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Rencontre : Alain Mabanckou nous parle de lui

Propos recueillis par Richard Songo et Mère Évé de Paris.

De ses livres il n’y a plus de secrets (ou presque). De l’homme et de ses passions, on en sait par contre pas grand chose. Pour vous, congopage a fait confesser l’écrivain Alain Mabanckou. Il nous parle de ses souvenirs de jeunesse, des livres qui l’ont marqué et influencé, de ses sources d’inspiration et de son prochain roman.

Congopage : Qui est l’homme Alain Mabanckou (marié ? des enfants ?) ?

A.Mabanckou :Divorcé avec une descendance assurée...

Congopage : Qu’est-ce qui vous motive dans la vie ?

A.Mabanckou : Recommencer sans cesse les choses en vue de ne pas avoir de regrets le jour du Jugement dernier...

Congopage : Vous habitez aujourd’hui aux États-Unis où vous enseignez la litterature africaine, qu’est ce qui vous a fait décider de quitter la France pour les États-Unis ?

A.Mabanckou : C’était une proposition américaine après mon séjour comme écrivain en résidence à l’Université du Michigan. En France je travaillais depuis 10 ans à la Lyonnaise des Eaux (groupe Suez). J’ai choisi l’Amérique parce qu’on m’offrait à la fois du temps libre pour écrire et une activité enrichissante : l’enseignement...

Congopage : Dans vos romans vous faites souvent un portrait de la société africaine, pourtant cela fait beaucoup d’années que vous ne vivez plus en Afrique, d’où vient votre inspiration ?

A.Mabanckou : L’enfance et la jeunesse vécues au Congo sont une mine d’or. Alors, chaque fois, je n’hésite pas à revisiter mes souvenirs. Il m’arrive aussi d’aller au Congo en toute discrétion et de vivre dans un quartier très reculé...

Congopage : De quand date votre dernier séjour (au Congo) ?

A.Mabanckou : Le séjour officiel date de 2002, j’étais invité à Brazzaville par le Centre Culturel français et l’Ambassade de France pour l’exposition "Nouvelle Génération". J’ai été également invité à Bayardelle, à la Faculté des Lettres de Brazzaville. J’ai fait d’autres séjours privés en 2003 et en début 2004 lorsque je terminais l’écriture de Verre Cassé, roman commencé à Douala au Cameroun.

Congopage : Comment trouvez-vous l’inspiration pour des œuvres si différentes les unes des autres ?

A.Mabanckou : Je me laisse aller, je ne force jamais l’inspiration et je n’écris que lorsque "j’entends" la musique d’une phrase, le mot qui me hante, l’image qui revient sans cesse. Et, le plus souvent, j’écris en écoutant de la musique congolaise des années soixante. J’ignore ce que je dois écrire à l’instant où je me décide, car je suis un écrivain très désordonné, sans discipline. Je me comporte en littérature comme un gamin qui mange du chocolat très tard dans la nuit pour éviter les réprimandes de ses parents. J’écris donc au kilomètre, sans plan, sans documentation et sans stratégie. Je n’organise ma grande "pagaille" qu’à la fin, une fois que j’ai toute la matière première devant moi ! C’est pour cela que je fais toujours quatre ou cinq versions d’un manuscrit. Verre Cassé par exemple a été écrit en cinq versions... Je les garde toutes.

Congopage : Qu’est ce qui fait l’identité de votre plume ? Qu’est ce qui la caractérise ?

A.Mabanckou : On peut à travers mes romans ou ma poésie suivre ma vie, et il y a autant de vies que d’êtres humains ici-bas. Je ne cherche jamais à jouer à l’intello, surtout pas au doué, encore moins à l’agité du bocal ou bien au "génie maudit" comme certains qui jouent sur ces thèmes afin de fuir la question de la création et la sincérité de la voix littéraire. Et puis, entre nous, j’ai en horreur les écoles littéraires, les choses toutes faites, la discipline militaro-littéraire et les bêlements de l’engagement creux. Je cherche plutôt à ouvrir les portes, à dépasser mes propres limites, à ne pas me contenter d’une fierté historique quelle qu’elle soit sans pour autant songer à apporter une modeste contribution avec mes petits moyens, dont l’écriture, et c’est déjà ça...

Congopage : Vous avez à votre actif cinq romans, duquel êtes-vous le plus satisfait ?

