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Autocritique

Le maquis de Ange Diawara Bidié : 51 bougies

N’eut été la vigilance historique de Me Maurice Massengo Tiassé, la commémoration du 22 février 1972 serait passée inaperçue.

L’avocat des Droits de l’Homme a organisé un duplex au cours duquel le Dr. Alexandre Ibacka Dzabana et Victor Matondo dit Robot, deux vétérans du maquis, ont été invités de dire leur part du drame de Goma Tsé-Tsé. Ce fut une tragédie qui a frappé l’imaginaire politique de notre pays. Les deux invités de Me Tiassé étaient compagnons de route du légendaire lieutenant Ange Diawara Bidié, leader de l’insurrection qui se solda par sa mort en 1973. On dit qu’il fut tué de sang froid et exposé sur la place publique, en compagnie d’Ikoko et d’Olouka. L’assistance en fut traumatisée.

ITINERAIRE DUN ENFANT ORDINAIRE

Victor Matondo(alias Freidas) s’est impliqué dans la mouvance de Goma-Tsé-Tsé par le plus pur des hasards. Mais pas tant que ça. Car le hasard est une ligne imaginaire tracée dans l’inconscient. Amoureux des arts martiaux, un ami convia V. Matondo aux entraînements au domicile d’Ange Diawara. Pendant six mois, en fait de karaté il ne s’agit que de séquences de pompes. Pas de kata, pas de shuto, pas de makiwara ni d’ippon ni de bonzaï. Et bien sûr, pas de combat. Que de la muscu absolue, du footing hors ring, marche avant, marche arrière. Le jeune Victor Matondo commence à perdre patience, s’ennuie. Le spleen, quoi ! Jusqu’au jour où, le hasard faisant bien les choses, il croise Ange Diawara. A cette occasion il rappelle au « prof » la promesse de procurer un mannequin au dojo (à l’époque on disait « Robot »), en guise de punching-ball. Ange Diawara le regarde avec sympathie et lui dit « le Robot ce sera toi. » .
C’est le signe avant-coureur d’une aventure mystérieuse qui aura pour théâtre la forêt-clairière de Goma-Tsé-Tsé et modifiera à jamais l’écosystème politique du Congo, voire de l’Afrique Centrale.

Mutatis mutandis, « Robot » sera, plus tard, le nom de soldat de l’ombre par lequel l’historicité métamorphosa Freidas. Mais le hasard, disent les Grecs, n’existe pas. Robot, fils unique de sa mère, alors en compagnie de sa grand-mère à Goma-Tsé-Tsé, est aperçu par Diawara qui s’étonne de le voir en un lieu considéré comme zone à risque (voire très haut risque) en terme d’engagement philosophique.

En fait, dans le système du Maquis, la grand-mère est un « contact ». Entre autres villageois, cette dame travaille à ravitailler les maquisards. Alphabétisation rurale, éducation sanitaire sont la contrepartie des révolutionnaires à l’endroit des villageois. Du coup le niveau d’estime de Diawara qui aime les caractères trempés, est au zénith. Argument : le jeune homme est non seulement karatéka mais aussi un « politique », de surcroit petit-fils de résistante, ayant, elle-même, des affinités avec Adélaïde Mouhani, épouse du maître. Sans être militaire, à partir de cette rurale, Robot vient d’obtenir ses gallons auprès de Diawara. Il est aux anges. Car Diawara est un étalon infaillible en la matière, lui qui, au cours des combats singuliers, semait la terreur auprès de ses camarades parachutistes.

NTALA ET MOUSSA ETA

Au fil de combats homériques parsemés de voyages stratégiques de Diawara à Kinshasa, le maquis est infiltré par le renseignement de l’armée loyaliste. Prenons l’exemple de Ntala, agent de Marien Ngouabi. Ce soldat joue double-jeu. « Il est maquisard et mouchard » critique Robot. Intégré dans une mission où les espions de Ngouabi veulent piéger Diawara, Ntala égorge Moussa Eta le chef de l’expédition. La raison ? Ntala qui veut tous les honneurs pour soi, lui conteste la direction des opérations. Tohu-bohu dans le maquis. Les compagnons de Diawara sont alertés in extremis. Ils échappent au guet-apens par hasard. Le sort de Moussa Eta est atroce.

Aussitôt la propagande ngouabiste prend le relai. Les chansons révolutionnaires retentissent à la radio, en hommage au camarade Moussa Eta, « héros du peuple. » tué par les « chiens couchants de l’impérialisme français et américain. »

ROBOT TOMBE CHEZ L’ENNEMI

En raison des traîtres qui écumaient le maquis, en compagnie d’un ami, Robot fut pris au cour d’un contrôle sur la voie ferrée, à la lisière de la brousse, et conduit à la maison d’arrêt où il subit un interrogatoire musclé et fut en proie à une incertitude sur son pronostic vital. C’est qu’ici, pas de procès, pas d’avocat. Tout est expéditif.

ALEX DZAMBANA IBACKA

Dr Alex Ndzambana, stratège et idéologue est également très proche d’Ange Diawara et fait partie du corps de la Défense Civile, une milice formée au génie militaire par des instructeurs Cubains.
La Défense Civile, observa Dr Ndzabana, était mieux équipée que l’armée nationale (FAC) fraîchement sevrée de l’armée française coloniale.

En 1968, éclate un affrontement entre Miliciens diawaristes et l’armée régulière au Camp Météo appelé aussi « Camp Biafra ».

