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Quand les jeunes auteurs se font arnaquer à "l’insu de leur propre gré"...

Depuis quelques jours un de nos visiteurs habitant en Afrique me fait parvenir des courriers sollicitant une aide financière pour la parution de son livre, un recueil de poèmes. "L’éditeur" français - dont je tais le nom - lui a demandé une somme de 1200 euros pour la fabrication de ce livre et promet à l’auteur une promotion et une diffusion de l’oeuvre dans toute la France. Le contrat envoyé par cet "éditeur" - je l’ai lu de très près - relève tout simplement de ce qu’on appelle le "compte d’auteur" : l’auteur doit lui-même supporter les frais de la publication de son livre. "L’éditeur" a su trouver les mots pour flatter son potentiel auteur et lui faire enfler les chevilles pour qu’il passe vite à la caisse : l’auteur, écrit-on, "se sert de sa plume pour crier sa haine, pour mettre en rimes la folie qui touche son pays. Des mots contestataires, des vers en feu, mais aussi des pensées charnelles,la douceur du passé et l’espoir du futur. Pour qu’il ne soit plus la peine de rêver sa vie." Mon dieu ! Prenez ces mots, adressez-les à n’importe quel versificateur acharné du dimanche et des jours fériés, et cela collera toujours. Quelques superlatifs sur l’oeuvre font toujours du bien à un auteur en herbe. On sait pourtant qu’à la parution de ce recueil de poèmes, cet "éditeur" ne déploiera aucun effort et que l’auteur ne verra son livre nulle part que dans son grenier ou entre les mains de son oncle qui criera quoi qu’il en soit à la naissance d’un génie...

De tels contrats sont à décrier. Rappelons à notre visiteur que c’est à l’éditeur, le vrai, de supporter les frais de fabrication, de diffusion, de distribution - et donc de commercialisation du livre. C’est aussi à l’éditeur, le vrai, de verser des droits d’auteur.

Une société qui demande à l’auteur de payer pour la fabrication de son livre n’est pas une maison d’édition, mais un simple prestataire de service, une espèce de bureau - avec quand même fax et téléphone - qui se charge d’envoyer directement à l’imprimerie votre chef-d’oeuvre avec toutes les coquilles et les fautes d’ortographes - car généralement il n’y a pas de correcteurs dans ces maisons puisque ce qui les intéresse c’est plutôt votre carnet de chèques et non les poèmes que vous destinez à la postérité. Beaucoup de jeunes auteurs en quête d’éditeurs tombent dans ce piège.

Rappelons aussi à notre visiteur que le code de la propriété intellectuelle donne une définition très claire du vrai contrat d’édition, voir notamment l’article L132-1 qui souligne :

Le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une oeuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’oeuvre, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion.

L’éditeur, le vrai, a donc la charge de la fabrication et de la diffusion. Par conséquent, le même code de la propriété intellectuelle définit ce que n’est pas un contrat d’édition en des termes suivants :

Article L132-2

Ne constitue pas un contrat d’édition, au sens de l’article L. 132-1, le contrat dit à compte d’auteur.
Par un tel contrat, l’auteur ou ses ayants droit versent à l’éditeur une rémunération convenue, à charge par ce dernier de fabriquer en nombre, dans la forme et suivant les modes d’expression déterminés au contrat, des exemplaires de l’oeuvre et d’en assurer la publication et la diffusion. Ce contrat constitue un louage d’ouvrage régi par la convention, les usages et les dispositions des articles 1787 et suivants du code civil.

On peut aussi lire les variantes de ces contrats dans lesquels l’auteur laisse quelques plumes de pigeon :

Article L132-3

Ne constitue pas un contrat d’édition, au sens de l’article L. 132-1, le contrat dit de compte à demi.
Par un tel contrat, l’auteur ou ses ayants droit chargent un éditeur de fabriquer, à ses frais et en nombre, des exemplaires de l’oeuvre, dans la forme et suivant les modes d’expression déterminés au contrat, et d’en assurer la publication et la diffusion, moyennant l’engagement réciproquement contracté de partager les bénéfices et les pertes d’exploitation, dans la proportion prévue.
Ce contrat constitue une société en participation. Il est régi, sous réserve des dispositions prévues aux articles 1871 et suivants du code civil, par la convention et les usages.

En définitive, notre visiteur, s’il signe le contrat en l’état, ne signera pas un contrat d’édition. L’amertume sera forcément au rendez-vous puisque ses attentes ne seront jamais comblées, et on sait que celles-ci sont très elevées lorsqu’on publie un premier livre. On s’imagine alors qu’il suffit d’avoir son nom sur la couverture d’un livre pour que la Terre entière s’arrête de tourner, fascinée par la naissance de l’écrivain que le siècle attendait... Certes, on vous dira, pour vous consoler, que Marcel Proust avait aussi publié à compte d’auteur, que la plupart des poètes le font... Mais combien de Proust compte-t-on dans un siècle ? Prudence donc !!!

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