A.Mabanckou : Chaque roman est un idéal. On pense toujours faire mieux au prochain, et on a tendance à se féliciter en écoutant les vagissements du petit dernier. Or les livres d’un auteur forment un univers avec le temps. Lorsque je relis mon premier roman, Bleu-Blanc-Rouge, je me rappelle la difficulté de commettre les premières phrases. Ce sont les doutes d’un auteur qui ignore s’il pourra trouver un éditeur. Au final, je crois que j’ai l’impression d’avoir réuni la plupart des mes romans dans Verre Cassé parce qu’on y trouve les éléments qui composent les quatre précédents livres de fiction : la mère, le voyage, la lecture, les livres, l’enfance, les relations avec d’autres communautés, le problème de la marginalité, la question du Nègre agité, l’absence du père. Est-ce mon roman préféré ? Je vous laisse imaginer la réponse...

Congopage : Outre les romans, vous avez écrit aussi des recueils de poèmes, vous sentez-vous plus poète ou plus romancier ?

A.Mabanckou : La poésie est pour moi un lieu de recueillement. Je déplore le fait que les éditeurs ne s’y intéressent pas autant que pour le roman. C’est bien dommage. La plupart des écrivains naissent d’abord en poésie avant de pratiquer un autre genre. Je me sens comme un poète qui est arrivé au roman par effraction, par opiniâtreté et qui peut désormais faire de la poésie même dans le roman...

Congopage : Quels sont les livres qui vous ont le plus marqué ?

A.Mabanckou : Il y a plusieurs livres qui m’ont marqué et m’ont finalement orienté vers l’écriture ou nourri mon inspiration : on aura compris qu’il y a les livres de Marquez, de Céline, de Dino Buzatti...
Il y a aussi, et surtout les titres suivants :
 "Le Tunnel" d’Ernesto Sabato,
 "Le vieil homme et la mer" d’Ernest Heminway,
 "Des souris et des hommes" de John Steinbeck,
 "Cahier d’un retour au pays natal" d’Aimé Césaire,
 "La prochaine fois le feu" de James Baldwin,
 "Le pleurer-rire" d’Henri Lopes,
 "Mort à Venise" de Thomas Mann
 "Lettres à un jeune poète" De M. R. Rilke
 "Jazz et vin de palme" d’Emmanuel Dongala
 "Nations nègres et cultures" de Cheikh Anta Diop
 "Mille et une nuits", Anonyme
 "L’Etranger" d’Albert Camus
 "Pays sans chapeau" de Dany Laferriere

Congopage : Vous écrivez en français, pourriez-vous écrire dans une autre langue que le français ?

A.Mabanckou : Un jour sans doute. Ce sera peut-être en anglais. Je ne sais pas écrire les quatre langues congolaises que je parle à peu près correctement ( lingala, munukutuba, laari, bembé). Je comprends par ailleurs très bien le vili, le téké, le dondo, le kamba et le yombé. Pourquoi ne pourrai-je pas écrire dans ces langues ? La raison est simple : je les ai apprises de manière orale et je ne vais pas pousser l’hérésie jusqu’à appliquer à ces langues les règles du français ! Ce serait sacrilège ! Si le doyen Ndzo Kanga qui enseignait le Lingala en France était encore vivant, je lui aurais demandé de traduire mes romans ou mes poèmes en lingala ! Je lance d’ailleurs l’offre à tout "lingalaphone" ou "munukutubaphone" chevronné aussi bien à l’écrit qu’à l’oral...

Congopage : Enfant, quels étaient les héros qui vous faisaient rêver ?

A.Mabanckou : Comme beaucoup de gamins, je lisais les BD que nous appelions alors "les aventures". J’étais fasciné par Blek le Roc, Tex Willer et Zembla. J’ai d’ailleurs rendu hommage à ces personnages dans Verre Cassé... Et puis, dans la vie courante, il y avait des gens qui étaient des héros à mes yeux : le grand et légendaire Angoualima que j’ai "immortalisé" dans le roman African psycho en 2003 ; je pense souvent aux cyclistes de Pointe-Noire qu’on appelait "Canari" et "Demabindou". Ce dernier était souvent la lanterne rouge des courses, et la population lui jetait à la figure de l’eau pimentée ! J’ai une pensée pour les footballeurs Mbono le Sorcier, Bahamboula Mbemba Jonas alias Tostao...

Congopage : Angoualima ? Mais il fut un bandit de grand chemin, qu’avait-il d’héroïque à vos yeux ?

A.Mabanckou : Ce sont des souvenirs d’enfance. J’ai plus travesti les choses dans mon roman African Psycho. J’ai imaginé ma peur d’Angoualima et j’ai laissé mes phantasmes jouer le jeu de la création. On m’a beaucoup reproché de n’avoir pas été très fidèle quant à la réalité, mais le roman n’est toujours pas une photocopie certifiée conforme de la réalité. L’écrivain est un "menteur", un artisan de l’adapatation ou de l’exagération.

Congopage : Y a-t-il un livre en particulier qui ne quitte jamais votre chevet ?