De l’aveu du Dr Alex, malgré la puissance du feu, on ne déplora aucun mort de part et d’autre des belligérants. « On avait des camarades de l’autre côté on ne voulut pas diriger nos balles sur eux » raisonne ce compatriote récemment arrêté à Brazzaville par la police de Sassou.

FLEUR AU FUSIL

Depuis « Biafra-Météo » en 68, habités par un idéal, les hommes de Diawara évitaient de tirer sur leur propres compatriotes, fussent-ils dans le camp adverse. Ce fut la stratégie adoptée dans la forêt, en 1972. La philosophie de la guerre laissait la vie sauve aux troupes de l’armée régulière alors qu’elles étaient encerclées comme du gibier, alors qu’elles étaient à la portée des tirs des maquisards, qui plus est, dans un no man’s land que les loyalistes ne connaissaient pas. Ils les voyaient venir, ils les laissaient repartir : postulat de l’idéalisme révolutionnaire. La fleur au bout du fusil, c’était l’esprit du temps. Mai 68 battait son plein en Europe. Le Che alimentait le mythe de la libération en Amérique Latine et dans le monde.

La thèse selon laquelle les Diawaristes avaient pour projet de mettre le feu aux docs de Mpila n’était que pure propagande ngouabiste.

FRANKLIN BOUKAKA

Ce fut l’une des premières victimes du mouvement politique de 1972.
« Comment sont morts Franklin Boukaka et Elie Théophile Itsou ? » demande Me Massengo-Tiassé.

Ils ont été extraits de la maison d’arrêt par un petit commando auquel le régisseur de prison opposa d’abord un refus. « Il me faut un document officiel » dit le gardien de prison. Le commando revint à la charge muni d’un billet de sortie portant la signature de Yhombi. (ce dernier deviendra général après l’assassinat de Ngouabi).

Franklin Boukaka, Théophile Itsou furent extirpés de leur cellule en compagnie de Marcel Ibot et Guy Romain Kinfoussia, un Saint-Cyrien. Direction : champ de tir de la Tsiémé. A la tête des tueurs se trouvait Aboya. Jusqu’à la fin, Franklin Boukaka pensa à une séquence d’intimidation. « Non, ils ne vont pas nous tuer » rassura l’idéaliste Franklin Boukaka à ses compagnons de fortune. « L’artiste ne sut jamais qu’il allait finir ainsi » analyse Robot.

Formés à l’art militaire, Kinfoussia et Marcel Ibot échappèrent au peloton d’exécution au moment où les balles crépitèrent. Il faisait nuit. Les deux malheureux disparurent dans l’obscurité et se faufilèrent dans la savane, pendant que F. Boukaka et Itsou tombaient sous l’impact des cartouches. « On ne saura jamais le lieu de leur sépulture » regrette, amer, Alexandre Ndzabana Ibacka.

ESSENCE DU MAQUIS

Le maquis est une idéologique et une praxis. Après le coup d’état de Marien Ngouabi qui renverse Massamba-Débat en 1969, une oligarchie se met petit à petit en place. Diawara élabore un concept : l’Obumitri (Oligarchie, bureaucrato-militaire tribale). L’insurgé de Goma-Tsé-Tsé avait déjà flairé la bête immonde à l’arrivée de Ngouabi et sa bande en 1969. Lui et ses amis se replient dans la forêt du Pool dans la banlieue de Brazzaville.

La suite on la connaît.

L’Obumitri dénoncée jadis par les diawaristes s’est avérée, à compter du 5 février 1978, un Léviathan au cœur duquel loge Denis Sassou-Nguesso. Le monstre a, au passage, a broyé ses propres enfants dont Marien Ngouabi, le 18 mars .

Ironie du sort, deux ans auparavant, Marien Ngouabi exposa les dépouilles des insurgés au stade Alphonse Massamba-Débat. Paya-t-il son karma métaphysique le 18 mars 1977 ?

KIGANGA

Diawara, on l’a compris, est un redoutable prince de guerre mâtiné d’un florentin. Il campe la figure d’un « Che » congolais dans les veines duquel coulait le sang d’ancêtres Bambara. Stratège militaire taillé du même bois que Napoléon le Corse, il est intrépide en 1970 face au commando de Kiganga venu de Kinshasa secouer les fondement du communisme de Brazzaville. Echec et mat. La Maison de la Radio est une bérézina pour les putschistes et un Fort Alamo pour les oligarques du PCT.

De la conduite des oligarques PCT durant le siège de la Radio, Olivier Bidounga ironise : « Ils se présentent sur le terrain quand Ange a déjà terrassé l’ennemi. Leurs mains portent des gourmettes et des chaines en or.  »

Il s’agit de Yhombi, Ngouabi, Sassou et la clique bourgeoise militaro-compradore.

Deux ans plus tard, éclate le mouvement décliné sous la notion du 22 février. Le rapport de force tourne en sa défaveur du putsch. Fiasco mémorable. Waterloo. Il rejoint le maquis avec beaucoup de contenance. Il rédige son autocritique.

OBUMITRIBALISME

Bongou Camille, Moundele-Ngolo, Zambila, Noumazalaye ont un pied dans le maquis, un pied dans l’obumitri. Ils oscillent entre guerre et paix, soufflent le chaud et le froid, surfent entre quiétude et aventure. Leur tiédeur les tire d’embarras après la chute du maquis.

Il s’en sortent à bons comptes. En 1973, les rescapés s’en tirent plutôt bien que mal après avoir trempé dans la conspiration de Goma-Tsé-Tsé. A compter du 5 juin 1997, ils reprennent du poil de la bête. Révolutionnaires de papier, les membres de la tribu-classe d’Oyo se jettent de plain-pied dans l’onction de l’Obumitri.

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