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Les Pensées

Pascal Tchibouanga, poète congolais

« Réminiscences écarlates et échos cathartiques - Poésie »
est un recueil de poèmes de l’écrivain congolais Pascal Tchibouanga, né en 1963, décédé en 2023.

Il y a dans ce recueil un je ne sais quoi d’Arthur Rimbaud du « Dormeur du val. » L’historiographie congolaises faite de bruits de bottes, de feu, de sang, de sueur et de larmes, a laissé un nombre incalculable de « dormeurs » sur la tempe desquels il y avait « deux trous rouges au côté droit ». C’était dans les années 1990, période propice à l’exil dans la forêt vierge.

Le genre adopté par l’auteur, relève de la prose. Le ver est libre, refusant de souscrire à la contrainte de l’alexandrin. Le ton, sans équivoque, est donné dans l’intitulé : « Réminiscences écarlates.. ». La connotation pourpre renvoie incontestablement à la politique de sang dans laquelle se sont abreuvés ceux qui ont l’insigne honneur de gouverner les Congolais à leurs corps défendant, alors ces dirigeants sont des leaders autoproclamés, démunis de délégation de pouvoir. La plume du poète s’en prend sans ambages à eux car ils ont aliéné la mère-patrie.

Eternel réquisitoire des récits littéraires des années 1990, la guerre civile mettra du temps avant que les Congolais n’en fassent la catharsis et surtout l’exorcisme.

Morceaux choisis :
« Les femmes n’ont que les peuples qu’elles méritent
Et les peuples les femmes qu’ils méritent.
Sachez que les mères de ceux qui sapent leur pays
N’ont pas enfanté. Car même l’animal dit bête a le sens du terroir.
 » « (Aux femmes d’un pays rêvé) ». p.61

Si le ton à la dénonciation est donné d’entrée pour des écrits datant des années troubles (1999) , en 2023 les temps ne continuent pas moins d’être mauvais après avoir été chaotiques dans les ténébreuses années antérieures à l’ordalie de la Conférence Nationale Souveraine. Cet intervalle reste mordicus propice à des thématiques tragiques chez nombre d’auteurs congolais. Notre poète n’y échappe pas. Il accouche d’œuvres nourries du matériau boueux. Le fait est que par les temps qui courent, sévit une guerre civile qui n’a pas la pudeur de taire son nom, faisant rage sous des formes aussi insidieuses qu’assumées. La guerre du 5 juin 1997 continue de se mener avec des armes du tribalisme, du népotisme, du clientélisme et de la kleptomanie décomplexée.

En ces temps maudits du monde congolais qui s’est effondré à la Chinua Achebe, c’était le « sauve qui peut » jusqu’à l’orée de l’île Mbamou, no man’s land, limitrophe de l’incertitude des camps de Kinkolé (RDC) prémonitoires et promontoire des abîmes du Beach où disparurent des centaines de réfugiés sous Sassou. C’est du vécu, ce n’est pas de la fiction comme savent en fabriquer les travailleurs de l’imaginaire. Notre poète y était.

Voici ce que relatent les réminiscences de l’auteur avant d’être, des années plus tard, technicien de la communication dans le Niari :

« Contrée marécageuse, village des pêcheurs, ermitage de nos cœurs émus.
Toi la Suisse de tant d’âmes éperdues,
On se souviendra..
. » p.15 (Ermitage)

« Ce jour-même où vous êtes rentrés au village,
j’étais allée piquer mon
pondou » (Comme un charognard) p.29

Oiseaux de malheur :

« Ici repose un vieillard sur ses jambes. Immobile devant
Une hutte
Sa hutte a survécu. L’homme est de race solide mais
Abattu...
...Le pleur est silencieux et gris. nulle parole n’aura d’explications,
que ces pleurs muets, ce pleur salé. Tout le cataclysme de la cité
s’est on dirait incrustré en lambeaux dans ce visage
Grisâtre,
Hâve et décharné qui dit tout son lot sans dire mot
Bientôt le silence est blessé dans l’air pur d’un croassement
En chœur infernal. un nuage de corbeaux s’éloigne dans
Le ciel
. » p.23 (Un nuage de corbeaux)

L’auteur se remémore la couleur écarlate de cette période maudite (et ça remonde à l’aube de l’humanité) où l’homme est un un loup pour l’homme.

Blaise Pascal Tchibouanga mène de front une carrière d’ingénieur et d’écrivain. Il a à son actif une immense bibliographie consacrée au théâtre, un genre très percutant dans nos sociétés orales.

Longtemps ouvrier de l’imaginaire, il meurt brutalement en 2023 en mission à Mossendjo.

Non les Réminiscences écarlates... ne sont pas des mémoires d’outre-tombe puisque, surpris par la mort, l’auteur ne donne pas de consignes de publication post mortem à sa famille comme jadis Châteaubriant à ses éditeurs. Certes, ses frères, Louis-Ange Tchinianga Mountou, Auguste Tchinianga, ne se lassent pas à titre posthume de promouvoir biographie et bibliographie du disparu.

Pour la reproduction littéraire, Pascal Tchibouanga, Ponténégrin, s’est borné de suivre les traces de Tchicaya U Tam Si, Jean-Baptiste Tati-Loutard, Marie-Léontine Tchibinda dont l’écriture est tributaire de l’écosystème du Mayombe méridional.

Lambert EKIRANGANDZO

Pascal Tchibouanga : « Réminiscences écarlates et échos cathartiques - Poésie » 66p.
L’Harmattan Congo-Brazzaville. Janvier 2023
10,50 €

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