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"Littérature-monde en français" : Abdou Diouf répond aux 44 écrivains qui « choisissent de se poser en fossoyeurs de la Francophonie »

L’ancien président du Sénégal Abdou Diouf (photo) - qui dirige l’Organisation Internationale de la Francophonie depuis quatre ans -, a publié un point de vue le lundi 19 mars dernier dans Le Monde. Dans son texte, entre autres points, il déplore le désamour des Français quant à la Francophonie et pointe du doigt certaines réticences qu’il faudrait éradiquer afin de parvenir à une francophonie de la "diversité culturelle". L’occasion pour lui aussi de répondre directement aux 44 écrivains qui ont choisi, écrit-il, de se poser en "fossoyeurs de la francophonie". Ces écrivains ont publié dans Le Monde des livres le « Manifeste pour une littérature-monde en français » (Voir à cet effet notre sujet mis en ligne le vendredi 16 mars). Un livre collectif réunissant les contributions théoriques de plusieurs signataires du "Manifeste" - et d’autres qui en épousent l’esprit - est d’ores et déjà annoncé aux éditions Gallimard pour le mois de mai avec pour titre "Pour une littérature-monde en français". Enfin, l’édition 2007 du Festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo (Bretagne) qui se déroulera du 26 au 28 mai aura également pour thème principal cette littérature-monde.

Le débat s’ouvre donc, et nous ne pouvons que nous en féliciter. Pour le poursuivre, voici ci-dessous un extrait du texte du Secrétaire Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), extrait dans lequel le président Diouf réagit à la publication "Manifeste" :


UNE NOUVELLE GUERRE DE CENT ANS

Je n’ose croire que ceux dont le métier est de penser et de créer veuillent réduire le combat de la francophonie pour le respect et la promotion de la diversité des langues et des cultures à une nouvelle guerre de Cent Ans. Il ne s’agit pas de lutter pour ou contre la prééminence de telle ou telle langue. Il s’agit de faire en sorte que la vie de l’homme sous l’effet d’une standardisation ne se transforme en un désert de redondances et de monotonie, ou que les identités culturelles ne deviennent "meurtrières". Il s’agit de construire une communauté mondiale où la recherche de convergences, d’alliances, d’interactions entre les aires de civilisation l’emportera sur les volontés hégémoniques. Et ce dessein, les francophones le revendiquent avec fierté.

Enfin, je regrette que ces idées reçues éclaboussent de leur mépris - sans le vouloir sans doute - tous ces pays que rien ne rattache au passé colonial de la France et qui ont choisi d’adhérer à la francophonie. La langue française n’appartient pas aux seuls Français, elle appartient à toutes celles et à tous ceux qui ont choisi de l’apprendre, de l’utiliser, de la féconder aux accents de leurs cultures, de leurs imaginaires, de leurs talents. Et les francophones d’autres contrées attendent des Français qu’ils ouvrent plus largement leurs manuels scolaires, leurs collections, leurs médias au talent de ces écrivains, de ces chanteurs, de ces cinéastes, de ces artistes qui ont fait le choix de créer en français.

Vous comprendrez donc que j’applaudisse à deux mains lorsque je lis, dans "Le Monde des livres" (du 16 mars), le brillant hommage de quarante-quatre écrivains à la "littérature-monde" en français ! Nous partageons tous le même éclatant et stimulant constat, à savoir que "diverses sont aujourd’hui les littératures de langue française". Il est clair, aussi, que nous partageons le même objectif, celui "d’un dialogue dans un vaste ensemble polyphonique". Mais vous me permettrez de vous faire irrespectueusement remarquer, mesdames et messieurs les écrivains, que vous contribuez dans ce manifeste, avec toute l’autorité que votre talent confère à votre parole, à entretenir le plus grave des contresens sur la francophonie, en confondant francocentrisme et francophonie, en confondant exception culturelle et diversité culturelle. Je déplore surtout que vous ayez choisi de vous poser en fossoyeurs de la francophonie, non pas sur la base d’arguments fondés, ce qui aurait eu le mérite d’ouvrir un débat, mais en redonnant vigueur à des poncifs qui décidément ont la vie dure.

Les Français ne savent pas encore assez tout ce qu’ils peuvent offrir à la francophonie, et surtout tout ce qu’elle peut leur offrir. J’espère que viendra bientôt le jour où il sera évident pour un Français de se présenter en se disant normand, français, européen et francophone, sans crainte d’apparaître "réac" ou ringard...

Abdou Diouf (Le Monde, 19 mars 2007)

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