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Ahmadou Kourouma doit-il ressusciter pour répondre aux attaques ???

Le moins que je puisse dire - voire conclure - c’est que notre doyen Olympe Bhêly-Quenum, écrivain béninois résidant en France depuis 1948 - semblait ne pas porter dans son coeur son collègue de plume le défunt Ahmadou Kourouma qui est considéré sans conteste comme l’un des plus importants écrivains du continent africain.
Ce monstre sacré des Lettres africaines a été lauréat entre autres du Prix du Livre Inter 1999 pour En attendant le vote des bêtes sauvages et, en 2000, successivement du Prix Goncourt des lycéens et du Prix Renaudot pour Allah n’est pas obligé. (Après Yambo Ouologuem en 1968, Kourouma est le deuxième auteur africain à recevoir le Renaudot). Qui dit mieux ??? C’était suffisant pour que le vieux sage ivoirien, l’indéboulonnable Kourouma, soit la cible des tirs groupés de quelques écrivains envieux qui guettent à chaque aurore le jour de leur propre couronnement... qui ne viendra jamais ou, dans le meilleur des cas, surviendra à titre posthume ! Et encore...

Discret, sage, ne fulminant pas de l’aigreur contre ses collègues, tendant la main aux jeunes auteurs, recevant n’importe qui pour n’importe quoi, humble, généreux, pas du tout prétentieux pour un sou, le Sage Kourouma laissait son oeuvre parler à sa place - mais combien d’entre nous agiraient de la sorte ???
Et pour montrer son indifférence quant aux attaques les plus basses, Kourouma touchait affectueusement l’épaule de la plupart de ces auteurs africains qui lui cherchaient des "poux dans la tonsure" parce qu’il était devenu trop visible. C’est connu : lorsqu’une étoile brille, scintille, elle

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Kourouma en riait...

ne fait pas que d’heureux, et beaucoup expliquent leur ombre par la lumière éblouissante et aveuglante de l’autre ! L’argument étant : "Kourouma n’écrit plus comme avant, il écrit pour un certain public de France".
On a entendu cette chanson... qui ne casse plus la patte à une mouche. J’attends de pied ferme que ces auteurs africains moralisateurs écrivent en quatrième de couverture de leurs livres : "Interdit à un certain public de France, en particulier le public de Kourouma"...

Bref, Kourouma est traduit dans plus d’une trentaine de langues dans le monde, et je crois qu’il faut se lever de bonne heure pour le perturber dans son repos éternel, pas loin de nous...

La grandeur et la place singulière de cet auteur dans les lettres africaines ne sont pas dues essentiellement aux prix qu’il aura accumulés pour la plupart vers la fin de sa vie, mais par la place qu’occupe son oeuvre - et surtout son livre Les Soleils des indépendances (paru d’abord au Canada, puis en France, aux Editions du Seuil, en 1976)- livre qui a marqué à jamais une "rupture" dans le roman africain, comme d’ailleurs Le Devoir de violence du Malien Yambo Ouologuem (Ed. Seuil, 1968) ou encore La Vie et demie du Congolais Sony Labou Tansi (Ed. Seuil, 1979). Excusez donc du peu pour le Grand Kourouma dont je salue ici et maintenant le talent, le génie et la grandeur d’esprit. Choses rares par ces temps qui courent à perdre haleine...

Qu’arrive-t-il au juste à notre doyen Olympe Bhêly-Quenum ??? Je m’interroge après la lecture d’une interview dure et musclée qu’il a accordée à Mansour DIOUF du "Groupe Avenir et Communication" lors d’un colloque qui s’est tenu à Montpellier sur "Le symbolisme dans les littératures francophones".
Cette interview m’a gentiment été envoyée par notre amie et journaliste Edwige H.
Voici ci-dessous l’extrait qui concerne l’attaque "post-mortem" contre l’auteur de Quand on refuse on dit non .

Mansour Diouf :

Vous avez été assez critique lors du colloque envers une certaine catégorie d’écrivains africains, notamment Ahmadou Kourouma ; qu’est-ce qui justifie cette position très critique voire même cette virulence ?

Olympe Bhêly-Quenum :

Par éducation, par éthique mais surtout par ma nature, je ne m’acharne pas contre un mort. La gentillesse me fait passer sous silence des écrivains - africains ou blancs - dont je pourrais démolir un ouvrage après l’avoir soigneusement lu, épluché avec une objectivité clinique. A Montpellier, j’ai évoqué mes rapports avec Yambo Ouologuem parce que j’avais lu le manuscrit de son Devoir de violence. Quant à Kourouma, je l’avais vu, pour la première fois, à Montpellier, deux ans avant sa mort ; nous étions invités et logés dans le même hôtel ; nous prenions ensemble le petit déjeuner. On m’avait laissé entendre qu’il y aurait un débat entre lui et moi ; un jour, après le petit déjeuner, Kourouma m’a dit qu’on lui a demandé pourquoi Olympe Bhêly-
Quenum ne disait mot des ouvrages d’Ahmadou Kourouma, etc. Etonné, j’ai d’abord pouffé avant d’aller droit au but car jamais je ne tourne autour du pot. Je l’ai renvoyé à la deuxième partie du Soleil des Indépendances où son personnage principal, d’un racisme incroyable, s’attaque aux Dahoméens et aux Nagos du Sud, allant jusqu’à déclarer que dans son pays, on ne s’en prend pas aux Français parce que c’est grâce à eux ou la France qu’on a du travail. Alors j’ai conclu : « Mon cher Kourouma, j’ai préféré ne rien dire de cet ouvrage, qui, d’ailleurs, n’est pas un roman au sens technique du terme, au lieu de le démolir. »
Il y avait au colloque de Montpellier quantités de ceux qui encensaient Kourouma, mais aucun n’a bronché quand j’ai parlé, encore moins quand, preuve en main, Ambourhouet-Bigmann Magloire l’a descendu en flammes en répétant ses interventions au Canada, en Italie (université de Milan). On a souligné « les déceptions qu’on a eues quand on a reçu cet écrivain africain adulé (adulato) en France » ; je n’ai pas réagi.
Récemment à Tours, un confrère sénégalais, faisant allusion à ce qui, chez Kourouma, « ne pouvait plaire qu’aux Blancs parce que c’est ce que beaucoup d’entre eux attendent de la littérature africaine », m’a dit que Mongo Beti a écrit une diatribe titrée « Kourouma le nul ».
C’est excessif : bon “événementieliste”, Kourouma ne manquait pas de talent mais le considérer comme « le Rabelais », « le Voltaire », « le chef de file des écrivains africains ! » dont les thuriféraires de l’Hexagone ont ventilé les éloges, bêtement
repris par certains universitaires africains, sans avoir jamais lu intégralement aucun de ses ouvrages, c’était se moquer de ceux qui créaient et écrivaient mieux que lui. Bof ! il fallait bien que des universitaires africains emboîtent le pas à leurs « Maîtres de France » qui prétendent que sans eux, nous écrivains africains francophones, nous n’existerions pas. Quels seraient-ils, eux, sans nos livres qui leur servent de tremplin pour leurs thèses ?

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