A.Mabanckou : Deux livres ne me quittent jamais :
 L’Automne du Patriarche du Colombien Gabriel Garcia Marquez. Je trouve ce livre plus étourdissant que Cent ans de Solitude que tout le monde cite à tout bout de champ. Il y a une narration vertigineuse dans L’Automne du Patriarche , et je crois qu’avec ce livre, Marquez avait atteint des sommets inégalables. C’est en tout cas mon opinion.
 Tout comme je pense que Mort à crédit de Louis-Ferdinand Céline est plus profond que Voyage au bout de la nuit souvent présenté comme le chef-d’œuvre de cet auteur... On voit dans Mort à crédit Céline en train d’écrire Voyage au bout de la nuit.

Congopage : Quel est le premier livre que vous ayez acheté ?

A.Mabanckou : J’étais encore au collège quand j’avais acheté pour la première fois un livre devant le cinéma Rex de Pointe-Noire. C’était une révélation pour moi car je lisais ce livre sans savoir qu’il s’agissait de Charles Baudelaire et ses Fleurs du Mal. Je me laissais aller par la magie de cette poésie qui m’émerveillait, m’emportait très loin. C’est en
tombant un jour sur le poème "L’Albatros", paru dans une anthologie Lagarde et Michard, que j’ai su que le recueil que je possédais était de Baudelaire. En effet mon livre n’avait ni couverture ni pages d’introduction ! Quelques mois plus tard, j’avais acheté Les racines congolaises et Les Normes du Temps de Tati Loutard. Encore une émotion...

Congopage : Y a-t-il un livre dont vous recommanderez la lecture ?

A.Mabanckou : Je recommande souvent aux amoureux de la lecture de lire Le Désert des Tartares de l’Italien Dino Buzatti. C’est un livre de silence, de confrontation de l’Homme face à l’absurde. C’est en quelque sorte une version abrégée de Don Quichotte, sans exagération de ma part, bien entendu. Dino Buzatti est le symbole du plaisir de la lecture, de la profondeur de l’imagination et du sens du récit.

Congopage : Que lisez-vous en ce moment ?

A.Mabanckou : Je suis en train de lire actuellement Le Coran, traduit par D. Masson et publié en deux tomes dans la collection "Folio classique" de Gallimard. C’est un livre fondamental qui permet de comprendre les problèmes contemporains, de se faire une idée quant à l’interprétation des uns et des autres. Je découvre des choses importantes, loin des idées reçues !

Congopage : Peut-on avoir une idée du sujet de votre prochain roman ?

A.Mabanckou : Je travaille sur une histoire extraordinaire que me racontait ma défunte mère. J’essaie de la retourner dans tous les sens et d’y mêler ma propre folie... Je prends mon temps car je m’attaque à la notion même de la conception de la mort dans certaines de nos sociétés. En attendant, j’ai deux de mes précédents romans qui vont être publiés en collection de poche aux Editions du Seuil en février 2006 : African Psycho et Verre Cassé. Cela permettra sans doute une plus large diffusion en Afrique, puisque le livre de poche est moins onéreux que le livre en format ordinaire.

Réponses flash :

1- Pour vous la vie c’est...
Un long fleuve pas toujours tranquille...

2- L’amour c’est...
Un pas en avant, deux pas en arrière. Beaucoup de feux rouges et quelques feux
verts.

3- Ce qui vous passionne...
Les livres et les documentaires sur Mohamed Ali

4- Le roman que vous auriez aimé écrire ?
"Le livre de ma mère" d’Albert Cohen

6- Quel titre donneriez-vous à votre biographie ?
Verre à moitié vide (ou à moitié plein)

7- Ce qui vous fait craquer...
Entendre à l’étranger des compatriotes s’exprimer dans nos langues.

8- Ce qui vous met hors de vous...
Les mouches qui se prennent pour des oiseaux

9- Un pays que vous aimeriez visiter ?
Haïti, première république noire.

10- Qu’est-ce que la mer vous inspire ?
Les poèmes de Tati Loutard et les chansons de Georges Moustaki

11- Trois souhaits...
Paix au Congo. Valorisation de nos cultures. Unité nationale.

12- Un souvenir de jeunesse...
La queue devant le cinéma Rex à Pointe-Noire pour voir "Les Démolisseurs" avec
Jim Kelly, Jim Brown et Fred Williamson.

13- Vos loisirs ?
Lecture, cinéma, cuisine, boxe et plage...

14- Votre rapport avec Internet ?
Rapport fréquent en vue d’aller vers le prochain.

15- Ce que l’on ne vous fera plus jamais manger ?
La choucroute

16- Votre mets préféré ?
Poulet à la mouambe

17- Pour vous, une entrevue, c’est... ?
Un moment de confidence, mais pas forcément de vérité.

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