquaient de références et nous n’avions pas encore la musique en notre possession. Une maladresse de l’un d’entre nous, peut-être moi-même, je ne m’en souviens plus, fit que monsieur Bernard Mesguish, le directeur du CCF de Pointe-Noire en eut vent. Sur son insistance, Serge accepta la programmation à mon grand regret. Il s’avère que le travail acharné de l’ensemble de la troupe évita alors le désastre, mais nous étions encore bien loin de ce que nous ambitionnions. Nous sommes donc repartis en chantier.

BM : Au Congo en danse contemporaine Bina-Ngoua est au sommet de son art mais malheureusement ses prestations ont du mal à percer hors de frontières nationales. A quoi cela est-il dû ?

YS : Une première chose, mon cher Brice, Bina-Ngoua n’est pas au sommet de son art, il reste à la compagnie un immense potentiel de progression, et ce n’est certainement pas Serge, perpétuel insatisfait, qui me contredirait. En ce qui concerne ta question, tu sais fort bien que l’art au Congo est dans une situation d’indigence totale et ne reçoit aucune aide des pouvoirs publics, (je ne reproche rien ici à la Direction Départementale de la Culture et des Arts au Kouilou qui fait le maximum avec le peu de moyens dont elle dispose). Sans un sponsor fortuné il est bien difficile de percer. Comment expliquer qu’avec la réputation de la compagnie, elle n’a jamais été invitée à Brazzaville. Par contre des producteurs étrangers l’ont fait aller à Luanda, et en avril elle sera à Yaoundé.

BM : Grâce à Bina-Ngoua la danse contemporaine commence à rentrer peu à peu dans les mœurs congolaises, mais le travail qui reste demeure encore énorme, peut-on compter dans les jours à venir sur Serge et ses équipiers pour que cet art s’impose effectivement comme la musique ou la peinture ?

YS : Serge a la sagesse de travailler dans un sens qui ne heurte pas trop les habitudes du public congolais, il lui

Le salut au public

distille ses novations avec parcimonie et le fait évoluer en même temps qu’il évolue lui-même alors je te répondrai sans hésitation, bien sûr. La meilleure preuve est que de nombreuses troupes travaillent aujourd’hui dans ce sens et bien peu d’entre elles ne reconnaissent pas l’influence que Serge a eu sur elles.

BM : Un préjugé populaire dit que pour faire de la danse contemporaine il faut être athlétique. Toi qui côtoies souvent ces danseurs, peux-tu affirmer cela ?

YS : C’est vrai que les danseurs de Bina-Ngoua sont d’authentiques sportifs de haut niveau et des acrobates de qualité, mais "Nyango na nyama" est là pour prouver que ce sont aussi de vrais comédiens pleins de sensibilité et d’émotion. Nous avons évité dans cette réalisation les prouesses spectaculaires et pourtant le public suit et apprécie.

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